Disputé le 3 avril 1910 sous des conditions terribles : la pluie, le froid et la neige.
Luigi GANNA (Ita) arrivé 2° à
39'30" est déclassé pour avoir été surpris à bord d'une voiture.
Piero LAMPAGGI (Ita) arrivé 5° à
2h06"00 est déclassé.
Sante GOI (Ita) arrivé 7° est non classé pour arrivée après le fermeture du contrôle.
Eugène Christophe ne possède pas, loin s'en faut, le palmarès le plus
représentatif ni le plus boulimique du cyclisme Français et encore moins du
peloton international, en revanche, les épreuves qu'il s'ingénia à dompter
le furent d'une manière tout à fait extraordinaire. Bien avant l'icône le
représentant re-brasant sa fourche brisée, sous l'oeil "insalubre"
d'un commissaire récalcitrant, du côté de Sainte Marie de Campan, au pieds
des cimes Pyrénéennes lors de la Grande Boucle de 1913, le gamin de Malakoff
s'était déjà distingué, de l'autre côté des Alpes, à l'occasion d'un
Milan San Remo 1910 apocalyptique.
Nous sommes le dimanche 3 avril 1910 et les 63 courageux qui s'agglutinent,
alors, sur la ligne de départ, ressentent, déjà et inexorablement, les prémices
insidieuses du cauchemar qui les accompagnera toute la "sainte" journée.
Les 290 bornes de l'épreuve s'annoncent, en effet, des plus dantesques.
Le ciel bas, le froid glacial et la tempête de neige qui sévit lors de cette
quatrième édition embrument les faciès congestionnés et éberlués des suiveurs,
pourtant rares à cette époque, et des organisateurs locaux. Le train de sénateurs
emprunté, pour la circonstance, par le serpentin humain, n'en est que plus
irrationnel. Ainsi, se faufile t'il cahin-caha, en ordre presque martial jusq'aux
contreforts machiavéliques du Turchino.
A l'approche de celui-ci, dans ce paysage d'une austérité alarmante et d'une
désolation sans nom, le blizzard a redoublé d'effroi et la température avoisine
l'insupportable. Le mercure enregistre, alors, une descente vertigineuse vers
le néant, ce même néant qui transpire dans le subconscient, fragilisé à
l'extrême, de ces "Gladiateurs de l'apocalypse". L'ascension du col,
ultime rempart avant de fondre et de rejoindre le bord de mer, est toujours
envoûté par les frimas et appréhendé, par un peloton transi, de façon collégiale.
Les coursiers qui composent ce "macabre" enchevêtrement de corps
désarticulés sont frigorifiés, les pieds deviennent insensibles, les jambes
sont raidies et durcies par tant d'agonie et les mains sont crispées et épousent
les cocottes de freins comme jamais auparavant.
Eugène Christophe, quant à lui, ne fait pas exception à la règle et à l'instar
de ses compagnons de galère, le "Vieux Gaulois", arc bouté, sur
sa monture, se bat tel un démon, contre les éléments contraires. Au détour
d'un lacet, le "Titi Parisien" saute de sa machine prestement, malgré
l'engourdissement, et commence un étirement en règle. Le peloton a, depuis
longtemps, volé en éclats et les rares coureurs qui n'ont pas encore bâchés
sont, désormais, éparpillés au sein de ce "no mens land" lunaire.
Lorsque le Français franchi, enfin, le tunnel qui délimite le sommet du Turchino,
la chaussée est absente car abondamment enneigée. Par endroit, des couches
de poudre blanche de vingt centimètres rend caduque tout acheminement raisonnable.
Il devient irréel de progresser à bicyclette. Christophe souffre le martyr,
le froid le tenaille et les crampes commencent à diligenter leurs "poisons"
dans son organisme passablement entamé et soumis à rude épreuve. Son estomac
est victime de maux terribles et cruels dus à la malnutrition. La plupart du
temps, à pied, il converge, aveugle, vers une destiné incertaine.
Las, adossé à un rocher salvateur, le "Vieux Gaulois" attend. Quoi
? il n'en sait fichtrement rien ! Toujours est il qu'à un moment donné, il
subodore plus qu'il n'aperçoit une ombre dans cette Sibérie Alpine. Cette
ombre se libère, imperceptiblement, de sa chappe opaque et ses contours apparaissent,
enfin, rassurantes. "Gégène" hèle, alors, à pleins poumons ce
sauveur venu du "diable vauvert". L'inconnu, paysan hirsute, conduit
l'infortuné coursier jusqu'à une auberge bienvenue où le tenancier du lieu
le fera se dévêtir afin de sécher ses vêtements souillés et trempés. Enroulé
dans une couverture de laine, généreusement offert par son hôte providentiel,
le "Vieux Gaulois", de nouveau guilleret, ingurgite, englouti même,
un grog bouillant. Rasséréné et gonflé à bloc, par cette obole, improbable
quelque instant auparavant mais ignorant tout de la situation de la course,
le Français, tel un grognard lors d'un remake de la "Campagne d'Italie",
chevauche, pour la énième fois, sa monture, rejoint le bord de mer et file
ardemment et vaillamment vers San Remo. A 25 printemps, Eugène Christophe,
remporte cette "Primavera" d'anthologie. Quatre rescapés, seulement,
se présenteront sur la Via Roma, terme de cette course hallucinante.
Un mois de soins dans une clinique lui seront nécessaire pour recouvrer l'intégralité
de ses membres endoloris et deux longues années pour retrouver la plénitude
de son potentiel initial. Ces deux saisons blanches lui permettront de se reforger
une condition telle, qu'à l'aube de l'année 1913, un forgeron pyrénéen qui
tenait boutique au pied du Tourmalet, verra apparaître, un jour de juillet,
un coursier pas comme les autres...
Michel Crépel