Disputé le 19 mars 1976 sous le beau temps.
* Jean-Luc Vandenbroucke (Bel) déclassé pour contrôle positif.
La "Primavera" plus connue sous le nom de Milan-San Remo, est la
dernière grande classique remporté par son "Altesse" Eddy Merckx
! C'est aussi la septième fois qu'il franchit en vainqueur la ligne d'arrivée,
de l'épreuve italienne, située sur la Via Roma. Cette année 1976, c'est aussi
celle du doute, celle de la remise en question. N'a t'il pas été battu, en
juillet 1975, sur les routes du Tour, pour la première fois, par un certain
Bourguignon à l'oeil "goguenard", Bernard Thevenet ?
Pourtant au printemps de cette année 1975, qui le vit donc baisser pavillon
devant la hargne du jeune Français, sa campagne de Classiques avait été des
plus prolifiques, qu'on en juge : Milan-San Remo ("Primavera"), le
Tour des Flandres ("Ronde"), Liège Bastogne Liège ("Doyenne")
et enfin l'Amstel Gold Race (pas encore "Amstel Gold Raas"). Excusez
du peu !
Ce début de saison 1976 est marquée par la domination outrageante des coureurs
Belges qui, par l'intermédiaire de l'insatiable Freddy Maertens s'adjuge six
étapes lors d'un Paris Nice, de haute tenue, remporté finalement par un Michel
Laurent en devenir. De l'autre côté des Alpes, Roger De Vlaeminck a ajouté
un cinquième succès, à sa panoplie, dans la "Course des deux Mers",
Tirreno-Adriatico, et ce, consécutivement, laissant augurer une sixième levée,
l'année suivante, qui en fera un recordman absolu. En outre, le "Gitan"
a, par la même occasion, remporté toutes les étapes, à l'exception d'une
seule, glané par le "Roi Eddy" en personne.
Cette première Classique
de l'An 1976 s'annonce sous les meilleures auspices, donc, et très relevée,
car en dehors des trois têtes d'affiche d'Outre-Quiévrain précités, vient
s'ajouter un gamin de vingt ans aux dents déjà bien aiguisées, Jean-Luc Vandenbroucke,
transfuge de la piste et rouleur invétéré de grand standing. La première
partie de la course, précédant les "Capi", se déroule sans heurt
et sans aucun déploiement des forces en présence, si ce n'est l'échappée
"matinale" traditionnelle dans ce genre d'épreuve, d'un Néo-zélandais
inconnu, du nom de Biddle, qui sera reprit au pied du premier juge de paix,
le Capo Berta. La montée de celui-ci propulse, à une trentaine de kilomètres
de l'arrivée, un groupe d'une quinzaine d'hommes dont la composition reflète,
à elle seule, l'hégémonie belge sur le peloton de cette décennie. Dix belges
sont au commandement : l'incontournable Eddy Merckx, le "filou" Roger
De Vlaeminck, le boulimique Freddy Maertens, le "chasseur" Walter
Godefroot et le novice Jean-Luc Vandenboucke accompagnés des sprinters du cru
tels le pistard Patrick Sercu, le "Doyen" Eric Leman, le sculptural
Rik Van Linden et le râblé Wilfried Wesemael.
L'opposition appartient, dans ce contexte seigneurial, au domaine de l'anecdotique
car nantie de seulement cinq piètres unités. En revanche, la composition de
ses "empêcheurs de tourner en rond" est de nature à causer de gros
soucis ponctuels aux représentants de sa "Gracieuse Majesté", le
Roi Baudouin. En effet, la présence de trois transalpins : Francesco "Cecco"
Moser, Wladimiro Panizza et Giambattista "GB" Baronchelli, est de
nature à refroidir les ardeurs des plus enthousiastes. Ajouter, à cela, un
petit "Mangeur de grenouille", Michel Laurent, dont la notoriété
ascendante n'est plus à démontrer depuis son triomphe lors de la très récente
"Course au Soleil", un Néerlandais, bon teint, Gerry Knetemann,
finisseur "glouton" hors norme, risque d'exacerber les distensions
tenaces et insidieuses qui émanent des "égos" surdimensionnés de
nos coursiers Wallons et Flamands. Le nombre de sprinters de haut vol au sein
de ce groupe princier, indisposait fortement le "Cannibale" qui, sur
la route du bord de mer, multiplia, alors, les attaques à répétition, en
vain dans un premier temps car toujours réprimées par un Roger De Vlaeminck,
des grands jours, ennemi juré du Wallon.
Pourtant, à l'approche du Poggio
di San Remo, là où la tension est à son paroxysme, en ce lieu mythique où
les coureurs rapides et véloces tentent de s'économiser au maximum, dans le
but de ne pas brûler trop de cartouches (les 250 km de course sont atteints)
en vue d'un éventuel emballage final, Eddy Merckx, démarre sèchement, de
derrière, et prend immédiatement une centaine de mètres d'avance, que ni
De Vlaeminck, ni Van Linden qui se toisent mutuellement , ne colmateront. Un homme, pourtant, parviendra, au prix d'un effort violent, à recoller, à
mi-pente du Poggio, à "l'ogre" Bruxellois, c'est le néophyte Jean-Luc
Vandenbroucke. Parti en poursuiteur, qu'il demeure malgré tout, l'oncle de
l'inénarrable Frank, parviendra, chose assez rare pour être soulignée, à
boucher le trou de deux cent mètres que le "Cannibale" s'était ingénié
à creuser !
La montée brutale, puis la descente vertigineuse du Poggio s'avèreront,
toutefois, être un véritable calvaire pour le jeune Belge. Souffrant le martyr,
dans la roue de son aîné, il perdra, au fil des kilomètres, de sa superbe.
Toujours flanqué de son encombrant "fardeau", à l'entrée de San
Remo, Eddy Merckx, lui, caresse les pédales comme à ses plus beaux jours,
la hargne l'habite et un rictus imperceptible apparaît, alors, sur son faciès
déformé par l'effort consenti. La notion de revanche qui l'anime, à ce moment
précis, est palpable et implacable et l'on craint, unanimement, que le pauvre
Vandenbroucke ne paie cash l'année de purgatoire que "l'Ogre" Bruxellois
vient de traverser. Refusant, néanmoins, obstinément la fin inexorable que
les suiveurs lui prédisaient, le jeune présomptueux s'appliquera à prendre,
naïvement, la tête du duo infernal, lors des deux bornes de plats précédant
la Via Roma et roulera comme un forcené pour montrer au "Patron"
qu'il ne rechignait pas à l'ouvrage, lui, le "Petit Poucet".
Mal, lui en prit, bien évidemment, car l'ô combien expérimenté et rusé
Eddy n'en attendait pas tant, et ce fut une formalité, pour le recordman des
victoires dans la classique Transalpine, de régler au sprint, sans opposition,
son jeune compagnon d'un jour et d'ajouter, ainsi, un septième bouquet à son,
déjà et désormais, extraordinaire palmarès.
Ce fut, hélas, la dernière Grande Course, gagnée par le coureur le plus fabuleux
de tous les temps, passé, présent et, soyons en certain, à venir.
Michel Crépel