15° étape - Perpignan-Ax les Thermes
René VIETTO (Fra) 17 février 1914 - 14 octobre 1988
Col de Puymorens - 1931 mètres d'altitude - 25 kilomètres d'ascension
René Vietto, jeune Cannois de 20 ans, participe au
Tour de France pour la première fois. Ses qualités de grimpeur lui ont permit
d'intégrer l'équipe de France pour épauler son leader, Antonin Magne. Au départ de cette 15° étape, Antonin Magne, porteur du Maillot Jaune,
veut "tester" ses adversaires, notamment l'Italien Giuseppe Martano, qui n'est
qu'à 2' en attaquant l'ascension de Mont-Louis. L'ascension du col de Puymorens
n'apporte rien et René Vietto passe en tête devant son leader. Dans la descente,
Antonin Magne chute et brise la jante (en bois) de sa roue avant. "Donne-moi
ton vélo, René" crie-t-il à son
jeune co-équipier, "non, mais prends ma roue..."
Le Maillot Jaune n'hésite pas et fonce à
corps perdu dans la descente. A l'arrivée, Antonin Magne franchit la ligne avec
seulement 45" de retard sur Giuseppe Martano. L'étape est remportée
par Roger Lapébie. René Vietto ne gagnera pas le Tour de France cette année-là,
ni l'année d'après, ni les autres années... Mais il a écrit
une des plus belles pages de la Légende du Tour de France.
Précisions
de Jean Roussel : Bonjour, Au sujet du sacrifice de Vietto
dans la descente du col de Puymorens. J'ai les remarques suivantes à faire : La
roue de Vietto n'était pas adaptée aux encoches de la fourche d'Antonin Magne.
Vietto attendit la voiture de dépannage, ce qui donna lieu à la fameuse photo
qui fut tirée à des centaines de milliers d'exemplaires et même aujourd'hui
encore. Le maillot jaune, quant à lui, fut obligé de s'arrêter quelques centaines
de mètres plus loin. Speicher, le champion du Monde, arriva à ce moment et vit
que Magne était arrêté. Il lui passa sa roue qui s'adaptait parfaitement à la
fourche de son leader et attendit à son tour le mécanicien de la voiture de
dépannage qui venait de dépanner Vietto. Speicher et Vietto repartirent ensemble
et arrivèrent ensemble à l'étape (voir le classement). Contrairement à ce qui
a été dit par la suite ce n'est pas son vélo trop grand pour Magne, mais sa
roue que Speicher passa à Antonin Magne. Ce récit abrupte est issu des investigations
que j'ai faites sur cette histoire. Donc, si le sacrifice de Vietto fit pleurer
la France sportive, celle-ci ignora totalement que si Magne avait encore son
maillot jaune sur les épaules le lendemain matin au départ c'est grâce à Speicher
qui resta à ma connaissance silencieux sur le réel déroulement des évènements.
Il faut dire que personne n'était là pour filmer son geste et l'on sait que
pour les médias un événement n'existe vraiment que s'il est filmé ou photographié. L'écart
au classement général entre Magne et Vietto était tellement important que le
Cannois n'avait aucune chance à ce moment de gagner le Tour de France, mais
l'opinion sportive était convaincue du contraire, aidée en cela par les journaux
et la radio. Le vrai "sacrifice" de Vietto eut lieu le lendemain
lorsque la chaîne de Magne sauta dans la descente du Portet d'Aspet et que Vietto
qui avait attaqué les premiers lacets du col des Ares, apprit les malheurs d'Antonin
Magne, rebroussa chemin, remonta la pente du Portet d'Aspet et donna son vélo
à son leader. Après tout le "foin" qui fut fait sur le sacrifice de
la veille, Vietto voulut-il être à la hauteur de son abnégation présumée ? Où
son geste spontané fut-il celui d'un parfait équipier ? La personnalité de Vietto
était complexe et nous sommes là dans le domaine des spéculations. Si sa légende,
comme toujours, fut plus chatoyante que la réalité, il n'en reste pas moins
que par son talent, la noblesse de certains de ses comportements, son intelligence
et sa personnalité romantique, Vietto fut l'un des coureurs les plus attachants
de l'Histoire du vélo. À noter que le "sacrifice" de Vietto entre dans le cadre de ce
qu'on appelle aujourd'hui le "storytelling" c'est-à dire l'art de
raconter une histoire, pas l'Histoire, mais "une histoire". Les conseillers
des hommes politiques pratiquent cela journellement, mais les journalistes sportifs
avaient déjà saisi le principe à l'époque ! Henri Desgrange avait compris
d'instinct l'intérêt du "storytelling" (le mot n'existait pas) et de son impact
sur les ventes de "L'Auto" de la même manière qu'il était capable
d'occulter et même d'imposer une sorte d'omerta sur les circonstances
réelles de la mort du coureur espagnol Cépéda dans le TdF 1935. La responsabilité
de son organisation dans cette histoire-là était réelle, et il n'était pas de
son intérêt de la faire mousser comme cela a été fait pour le premier sacrifice
de Vietto. Jean Roussel PS : j'ai raconté tout cela, à une nuance près, dans mon bouquin "Il
était une fois le Tour de France" - Editions L'Harmattan.
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