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Daniel Bouvet : Souvenirs de mes années de cyclisme25 avril 2024  

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DANIEL BOUVET
SOUVENIR DE MES ANNEES DE CYCLISME

C'est en 1961 que je commence à m'intéresser au cyclisme. Je m'inscrivis en tout premier lieu à la Fédération Française de cyclotourisme, rue Boulanger, à Paris. C'est là que je fis mes premiers pas de cycliste. Je parcourus des centaines de kilomètres avec brevets fédéraux à l'appui, avant de m'intéresser vraiment à la compétition.

Originaire du département de la Sarthe, je suis né à Vivoin le 30 octobre 1946. Un gentil village de 740 habitants à l'époque où je fus élevé par ma grand-mère maternelle. A 14 ans, je rejoints mes parents à Paris.

C'est avec ma première paie que je m'achète mon premier vélo de course chez Mercier, avenue de la Grande Armée.

Au bout d'un an de cyclotourisme, je prends une licence à l'Union Sportive Electrique et Gazière, rue Bergère à Paris. Je courais pour la Fédération Sportive et Gymnique du Travail (F.S.G.T). Tous les matins, je me levais à 5 heures pour aller m'entraîner, avant de prendre mon travail. Les compétitions filaient leur train-train. Je ne me débrouillais pas trop mal, je finissais mes courses dans les quinze premiers. J'ai même été retenu pour participer au championnat de France F.S.G.T, ou j'ai terminé 19ème, mais cela ne me suffisait pas, je voulais aller plus loin et courir en F.F.C (Fédération Française de Cyclisme). Je me décidais à changer de club et j'adhérais à l'A.C.B.B (l'Athlétic Club de Boulogne Billancourt), club où l'on formait les plus grands champions. Nous avions Maurice WIEGAND comme Directeur Sportif et Christian RAYMOND comme entraîneur. En F.F.C ça roulait beaucoup plus vite en course. Je m'y faisais bien et finissais dans les quinze premiers. J'obtenais des points de classement mais ça ne me suffisait pas. Je m'inscrivis comme indépendant et anonyme chez Mercier où j'étais plus libre de courir comme je voulais et où je voulais. J'étais rémunéré au kilomètre. En course, parfois, je tombais sur le fils de Bobet, Jean-Louis, qui courait pour le Vélo Club de Versailles. Je côtoyais aussi à l'A.C.B.B le fils du boxeur catcheur, Patrick Charron, qui arrivait en course à bord d'une voiture de sport, une Triumph-Spitfire, nous, nous étions en car.

Par la suite, je changeais de club et je pris ma licence au sein d'un club de la Sarthe à l'A.C.B (Athletic Club Belmontais) à Beaumont-sur-Sarthe, près du Mans, à 2 km de mon village natal. J'ai rêvé aussi à deux Tours de France. A ce propos, j'ai quand même réussi à rentrer dans la caravane commerciale du Tour pendant 4 ans (de 1977 à 1980), alors que je n'étais qu'un modeste petit coureur.

C'est au hasard de mes rencontres que je fis la connaissance de Monsieur Eugène Tondut, un grand ami du directeur du Tour Félix Lévitan et qui avait été directeur sportif de l'équipe Mercier. Il avait également créé la casquette commerciale du Tour de France. Il me proposa de rentrer dans son équipe pour vendre le programme officiel avec cette fameuse casquette, pendant cette fameuse course de trois semaines. Fier de cette proposition, j'acceptais son offre. La directrice commerciale du Tour était Claude Lévitan, la fille de Félix. Nous avions trois voitures commerciales dans le Tour qui portaient comme logo "Sports-Loisirs-Atualités". Nous étions trois vendeurs par voiture, plus le chauffeur. Notre travail consistait à se déployer de chaque côté de la route un à droite, un à gauche et un autre à l'arrière de la voiture, et de proposer à haute voix le programme du Tour et la casquette. Nous étions rémunérés à la vente, plus nous vendions de casquettes, plus nous étions payés, avec les frais d'hôtel et de restaurant payés en sus. Ce qui payait bien, par rapport, à courir les primes sur un vélo. On gagnait trois fois plus.

Mon premier Tour dans la commerciale a eu lien en 1977  L'e départ avait lieu à Fleurance dans le département du Gers. Nous étions partis la veille de Paris et nous nous sommes arrêtés à Bergerac pour y passer la nuit. Puis nous avons repris la route pour arriver à 7 h à Fleurance. La voiture où je me trouvais était un break 504 Peugeot bien agencé pour notre travail. La deuxième voiture était un camion Peugeot G7 et la troisième un camion Transat Ford dont le responsable était le fils de Monsieur Tondut. La 504 était piloté par notre patron, la troisième par un ami de la famille. Et ce fut le départ du 64ème Tour de France.

Ca fait déjà 76 ans que le Tour existe. C'est Victor Goddet, le père de Jacques Goddet et Henri Desgranges qui ont eu l'idée de génie de créer et de mettre sur pied, cette épreuve grandiose, qui allait à l'encontre des idées et des habitudes du moment. Aussi, après quelques déboires, avec le temps aidant, l'acharnement des organisateurs, la passion du public, la partie fut gagnée. Et ainsi, depuis ¾ de siècle, le Tour de France parcourt près de 4 000 kilomètres en 22 jours de courses à étape, à travers toute la France et les pays voisins, s'arrêtant des les villes lui fournissant une bonne subvention. Le Tour satisfait des obligations de toutes sortes. Pour les organisateurs, les subventions municipales constituent la base de leur budget, près de 170 000 francs pour être ville-étape. Une somme considérable largement entamée par plus de 1 500 suiveurs, qui doivent être hébergés dans un confort de qualité.

Les directeurs du Tour, doivent installer chaque jour une véritable infrastructure dirigée, secteur par secteur, par une vingtaine de personnes. Ainsi, ces responsables des coulisses du Tour oeuvrent, d'années en années, pour que cette grande boucle est lieu et qu'elle soit des plus réussie.

Les géants de la roue qui sont Monsieur Jacques Goddet et Monsieur Félix Lévitan, dirigent tout à la fois une attraction sportive et une vaste kermesse commerciale et publicitaire.

Le Tour appartient également au monde des affaires. Il est un énorme support publicitaire. Et, ce phénomène économique c'est aussi 300 véhicules automobiles, 70 motos dont 44 de l'escadron motorisé de la Garde Républicaine, plus de 4 000 gendarmes et des centaines d'hommes de compagnies de sécurité, le chapitre le plus lourd du budget de l'organisation s'élève à près d'un milliard, sans oublier le service médical, qui comprend 4 docteurs.

Mais si le Tour existe avant tout grâce aux organisateurs et aux publicitaires et aux coureurs, il existe aussi grâce à ces quelques personnes qui travaillent dans l'ombre et dont nous allons faire un peu connaissance.

CAMERAMEN DANS LE TOUR

Il faut être grand et fort pour se promener dans le Tour avec une caméra de 14 kilos sur l'épaule, tout en ayant l'œil collé sur le viseur, afin de ne pas perdre l'action des coureurs, en faisant des acrobaties sur la moto, en risquant quelques belles gamelles, surtout dans les descentes de cols, lorsque les coureurs sont lancés à fond. Surtout que sur la moto il y a, avec le pilote bien sur, 750 kg de matériels. C'est donc un métier risque tout, mais que les caméramans sont heureux de faire au milieu de cette grande fête du cyclisme.

ET LE SERVICE MEDICAL

Il dispose de deux voitures, d'une moto en cas d'intervention urgente, de deux ambulances et d'un car de réanimation. Le service médical est présent une heure avant le départ de chaque étape et à la disposition de tous les coureurs et ce, pendant toute l'épreuve (faire des pansements, donner des médicaments). En cas d'accident grave, il y a l'hélicoptère, qui se dirige vers l'hôpital le plus proche. Et après chaque étape, le service médical fait la tournée des hôtels pour visiter les coureurs. Ainsi, son rôle est de nouer sans cesse des contacts avec tous les coureurs, afin de veiller à leur santé. Et, il arrive bien sur qu'ils doivent aussi soigner quelques suiveurs qui ne sont pas à l'abri d'un accident. Et, certaines fois, le service médical est obligé d'ordonner un abandon à un coureur. Ainsi le service médical du Tour veille merveilleusement à ce que cette grande armada soit une fête qui se passe sans accident.

Et il y a aussi un... MONSIEUR SECURITE

Qui s'occupe par exemple du compte-tour et de la cloche sur un circuit. Ca fait déjà un bon bout de temps qu'il est dans le Tour. Il a débuté comme chauffeur dans la caravane publicitaire, après avoir travaillé pour le compte d'une eau gazeuse, avant de rentrer de plein pied, définitivement dans l'organisation proprement dite. Son rôle avec plusieurs de ses collègues, c'est d'installer les barrières ainsi que les différents panneaux de distance aux approches de l'arrivée. Puis c'est de placer les podiums pour les chronométreurs et les juges, la tribune de presse et de la télévision. Un travail complexe ou les responsabilités sont importantes car, la sécurité doit être toujours assurée, pour éviter de voir se renouveler certaines catastrophes comme les accidents à l'arrivée du peloton. En plus de cela, il doit faire le service d'ordre, pour tempérer la fougue des spectateurs en employant des moyens énergiques car c'est fou ce qu'il peut y avoir comme faux journalistes ou faux directeurs sportifs qui arrivent à se faufiler. Mais le moral de Monsieur Sécurité est toujours là. Et le travail des... chronométreurs.

Le travail des chronométreurs dans le Tour, commence bien avant le départ de l'épreuve. Ils sont trois. Et dès qu'ils ont les caractéristiques et l'itinéraire de la course, le chef chronométreur prévoit les fiches imprimées, pour le plat, la montagne, les contres la montre. Ainsi ils font un jeu de fiches pour chacun des classements individuels et par équipes. Les autres classements ou n'interviennent aucun temps, sont confiés aux juges à l'arrivée. Pour les délais d'élimination, ils doivent les calculer et les fixer très vite, sans faire d'erreurs. Les classements, le calcul des moyennes, des écarts, des délais représentent un travail énorme. Surtout que tous ces calculs sont faits dans une ambiance de fin d'étape, c'est-à-dire que le calme n'existe pratiquement pas. Et malgré cela, les erreurs sont pour ainsi dire inexistantes, car les classements sont toujours vérifiés sérieusement, fort tard dans la nuit. Ainsi, pour ces chronométreurs du Tour, durant trois semaines, résister à cette ambiance très particulière est un petit exploit, qu'ils savourent beaucoup mieux après le tour, en pensant avec un certain brio au prochain Tour.

Et à combien revient une équipe de coureurs ? Prenons exemple sur la défunte équipe Fiat, qui est la seule référence connue au niveau du budget d'une équipe, car il est très difficile d'obtenir des chiffres exacts :
Frais de base :
- Personnel, comprenant le directeur sportif, son adjoint, un mécanicien, quatre soigneurs, un médecin : 300 000 francs, auxquels s'ajoutent les charges sociales.
Matériel roulant :
- Deux voitures de tourisme équipées spécialement, un break, un camion : 200 000 francs.
Equipement :
- Collants, maillots, casquettes, survêtements, chaussures etc... : 100 000 francs
Frais exceptionnels :
- Logements, indemnités de repas, frais de voyages, etc... : 200 000 francs
Camp d'entraînement : 100 000 francs
Inscription au Tour : 110 000 francs
Salaire des coureurs : 500 000 francs pour les charges sociales

Voilà, juste pour vous donner une idée du prix que revient le financement d'une équipe.

Et en dehors de tout cela, qu'y a t-il ? et bien nous les vendeurs de casquettes, les voltigeurs du Tour, les mal-aimés du Tour. Mais comment s'est faite mon entrée dans la grande bouche ? Passons donc au prochain chapitre.

CHAPITRE I

MES ANNEES CYCLISME

Nous étions fin juin 1977 et le grand jour tant attendu arriva, avec impatience. Aussi après avoir fait les dernières recommandations à ma femme et après l'avoir embrassé ainsi que mes deux enfants, je pris, un peu énervé, le chemin de Clamart. Pensez, quelle belle compensation pour moi que de pouvoir participer au Tour de France au sein de la caravane publicitaire, grâce à un concours de circonstances très heureuses. J'étais vraiment enchanté et ébloui à la fois.

Le départ du Tour cette année-là avait lieu dans le Sud-Ouest. Nous devions être à Fleurance dans le Gers, le jeudi 30 juin, pour être au prologue. Nous sommes partis la veille, dans l'après-midi, avec notre voiture publicitaire au sigle "Sports-Loisirs-Actualités", joliment décorée.

Au volant se trouvait M. Tondut, à côté de lui sa femme, derrière, il y avait Didier, Michel et moi. Michel travaillant déjà depuis quelques années avec M. Tondut et puis il y avait tout le chargement de camelote : les programmes officiels, l'Edition Spéciale de l'Equipe, pour le Tour, et quelques cartons de casquettes officielles du Tour, une très belle casquette blanche à bandes tricolores aux couleurs du drapeau français. Monsieur Tondut ayant l'exclusivité sur cette casquette. C'est d'ailleurs lui qui a eu l'idée au début du siècle, au début des premiers Tours d'antan, de lancer la casquette du Tour de France.

Ainsi pendant le voyage nous avons tous pu faire plus ample connaissance. Et tous, nous nous trouvions décontractés, on se sentait à l'aise. Vers 23 h, nous nous sommes arrêtés dans un hôtel de Bergerac pour nous restaurer et pour passer la nuit. Tous un peu courbaturés, après un périple de plus de 500 km et la 504, un break, avait besoin elle aussi de souffler, après avoir roulé sous un soleil brûlant.

Nous sommes repartis au petit matin. Et vers 9 h, nous arrivions à destination. Le prologue, ou le lancement du Tour de France 1977, avait lieu vers 15 h de l'après midi. Une toute petite étape, en plein centre de la ville, qui servait surtout à donner un petit classement de départ, avant le grand jeu et les longues étapes, ce qui nous donnait largement le temps de nous préparer, de préparer la voiture et de prendre tous les papiers officiels ainsi que les plaques de voitures et nos plaques personnelles, avec nos photos, notre numéro, notre nom et notre qualité, c'est-à-dire une carte d'identité bleue, avec en tête : "Le Parisien et l'Equipe", un peu plus bas, en plus gros : "Tour Expo-Presse Vente" et encore plus bas : "77, Tour de France" et pour terminer, le nom et le prénom et la qualité, pour moi : "Vendeur, programme officiel" et la photo et à côté le numéro. On était tenu à la garder accrochée par un cordon à notre cou, bien en évidence, j'étais heureux d'avoir cette carte, ça faisait bien, je me sentais un autre homme, plus fier de moi et puis on avait la côte. Les gens nous regardaient, nous admiraient. Les petites minettes tournaient autour de nous, nous étions un peu comme des petites vedettes, quoi. Et pour ma part, j'avais du mal à y croire.

Fleurance est une adorable petite ville du Gers, de quelques 3 000 habitants, elle est une bien belle bastide datant du temps lointain, de 1280 et qui a gardé son style et son plan de l'époque mais qui a revêtue, ce jour là, à l'occasion du Tour de France, une allure de fête, de parade. Parée de tous ses oriflammes, dansant sous les rayons scintillants du soleil du midi ouest de la France, pour accueillir les géants de la route. Aussi, à notre arrivée, il y régnait une certaine effervescence, un certain entrain, une certaine activité. Tout le monde se pressait, se bousculait dans la joie, les rires, les cris et la bonne humeur. Les citadins poussaient des regards admiratifs, en voyant tout ce déferlement, tout ce déploiement. Ils étaient comme hypnotisés, par toutes les couleurs étincelantes des voitures publicitaires et par les voitures sans portières du service des courses, portant sur leur dos, telles des tortues, les merveilleux vélos, tous embués de lumières flamboyantes et multicolores. Cherchant du regard une vedette de la petite reine, ou bien encore une vedette de la radio, tels un Pierre Bonte ou un Jean Amadou, pour essayer de soutirer l'autographe tant désiré depuis des années.

Et l'après midi, dans un bain de foule, sous un soleil éclatant, ce fut le coup d'envoi du 64ème Tour de France.

Le temps pour Didier et moi de nous mettre très timidement dans l'ambiance. Notre voiture se plaça sur le circuit à un endroit propice où la plupart de la foule de spectateurs débouchait. Nous avions installé nos casquettes, derrière la voiture, accrochées sur un sandow, bien tendu, le coffre étant surélevé par deux barres spéciales fixées à un marchepied. Nos programmes étaient mis également bien en évidence aux yeux du public, bien alignés sur le plancher arrière de la voiture. M. Tondut était naturellement le chef de la voiture et le responsable et parlait de temps en temps au micro. Mme Tondut, cette très charmante dame, s'occupait de la caisse et Michel vendait au cul de la voiture. Quant à Didier et moi, et bien nous devions aller au devant des spectateurs en nous promenant dans la foule, tout en présentant nos programmes que nous tenions sur le bras et nos casquettes que nous avions dans la main, avec une musette, un monnayeur, nous entourant la ceinture et une casquette tricolore sur la tête, pour bien la faire voir au public, pour bien la mettre en valeur. Et nous voilà partis, un peu épouvantés de ce qui nous attendaient. Mais il fallait y aller et foncer. Nous étions-là pour faire du fric et nous savions que plus on vendrait et plus on serait payés. Et c'est d'une voie un peu fluette, que nous annoncions notre programme. Ca ne marchait pas trop. Et puis ce qui nous a surpris c'était de voir de si nombreux marchands de casquettes, bien sur pas les mêmes que les nôtres mais ça décourageait quand même. Mais nous reprenions, d'une voie un peu plus forte : "Demandez le programme, 5 francs la casquette".

Les gens se retournaient sur notre passage, nous fixaient, on avait l'impression qu'ils allaient nous sauter dessus, nous étouffer, nous manger. Alors, on rentrait dans notre coquille et pour nous remonter avec l'ami Didier, on allait boire une bonne bière à un stand :
- Alors les gars, nous dit le serveur, ça marche vos casquettes ?
- Ben, répondit Didier avec son accent normand, pas trop. Et d'autant plus que c'est la première fois qu'on fait ce boulot.
- Bien sur s'exclama le serveur, c'est un boulot ingrat, mais on s'y fait vite. Vous verrez. Le tout c'est de se sentir plus fort que la foule et il faut que vous vous imaginiez que tout ces gens sont sur un pot de chambre.
- Ouais, peut être, lui dis-je. En tout les cas, ça n'a pas l'air facile.
- C'est sur, mais n'ayez pas peur de gueuler, il faut y aller, rire avec les clients, leur parler avec un certain humour. Allez les gars, salut et bon courage.
- Oui et merci des conseils, proclamais-je. Et nous retournions dans la foule et cette fois avec un peu plus de cran, un peu plus remonté, puis :
o Monsieur, s'il vous plait, c'est le programme que vous avez là ?
o Oui, monsieur
o Très bien, donnez moi le. C'est combien ?
o Cinq francs Monsieur avec la casquette
o Tenez, voici.
o Merci beaucoup Monsieur
o Je vous en prie.

Enfin, mon premier client. Ca me remontait le moral. Surtout après une demie-heure de travail. Aussi, après y allais-je de bon cœur et mes casquettes et programmes partaient, au fur et à mesure que j'avançais parmi les gens. Tantôt une dame, tantôt un monsieur, tant un groupe. Ca faisait vraiment plaisir. Et au bout d'une heure, je retournais à la voiture chercher du stock.
- Alors Daniel, ça marche, mon gars, me demandait M. Tondut ?
- Oui, un peu, mais j'ai eu du mal à décoller.
- C'est normal, c'est le premier jour. Tu n'as pas l'habitude. Et puis aujourd'hui, c'est très dur. Tu ne peux pas te rendre compte, toute la caravane publicitaire et commerciale est concentrée sur le circuit, mais tu verras, demain sur la première étape ça sera beaucoup mieux, beaucoup plus intéressant. Et ce n'est d'ailleurs pas le même genre de travail, la même façon de travailler. Et Didier, ça va ?
- Oui, je crois. Un peu découragé mais il a l'air de s'y mettre, bon et bien j'y retourne.
- C'est ça mon gars, vas-y. A tout à l'heure.

Et me revoilà parti sur le champ de bataille.

Le lendemain enfin, nous étions prêts pour le grand départ, de la première étape qui nous dirigeait sur Pau.

Assis à l'arrière de la voiture, les pieds reposants sur le marchepied, la porte du coffre surélevée, retenue par les deux barres verticales, qui servait également à nous retenir et à faire de la voltige, nous sommes partis en petit short, tee-shirt et chaussures de sport, avec une casquette sur la tête, avec notre monnayeur autour de la taille, avec les rayons du soleil pour nous accompagner.

Notre tâche était bien définie. Moi je travaillais à gauche de la voiture, Didier à droite et Michel restait à l'arrière de la voiture.

Tout au long de l'étape notre travail consistait de descendre de voiture en respectant chacun, notre côté, pour aller voir, tout en courant, les groupes de spectateurs rangés sur les bas-côtés de la route. Etant minuté, il faillait donc faire vite. Le règlement du Tour spécifiant, que devait partir en premier et deux heures avant les coureurs, la caravane commerciale du programme officiel, puis une heure après la caravane publicitaire, celle qui jetait les prospectus et ensuite la presse puis bien entendu les coureurs. Il ne s'agissait donc pas de traîner et de se faire rattraper par les coureurs. Mais de toute façon, ça ne devait pas arriver, puisqu'il y avait un motard qui était-là pour nous pousser et qu'on appelait d'ailleurs le pousseur, un garçon très chouette. Et puis il y avait les concurrents, les autres vendeurs de casquettes donc il fallait également jouer au plus fin et au plus malin et ne pas s'arrêter n'importe où. Mais là aussi il y avait un règlement, qui existe toujours d'ailleurs. On devait jouer à l'américaine avec les autres voitures commerciales et ne pas s'arrêter sur un coup, ou il y avait déjà une voiture de vente de stationnée. Par contre, on pouvait, si le groupe de spectateurs s'échelonnait sur plusieurs centaines de mètres, s'arrêter soit en queue du groupe, soit au milieu, soit en tête, ça dépendait bien sur de l'endroit où était arrêté la première voiture de vente. En général, chacun jouait le jeu. Bien sur, parfois il y avait de petits accrochages entre vendeurs.

Donc nous, ce que l'on faisait surtout, c'était de la voltige et de la course à pied au sprint, tout en annonçant ce qu'on vendait et en faisant attention à ce que les gens comprennent ce qu'on leur proposait et puis avoir terminé un groupe, il s'agissait d'attraper la voiture au vol, par la barre du coffre, au signal de notre chauffeur qui nous appelait au micro. Notre 504 étant aussi une voiture radio. En général, on se tenait debout sur le marchepied, pendant toute l'étape. Heureusement, il y avait la porte du coffre au-dessus de notre tête, qui nous servait de pare-brise, car on aurait pris beaucoup plus de poussière à travers le visage. Mais le soir par contre, on avait le cou noir de poussière ainsi que le col du tee-shirt. En général, on roulait toujours à fond, comme dans un rallye automobile. Nous arrêtant quelque fois sur le côté gauche de la route et quelque fois sur le côté droit, ça dépendait ou se trouvait concentré le plus grand nombre de spectateurs. Aussi, quand il fallait traverser la route, pour nous voltigeurs, ça comportait des risques, car on descendait en marche, à une certaine vitesse évidemment et en courant aussitôt après avoir touché terre, et avec les autres voitures de la caravane qui arrivaient à toute vitesse, il ne s'agissait pas pour nous de s'élancer à l'aveuglette, en risquant de se faire happer par une de nos voitures.

La vente marchait nettement mieux sur les étapes. Les gens étaient plus sympas, ils achetaient un peu plus facilement et puis notre casquette tricolore plaisait. C'était la lus belle de la caravane.

Le travail de Michel consistait derrière à vendre, à tenir la caisse et à nous passer la came. Lui, pendant le trajet était pour ainsi dire toujours assis, il ne se mettait debout qu'à l'arrêt. Aussi, il lui arrivait d'être courbaturé. Heureusement, il n'était pas trop grand et assez souple.

Pour le ravitaillement à cette époque là, c'est un camion qui nous ravitaillait. On avait rendez-vous, généralement tous les deux à trois jours, près d'une gare d'une ville-étape, pour nous éviter de chercher.

Le chauffeur du camion était un belge, très gentil, qu'on avait surnommé tête de moineau car il avait une petite tête. D'ailleurs chacun avait son surnom, après quelques étapes, Michel, c'était le beau Michel, car il avait de beaux yeux bleus, comme la mer, avec ses quarante ans passés.

Aussi dans cette chaude ambiance, Didier et moi nous nous sommes très vite mis dans le bain, au fur et à mesure que les étapes passaient. Pourtant Didier était moins doué que moi, il était plutôt mou, ne s'affolait jamais, prononçait mal devant les gens, car il lui manquait des dents devants et puis il n'avait pas de chaussures de tennis aux pieds, il avait des spartiates et était très radin, si bien qu'on avait fini par le surnommer "L'Abbé". Aussi, comme il ne s'en faisait jamais, Monsieur Tondut s'énervait et l'avait menacé de le renvoyer sur Paris. C'est vrai qu'il était énervant. Pour rendre la monnaie à une personne, j'avais le temps d'en servir trois, pendant qu'il cherchait les pièces à rendre dans son monnayeurs, c'était pourtant facile car le monnayeur possédait quatre compartiments, on pouvait donc bien séparer les pièces et les billets ce qui était plus facile pour rendre la monnaie, sans perdre de temps, d'autant plus que lorsque la musette se faisait lourde, on passait pièces et billets à Michel, qui les mettait dans une caisse spéciale. Ce n'était donc qu'une question d'organisation personnelle. Car pendant ce temps-là, lorsqu'on perdait du temps idiotement et bien les autres voitures de vente nous passaient devant le nez, ce qui nous faisait perdre des groupes de clients. Et en plus Didier, à cause de ses dents, annonçait : "Demandez la quéquette, demandez la quéquette, cinq francs la quéquette". Ca faisait rire bien sur, mais ce n'est pas pour ça qu'il vendait plus.

Puis au bout d'une semaine de Tour, après avoir passé l'Espagne, que je ne connaissais pas, sous un soleil aride, j'ai commencé à avoir mal aux pieds. J'ai essayé d'insister, mais rien à faire, je ne pouvais plus marcher. J'avais de la tendinite aux talons si bien qu'on m'avait surnommé "Le petit Daniel et ses chaussures à bascule". C'est vrai que ça me faisait marcher un peu en basculant, d'avant en arrière. Je ne pouvais même plus porter ma valise, le soir à l'hôtel. Et bien cela, par faute d'entraînement avant le Tour, et d'ailleurs je ne pensais pas faire tant de sport, dans la grande boucle. Aussi, il a fallu que Michel me remplace par la suite, pour courir en éventail devant la voiture, et malgré la quarantaine passée, il courait mieux que Didier. C'est vrai qu'il avait sept Tours dans les jambes, en tant que voltigeur, mais enfin tout de même. Quant à moi, je me retrouvais à la place de Michel, assis au cul de la voiture. Je trouvais ce travail moins intéressant. Je préfèrerais courir, mais hélas mes coquins de talons en ont décidé autrement. Cependant, je me fis très vite à ce nouveau job. Ca commençait à me plaire. J'étais très rapide et je le devenais de plus en plus. J'arrivais à servir quatre à cinq personnes en même temps. Pendant qu'une sortait sa monnaie, je tendais une casquette et un programme à une autre. Monsieur Tondut n'en revenait pas et me félicitait :
- c'est bien, mon petit gars, tu t'y mets bien. Ca te plait ?
- oh oui ! Monsieur, beaucoup.
- dis-donc ton copain l'Abbé, c'est pas ça, tu sais. Il ne s'y met pas et puis il me répond, je n'aime pas tellement ça. J'avais plus confiance en lui qu'en toi, au départ, mais je me suis trompé. Tu te débrouilles bien. Lui, l'année prochaine, je ne sais pas si je le reprendrais. Je ne le crois pas.

Et puis de ce fait, je devenais plus sur de moi. Je prenais de l'assurance devant les gens. Je vendais avec un certain humour. Le petit baratin finissait par sortir tout seul et ça marchait. Et puis la casquette plaisait. C'était l'officielle, celle du Tour de France, avec la voiture du programme officiel. C'était déjà un peu plus facile. Les autres voitures commerciales, à côté ne faisaient pas le poids, pourtant elles avaient de la camelote à vendre, des casquettes au nom des coureurs, des posters, des magazines etc... Mais leurs casquettes n'arrivaient pas à la cheville de la nôtre. Et puis faut dire, que Monsieur Tondut connaissait son métier, après cinquante Tour de France. Il connaissait tous les filons, les erreurs à ne pas faire. Savoir se planquer quand il le fallait aux yeux d'un concurrent, ne pas partir trop tôt le matin sur l'étape, savoir revenir sur ses pas, bien étudier le parcours, bien repérer sur les cartes officielle, les points chauds et le moment ou il y aurait, à ces endroits, la plus grande concentration de spectateurs. Pour ça, Monsieur Tondut était un fin limier. Et il était respecté dans le Tour et par tous, ses concurrents, les officiels, les journalistes et même par la gendarmerie. D'ailleurs dans son jeune temps, il avait été directeur sportif d'une équipe, de Robic. Il avait commencé le Tour avec les plus grands noms du cyclisme et il est très respecté par son ami Félix Lévitan, encore aujourd'hui.

Monsieur Tondut avait trois voitures d'engagées dans le Tour. Avec le break 504, il y avait un J7 et Ford Transit blanc, conduit par son fils Philippe. Aussi, le soir quand on se retrouvait tous à l'hôtel, il y avait de l'ambiance, vous pouvez me croire, malgré notre fatigue physique. Vraiment, je commençais à me sentir bien dans ma peau, dans cette chaleureuse atmosphère. Madame Tondut était très douce très compréhensive avec nous, elle était le charme et la grâce de nos trois voitures "Sports-Loisirs-Actualités". Elle était un peu notre mère poule, à tous. Et le soir, après l'arrivée de l'étape, elle mettait un peu de fraîcheur parmi nous, elle nous enlevait un peu de notre fatigue, après avoir voltigé, sauté, couru pendant des kilomètres. On faisait bien entre 20 et 20 km par jour, sur une étape de 200 km. Et M. Tondut, pour nous il était Gégène. Mais personnellement, moi je ne me fis jamais à cette sympathique appellation. J'avais bien trop de respect, pour lui. Quant à Didier, le Tour ça lui plaisait sans plus. Il était assez médiocre à la vente et un peu fainéant sur les bords, au niveau de l'effort physique. Alors que moi, j'y mettais tout mon cœur et je me défonçais à la tâche, malgré que la vente derrière soit assez pénible. J'étais toujours courbé pour travailler au fond du break, ou à genoux ou accroupi et il fallait travailler très vite. Passer les casquettes aux deux vendeurs voltigeurs, ramasser la monnaie, déplier les billets, passer les programmes, les plier et pas les donner n'importe comment, puis servir les clients. Alors, il arrivait que je sois débordé, lorsqu'il y avait foule au derrière de la voiture, servir mes clients, servir mes vendeurs, mais je ne paniquais pas et je m'en sortais toujours. Car j'aimais ça et je me donnais à fond, car l'ambiance du Tour était prenante, elle vous prenait au ventre et elle vous emportait, comme dans un tourbillon vertigineux.

Et les étapes s'échelonnèrent. Jamais le même paysage. Et moi qui ne connaissait pas la montagne, je puis dire que j'ai été ébloui, charmé, par cette majestueuse beauté. Par le spectacle enivrant de l'étalage de toute cette splendeur. Bercé par la verte campagne, le parfum embaumant des plaines, les forêts et les coteaux arides, éclairés par un soleil de flamme, luisant dans les prés fertiles en perçant les rameaux fleuris qui parfument les chemins et les bois. Dans l'air flottant un hymne de volupté, pendant qu'une eau pure et limpide dévale en cascade, le sommet de la montagne Frappé, arrivé, avec notre voiture à la cime d'un col, malgré les cris joyeux de la foule, de découvrir tant de merveilleuses choses, oh ! combien j'étais étonné à ce moment là, de voir une si belle nature et une France si belle.

Ainsi, malgré le peu de temps dont je disposais, j'ai pu remarquer avec des yeux émerveillés, ce prodigieux enchantement terrestre, d'une étape à l'autre. Jamais le même site, jamais le même décor. En Espagne, j'ai découvert un soleil de plomb et une terre sèche et poussiéreuse et un paysage aride et rocheux. Dans le nord de la France et en Belgique, des maisons grises et tristes, couvertes d'un ciel morose et chagrin. En Allemagne, un léger aperçu de la splendide forêt noire, avec au loin, sous une pluie fine, une très jolie ville typiquement franco-allemande "Fribourg". Quel contraste avec les villes du nord de la France, dont certaines comme la ville de Lens, sont implantées, en plein cœur des mines de charbon et étouffées par les gigantesques monts de poussière. Puis après avoir passé le Nord, puis l'Allemagne, que je connaissais déjà, puisque j'y avais fait mon service militaire, du côté de Sttugart, dans le sud de l'Allemagne, à Tubingen très exactement, une jolie petite ville universitaire traversée par le Neckar, un petit fleuve, nous sommes parties vers l'Alsace. Une Alsace merveilleuse, au site bien découpé et pittoresque, avec des maisons au style bien à elle aux toits très pointus et aux poutrelles de bois très apparentes. Et ensuite, nous sommes passés en Suisse. Magnifiquement vêtue par ses prestigieuses montagnes, étonnamment fabuleuses et éclatantes, aux pics des plus acérés, en plein centre d'un décor féerique certain. Mais c'est le sud-ouest de notre chère France que j'ai le plus apprécié, pendant ce Tour de France 1977. Avec son accent chantant, son soleil resplendissant, ses beaux vignobles, ses sites, ses vestiges moyenâgeux, ses filles au teint basané et son prestigieux passé.

La Gascogne et Henri IV, sa poule au pot, son foie gras et son armagnac, ses fêtes dynamiques et ses bandas, qui durent plusieurs jours, pendant toute une saison, dans tous les coins et régions de l'historique Gascogne.

Aussi, je dois dire que pendant ce long périple, qu'est la grande boucle qui déroule son ruban gris sur plus de 4000 km, j'ai décelé une France admirable, prodigieuse et fascinante, que je ne pensais pas trouver si séduisante.

Puis le 24 juillet 1977, la grande boucle fut bouclée, dans l'apothéose pour les géants de route, sur les Champs Elysées à Paris. Tous nous étions heureux et fatigués de terminer cette longue épopée, harassante et agréable à la fois, ou nous avons été accueilli partout, très chaleureusement, au sein d'une organisation formidable et de spectateurs extraordinaires, qui nous passaient des mots amicaux et parfois des verres de vin et des sandwichs, au milieu d'une équipe de copains très soudée. Et puis nous étions contents d'avoir gagné un peu d'argent et un peu ému aussi de nous quitter, en nous disant à très bientôt, en espérant refaire le Tour un jour.

Cette expérience extraordinaire, qui apprend à vivre et à souffrir.

Pour ma part, je pensais que c'était là mon premier Tour et peut être aussi le dernier, mais le destin en a décidé autrement.

CHAPITRE II

L'ESPOIR D'UN NOUVEAU TOUR

Ainsi, j'étais comblé. Moi qui pensais ne plus jamais refaire le Tour de France. Car déjà, c'était très bien d'avoir pu le faire au moins une fois. Mais Monsieur Tondut était content de moi et me proposa de refaire le Tour une nouvelle fois en 1978, puis 1979 et 1980, jusqu'au prochain et puis après on verra bien, car l'ami Gégène n'est plus très jeune à 77 ans passés. Peut être qu'un jour Mme Tondut reprendra la relève, car à 50 ans on est encore jeune et remplacera ainsi son mari. Et puis il y a le fils, Philippe, un très beau garçon de 30 ans, très sympathique, que je considère aujourd'hui un peu comme mon frère et qui suit les traces de son honorable père. Alors peut être, que je ferais le Tour encore de nombreuses années, qui sait, en espérant avoir un jour ma propre voiture d'engagée dans le Tour, en associé avec l'ami Philippe, qui sait. Mais je crois que je vois un peu loin. Enfin en attendant, je travaille chez un patron très compréhensif, au sein d'une verrerie du Lot et Garonne, qui me laisse partir au moment du Tour et que je dois remercier bien sincèrement, dans ce chapitre.

De ce fait, la petite Reine ne m'abandonnait pas, bien sur, sous une autre forme que sur une bicyclette, mais qu'importe puisque c'était dans le Tour, au sein d'une longue épopée à pied où se côtoie, la voltige, l'athlétisme et le cyclisme, au milieu d'une ambiance terrible et de cadres somptueux. Bien sur ce n'était pas de tout repos, au niveau des efforts physiques, pendant de longues journées.

Pendant le Tour, la journée se passe comme suit.

Le lever vers 6 heures du matin, on s'habille, on déjeune. On prépare la voiture, on la lave. On regarde si tout est en ordre à l'intérieur, si tout est prêt : les casquettes, les programmes, la caisse. On fixe les plaques officielles, car chaque soir on est obligé de les rentrer, pour en éviter le vol. Puis vers 8 heures on se rend sur le lieu de départ de l'étape et on commence la vente. Pourquoi se lever si tôt, car comme je l'ai déjà dit dans un chapitre précédent, on doit prendre deux heures d'avance sur les coureurs. En général, le départ des coureurs est vers 10 heures du matin et heureusement que nous avons deux heures d'avance sur eux, car avec le temps qu'on perd sur l'étape à la vente, parfois il ne reste plus qu'un quart d'heure devant nous à l'arrivée et même parfois on ne peut même pas travailler dans les 20 derniers kilomètres de l'étape. C'est pour vous dire et c'est pour cela qu'il faut toujours faire vite, aller vite, foncer, faire de la vitesse au risque d'un accident, lutter contre la montre, lutter contre les concurrents, les coureurs, la caravane publicitaire. Car si on se laisse doubler par la caravane publicitaire la vente est finie, car les spectateurs ne s'intéressent plus qu'au passage de la caravane, à son humoristique, à son spectaculaire, à ce qu'elle donne, quitte même à se faire renverser, ce qui arrive assez souvent. Alors pour nous après son passage plus question de vendre. On se fait passer pour des truands. C'est la raison pour laquelle on est aussi, les mal aimés du Tour. D'autant plus que dans le Tour, il y a très souvent des voitures bidon qui n'ont rien d'officiel maquillées sous de fausses plaques et qui généralement vendent des nougats. Alors ces voitures, on peut dire qu'elles sont remplies de vrais truands. D'ailleurs ces gens là, on ne les aime pas, ils nous font du tort, même à Monsieur Félix Lévitan, c'est-à-dire à l'organisation elle-même. Nous on les appelle les requins, car ces messieurs qui ont tout l'air de gitans se permettent de prendre des billets de 100 et 500 francs et de s'engouffrer au plus vite dans leur voiture, sans rendre la monnaie et de démarrer en trombe. Ce qui fait le bout de nougat vraiment cher. Mais heureusement, il y a des plaintes et la police du Tour est là, qui veille. Et c'est ainsi que ces messieurs ont eu plusieurs voitures de saisie dans le Tour. Mais ce qui n'empêche, qu'ils reviennent à chaque Tour, ce qui est regrettable pour tout le monde, pour la beauté du spectacle et pour la beauté du Tour.

Quant aux accidents, à la vitesse que nous tournons tous, ils arrivent fréquemment. C'est ainsi qu'en 1978, avec l'ami Michel au volant (car M. Tondut fit son dernier tour comme pilote en 1977 et c'est donc Michel le vendeur qui m'avait remplacé lorsque j'ai eu ma tendinite aux talons, qui pris sa place) nous avons eu un premier accident. Nous avons renversé une vache, alors qu'elle débouchait d'un chemin, sans aucune visibilité, alors que arrivions et ce sur une route départementale. Nous n'avons rien eu, c'est le phare droit qui a tout pris, nous n'avons même pas ressenti le choc, alors que j'étais assis à l'arrière avec un autre vendeur. Si bien que j'ai dit à ce dernier : "Dis donc, tu as vu, il y a une vache que pique-nique dans le milieu de la route".

Mais la vache, elle non plus, n'avait rien, elle s'est relevée très vite et est partie en courant vers son pré. C'était dans le Gers si je crois me rappeler.

Un peu plus tard, nous avons eu un autre accident et cette fois en traversant une route nationale, par la faute d'un gendarme qui n'a pas fait son travail, ainsi nous nous sommes faits plafonner en plein flanc gauche par une autre voiture. Cette fois, nous y avions laissé une portière et le petit vendeur qui était à côté de moi debout sur le marchepied a eu quelques coupures à la main droite.

C'est aussi cette année là, que nous avons perdu le Peugeot J7, d'une de nos équipes en Auvergne, alors qu'il faisait la chasse à un autre concurrent. Là, tous les gars de l'équipe du camion furent blessés et la plupart ont dû regagner Paris. Pour eux le Tour était terminé.

Puis en passant les Pyrénées, alors que nous venions de franchir le col, il y eut un attentat à la bombe, fomenté par les basques. Ouf ! nous avons eu chaud.

En 1979, heureusement nous avons eu la chance de passer à travers toutes ces choses là. Mais en 1980, c'est-à-dire cette année nous avons été un peu moins chanceux. Alors que la route de la course était fermée, nous avons pris un motard de plein fouet, dans un virage, alors qu'il venait en sens inverse. Il accompagnait la voiture d'un homme malade. Le motard est passé entre la gauche de notre voiture et le talus surplombé très haut. Il est passé par-dessus sa moto, mais heureusement il n'a rien eu. Bien nous roulions complètement à gauche mais la route était fermée et c'est le motard qui a été en tort. Aussi pour nous, ce n'est pas bon de repartir trop tôt, car la route n'est fermée qu'une heure avant le passage des coureurs. On s'expose donc à l'accident à chaque instant, dans notre travail, si on prend trop de risque ou si on ne respecte pas le code de la route, il faut donc que le pilote de la voiture soit très vigilant, car le danger est permanent même lorsque la route est bouclée, la preuve.

Puis nous avons assisté à plusieurs accidents qui venaient de se passer. Sur une nationale, un motard a plafonné une voiture qui venait en sens inverse, c'est lui qui a tout pris. Une autre fois, c'est un petit garçon qui s'est fait renversé en bordure du trottoir, par une voiture de la caravane de vente, alors qu'il ramassait des papiers publicitaires, il est venu frapper la tête sur la bordure du trottoir, il était indemne, c'est une chance, là, encore. Et je puis dire qu'en quatre Tour de France, je n'ai assisté à aucun accident mortel. Par contre, c'est arrivé dans le circuit du Dauphiné Libéré, un camion de vente s'est retrouvé dans un ravin, ce qui a fait quatre morts. Enfin, voilà, c'est là le plus mauvais côté du Tour. Il fallait bien que je vous en parle. Mais n'en restons pas là et continuons le planning de notre travail d'une journée dans la grande boucle.

L'étape se termine, généralement vers 17 heures. Aussi, lorsque nous avons pris un peu d'avance, avant l'arrivée des coureurs, on va proposer le programme dans les tribunes. Mais très souvent les spectateurs, sont déjà coiffés, soit par d'autres voitures de vente, soit par Michelin, qui jette les casquettes gratuitement. Autant vous dire, qu'à ce moment-là, la vente est terminée pour nous. On se fait huer par les spectateurs et agonir de tous les mots. Alors, on se rend, normalement tous les deux ou trois jours, vers la gare, au ravitaillement. A mes premiers Tours, c'était un camion qui nous ravitaillait, mais ce n'était guère rentable, aussi maintenant, c'est par le train, en container. C'est aussi bien. Après avoir pris les cartons de casquettes et les programmes et après les avoir chargés dans la voiture, nous partons vers l'hôtel. Parfois, nos chambres sont louées à l'avance par Gégène, parfois elles ne le sont pas. Dans ce cas-là, c'est la course à l'hôtel, quelque fois elle dure des heures, d'autres fois que quelques minutes. Aussi pour nous c'est-là une fatigue supplémentaire. Surtout une fatigue nerveuse, après une étape harassante physiquement. Nous recherchons particulièrement l'hôtel en dehors des villes, pour dormir plus calmement et pour manger plus naturellement. Car un bon repas le soir (étant donné que nous n'avons pas le temps de casser la croûte le midi sur l'étape) est donc nécessaire pour tenir le coup pendant la majestueuse épopée cycliste, pendant plus de trois semaines de durs efforts physiques.

Après avoir trouvé l'hôtel, et après avoir pris nos chambres, généralement des chambres à deux lits, car de cette manière les frais sont partagés en deux, notre travail n'est pas encore fini. Il faut préparer la voiture, pour le lendemain. La laver, bien ranger, après les avoir pliés, les programmes, à portée de main. Les cartons de casquettes également. Faire l'inventaire de la voiture. Compter les casquettes, celles qui restent, les programmes. Normalement, deux gars s'occupent de la voiture pendant que deux autres vont faire les comptes. Compter l'argent, faire les liasses de billets, les rouleaux de pièces. Un travail assez long, car les billets sont tout froissés, il faut donc les défroisser, puis les trier, ainsi que les pièces qui sont en vrac, dans une caisse. Après ce travail, il faut s'occuper un peu de nous, car après une étape nous sommes dans un état lamentable, recouvert de poussière, sentant la sueur. Il faut donc nous laver, nous doucher, dans un certain laps de temps. Car, à l'hôtel, au niveau du restaurant il ne faut pas trop traîner pour passer à table, ça la fout mal. Et puis après avoir dîné, il faut laver notre linge. Tous les jours en général, car le change est vite sale et le temps qu'il sèche, on aurait plus rien de propre à se mettre. D'autant plus qu'au Tour, une bonne présentation est nécessaire, surtout au niveau de la vente. En dehors de tout ceci, il y a comme je l'ai déjà dit, le ravitaillement à faire, dans les gares heureusement pas tous les jours, car il nous fait perdre une bonne heure et le temps d'aller à l'hôtel, il est tout de suite 20 heures. Alors là, pas question de se doucher avant de dîner et même de préparer la voiture, ce qui nous fait lever une heure plus tôt le lendemain. Normalement, on se couche vers 23 heures et on se lève vers 6 h. Pour les étapes de montagne, par contre, on se lève beaucoup plus tôt, vers 5 heures. Donc vous le voyez, on n'a pas beaucoup le temps de chômer, au Tour. Même pas le temps de draguer, remarquer c'est aussi bien ainsi, car le repos du guerrier, avec une bonne nuit sans femme, retape le bonhomme, pour remettre ça le lendemain. Voilà, en gros nos activités du Tour, pendant la journée, ainsi que pendant les week-ends. Car au Tour on ne connaît pas les week-ends. Ils n'existent pas. En gros nous avons deux étapes de repos. Donc, pour faire la grande boucle, il faut être costaud et aimer la vie de nomade, de forain même. Mais c'est quand même chouette. C'est une grande expérience, dans une chaude ambiance. Et merci à DIEU, de m'avoir permis de le faire. Le Tour on y revient toujours. Et deux trois mois avant son départ, ça commence à vous démanger, dans vos jambes, dans votre cerveau, dans votre corps. Oui, c'est quelque chose de grand, de beau le Tour de France.

CHAPITRE III

LES COULISSES DU TOUR DE FRANCE

Ainsi, nous sommes caravaniers du Tour de France, comme des baladins. Jamais dans la même ville, jamais dans le même décor, jamais dans le même hôtel, jamais dans le même restaurant où les spécialités ne sont jamais les mêmes. Et les étapes, de ce fait, en ce qui les concerne sont très variées et très diverses.

Il y a les étapes de montagnes qui nous font lever très tôt à l'aube, où l'on découvre parfois en haut d'un col, le brouillard, le froid, la neige, la glace, le vent cinglant. Un col, on peut dire, que nous les voltigeurs du Tour, on se le farci très souvent à pied. Aussi, très souvent aux sommets des montagnes, on rencontre tous les temps, toutes les saisons, toutes les températures. Ainsi, ne voit-on pas succéder à la pluie du Nord, au soleil des Alpes, du Ventoux et du Midi, le brouillard et le froid glacial des Pyrénées. A travers les pentes arides et les chemins à chèvres, d'où surgissent les gros rochers incandescents, au sein d'un paysage féerique. Ainsi, dans l'ascension des cols, dans la plaine, ou sur les pentes, les coureurs s'égrènent en un long chapelet de rêve, pendant des kilomètres et des kilomètres comme dans le fameux Tourmalet haut de 2 115 mètres, qui comporte dix kilomètres d'ascension. Mais le plus dur, c'est encore le col du Galibier d'une valeur de 2 645 mètres, à s'envoyer à pied et au petit trot. En 1979, il y faisait une chaleur torride, avec des milliers de spectateurs, entrain de pique niquer sur les bas côtés. Arrivé au sommet, j'étouffais, je n'arrivais plus à respirer, c'était atroce, surtout qu'il fallait grimper sur les sommets verdoyants et pierreux là ou les voitures ne peuvent aller. Alors attention aux entorses. Et cette année, dans ce col, nous y avons trouvé à la place de sympathiques spectateurs, des blocs de rochers et des blocs de glace, avec de la neige et un blizzard pénétrant. Aussi, il arrive que dans le bas du col, nous sommes encore en petit short et en tee-shirt et arrivés dans le haut nous nous retrouvons en pull et imper.

Par contre, un col que j'aime, que j'adore, dont le décor est très beau, très romantique, qui n'est pas très haut 1 850 mètres et qui grimpe en épingles à cheveux, c'est la prestigieuse Alpe-d'Huez. Au moment de notre passage, le soleil est toujours au rendez-vous. De ce fait le lieu est sous un certain charme, paré de beaux habits étésiens, avec tout un échantillon de jolies filles en tenue légère, très sexy, en bikini. Parfois sous une petite robe décolletée, on aperçoit le petit triangle d'un beau petit slip, du plus charmant effet. C'est peut-être là, d'ailleurs, le fait le plus marquant et le plus séduisant du Tour de France, qui remonte le moral. Ainsi, en étape de plat, en pleine campagne sur une petite route qui sentait bon la fougère, l'aiguille de pin, la framboise et la ronce en fleurs, il m'est arrivé avec mon équipe de croiser une jolie fille vivant de ses charmes, assise sur le capot d'une voiture, la robe relevée, jusqu'en haut des cuisses et très échancrée et allant lui proposer le programme et tout en s'approchant d'elle stupéfait de voir que cette jolie brune ne portait aucun voile sur son intimité. Un spectacle vraiment merveilleux, très érotique, en bordure de route, sous les pins. N'empêche que cette fille sublime, m'a pris quatre programmes. Sympa non. En plus on a parlé de son métier. Elle travaillait pour elle, pour arrondir ses fins de mois, avec les routiers en leur prenant 100 francs set en les choisissant physiquement. Elle était mariée, avec deux enfants et ne vivait financièrement que de ses adorables charmes. C'est vrai qu'on aurait fait des folies pour elle, tellement elle était ravissante. Ainsi, il y a des étapes ensoleillées comme celle-ci, un spectacle incomparable aux étapes du Nord ou nous arrivons parfois sous des éclairs zébrant, avec un ciel d'encre crevant les nuages en trombe d'eau glacée, charriant des marres de boue. Ainsi, cette année en 1980, c'est ce temps que nous avons eu en arrivant sur l'enfer du Nord. Les pavés du Nord, des supplices réservés aux damnés du Tour. Une route bordée de terrils, de crassiers traversant le pays noir, est aussi terrible et tragique, que les souterrains des mines qui la font se creuser, s'affaisser, se raviner, se transformer en bourbier glissant et maculant. Oui je puis dire que cette année, nous avons été aussi noir que cette route de la tête aux pieds, dans l'enfer du Nord, où personne n'a été épargné. Nous étions recouverts de boue, sous une pluie glaciale et un vent piquant, l'eau dégoulinant dans la voiture, la porte du coffre étant relevée. Aussi, à la fin de cette étape meurtrière, nous sommes rentrés à l'hôtel transi de froid. Je me rappellerais de cette étape, longtemps, je crois.

Voila en gros ce que sont les étapes, pendant le Tour, il y a de bonnes et de mauvais étapes et le temps y fait beaucoup. Il y a des journées pluvieuses, très froides et des journées très chaudes, très ensoleillées. Mais ce que je puis dire, c'est que l'ambiance est toujours présente, toujours si chaleureuse. Et, on s'en aperçoit au bal du Tour de France, le 14 juillet. Tout le monde se parle, se côtoie, sans faire attention à son grade, à son nom, à ce qu'il est. On boit le café à côté d'un Daniel Pautrat ou d'un Jean Amadou. On dîne à côté d'une équipe de coureurs, ou on parle avec une Annie Cordy ou un Pierre Douglas. Pas de différence au Tour, tout le monde est pareil et personne n'est fier. La modestie et la simplicité ne fait pas défaut au Tour. C'est ça qui est beau. Et la solidarité est présente aussi. Un gars tombe en panne, pendant l'étape, c'est tout juste si toute la caravane ne s'arrête pas pour le dépanner.

Le Tour c'est sympa, quoi...

Daniel Bouvet


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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10

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