CYCL' HIST Revue du sport cycliste
dans l'Histoire
Il a fière allure, Joseph FISCHER,
avec sa casquette et sa barbichette !
Dans ce numéro, Jean-Paul DELCROIX,
véritable érudit en matière de cyclisme ancien, nous
conte par le menu la naissance de Paris-Roubaix et la
victoire de Joseph FISCHER, le dimanche 19 avril
1896, dans la première édition de la légendaire classique.
IL Y A CENT ANS...
Le premier vainqueur
...LA NAISSANCE DE PARIS-ROUBAIX
Un dossier de Jean-Paul DELCROIX
UNE GRANDE NOUVELLE ! LA COURSE PARIS-ROUBAIX
"Une
grande nouvelle ! Une lettre que nous recevons de
Mrs Maurice PEREZ et Théodore VIENNE, propriétaires-administrateurs
du Vélodrome de Roubaix, nous annonce cette nouvelle
sensationnelle : la coure Paris-Roubaix. La course
serait internationale, représenterait un parcours d'environ
280 kilomètres, aurait lieu le 19 avril prochain...
En nous faisant part de cette nouvelle qui va réjouir
les cyclistes de notre région, les honorables administrateurs
du vélodrome roubaisien nous demandent notre appui pour
faire réussir pleinement cette importante épreuve. Comment
donc ! Mais il vous est acquis tout de suite, notre
appui, chers amis !"
Et Gaston NADAUD,
directeur du "Nord Cycliste", hebdomadaire
qu'il a créé le 1er janvier 1892, de conclure son article,
le samedi 7 mars 1896, par un vibrant "Vive
Paris-Roubaix".
Du 3 mai au 19 avril
Mrs PEREZ et VIENNE avaient d'abord pensé au 3 mai.
Ils avaient même adressé au directeur du quotidien "Le
Vélo" un courrier en ce sens - repris intégralement,
après le présent article, en note (1). Puis,
observant que le 3 mai allait être jour d'élections
municipales et que le 26 avril était prévue la fête
hippique de Roubaix, les patrons du Vélodrome se sont
vite rabattus sur le 19 avril, dimanche libre de toute
concurrence.
DEUX FILATEURS
Aux premiers temps du sport cycliste, la région Nord
de la France a été loin de jouer un rôle majeur. Les
choses ont évolué au commencement de la dernière décennie
du 19ème siècle. La naissance de la Fédération Vélocipédique
du Nord, le 9 mars 1890, marque les débuts d'une ère
nouvelle. Bordeaux-Paris et Paris-Brest-Paris donnent
une impulsion décisive au vélo qui devient un phénomène
de société. Au point que, dans "La Bicyclette"
du 21 mai 1893, on peut lire les lignes suivantes : "De
tous les sports, le plus populaire est à coup sûr, aujourd'hui,
la vélocipédie dans notre région du Nord. Du Sud au
Septentrion et de l'Est au couchant, la sémillante et
rapide bicyclette est décidément entrain de remplacer
le coursier d'antan pour les voyages même les plus longs. C'est
à qui, maintenant, dévorera le mieux et le plus vite
des centaines et des centaines de kilomètres. A son
tour, le Nord est emballé. A Lille, à côté de son superbe
hippodrome du Bois de la Deûle, s'élève un autre champ
de courses non moins intéressant, un vélodrome de vastes
proportions". La Capitale des Flandres s'implique
également, par l'intermédiaire de ses nombreux clubs,
dans des courses sur route. Pourtant, Roubaix va devenir
la ville phare du Nord, en matière de deux-roues, grâce
notamment à Maurice PEREZ et Théo VIENNE, présidents
respectivement du Sport Vélocipédique Roubaisien et
du Cercle Vélocipédique Roubaisien (2). Les
deux filateurs (3) ne manquent pas de ressources...
à tous points de vue. Ils font construire, dans leur
cité en pleine expansion (4), un vélodrome qui
est inauguré le 9 juin 1893. Une gestion dynamique va
permettre à cette enceinte de connaître une longévité
bien supérieure à celle de nombreuses pistes tombées
(trop) rapidement en désuétude.
En 1896, le calendrier
sur route ne comporte qu'une seule et unique épreuve
classique, Bordeaux-Paris, organisée régulièrement depuis
1891. Toutes les autres courses se disputent au plan
régional, parfois national. Elles sont presque toujours
sans lendemain. Cette situation n'échappe pas à la
perspicacité de PEREZ et VIENNE. Ils proposent une course
internationale d'une distance pratiquement inférieure
de moitié à celle du "Derby de la Route" et
la précédant de quelques semaines. En outre, ne négligeant
pas leurs intérêts, alors que Paris est souvent le théâtre
des arrivées, ils inversent l'ordre des choses. Le départ
fixé à Paris, Roubaix chargé du terme, c'est l'occasion
d'une belle recette au vélodrome !
Publié
par "La Pédale Amusante" en 1895, un
portrait de Maurice GARIN à l'époque de ses succès dans
des épreuves de longue haleine sur pistes de plein air,
à Liège et à Paris.
Hommes d'affaires avisés, PEREZ et VIENNE mettent
dans le coup le seul quotidien sportif. A une époque
où radio et télévision n'existent pas, les journaux
sont les meilleurs vecteurs pour diffuser l'information
et faire de la réclame. Et ça marche ! En moins de cinq
jours, "Le Vélo", le quotidien en question
reçoit 35 engagements. Le gratin des coureurs de fond
s'est inscrit. Même Henri DESGRANGE veut en découdre.
En définitive, sans doute absorbé par ses diverses responsabilités,
il ne prendra pas le départ, pas plus que Gaston RIVIERRE,
futur triple vainqueur de Bordeaux-Paris (1896-97 et
98) ou l'autrichien Franz GERGER, deux ténors de la
route.
LES FAVORIS
C'est Joseph FISCHER, coureur allemand âgé
de 31 ans qui recueille le plus de suffrages auprès
de la presse spécialisée : il tient en effet la grande
forme.
Le danois Charles MEYER, 28 ans,
autre favori, a aussi de beaux arguments à faire valoir,
avec ses victoires dans Paris-Trouville (1893), Paris-Royan
(1894) et surtout dans Bordeaux-Paris (1895).
Maurice
GARIN qui vient d'avoir 25 ans, n'est pas encore
le champion accompli qui triomphera dans Paris-Brest-Paris
(1901) et les deux premiers Tours de France. Il alterne
courses sur route et courses sur piste, c'est le meilleur
coureur du Nord. Fin mars, il a inauguré rue de la Gare
à Roubaix, un magnifique magasin de vélos. Il représente
"La Française", qu'il monte en course.
Il connaît fort bien la fin du parcours qui s'annonce
pénible avec ses pavés.
Enfin, le gallois Arthur
LINTON, 23 ans, a quelques partisans. Spécialiste
des records sur piste, c'est un homme de classe qui
ambitionne de s'imposer sur route.
Avec un tel
lot, PEREZ et VIENNE se frottent les mains. D'entrée
de jeu, la partie paraît gagnée !
BAPTÊME AUTOMOBILE... ET "VERITABLE
CALVAIRE"
Chargé du tracé du parcours, Paul ROUSSEAU, le directeur
du "vert" ("Le Vélo" est
imprimé sur papier vert), délègue un jeune journaliste,
Victor BREYER, pour effectuer la reconnaissance
les 5 et 6 avril.
"J'eus la chance
- rapporte Breyer - d'accomplir sur une "voiture
sans chevaux" la première partie de l'itinéraire,
ceci grâce à mon confrère Paul MEYAN, grand pionner
de la locomotion nouvelle qui, désirant essayer une
Panhard 6 chevaux à barre franche, dont il avait fait
l'acquisition, s'offrit à me véhiculer jusqu'à Amiens.
Le voyage, mon baptême automobile, fut un véritable
enchantement, nonobstant mon impression de néophyte
de l'excessive vitesse d'un véhicule qui plafonnait
aux environs de 30 à l'heure. Coupé seulement par
les arrêts nécessaires à la mise en place des contrôles
prévus à Saint-Germain (mais oui !). Méru, Beauvais
(déjeuner), Breteuil, Amiens (dîner et coucher), notre
randonnée s'effectua sans la moindre anicroche, performance
rare en ces temps quasi-préhistoriques. Le lendemain
matin, MEYAN regagnait Paris, tandis que je poursuivais
le parcours sur ma fidèle bicyclette, amarrée la veille
sur la voiture. Le temps s'étant mis à la pluie, le
trajet Amiens-Roubaix, aggravé des atroces pavés, constitua
un véritable calvaire. Je touchai au but, transi, exténué,
bref en assez piteux état. Il fallut le cordial accueil
des sportsmen roubaisiens pour me remonter le moral
et... m'empêcher d'expédier à Paris un rapport déconseillant
de lancer des coureurs sur un pareil itinéraire !".
LES DEPARTS
Contrairement à tout ce qui a été dit, écrit,
recopié, le dimanche 19 avril 1896 n'est pas le jour
de Pâques ! Les fêtes pascales se sont déroulées
quinze jours auparavant (4).
Dès deux
heures du matin, les curieux et les organisations arrivent
au restaurant Gillet, Porte Maillot. On remarque les
principaux collaborateurs du "Vélo",
Paul ROUSSEAU, Victor BREYER, Marcel VIOLETTE et Robert
COQUELLE, qui ont tous laissé un nom dans l'histoire
du journalisme sportif. Plus le temps passe, plus
le public devient nombreux. Au milieu des machines,
des coureurs, des entraîneurs et des spectateurs, il
est difficile de se frayer un passage pour toucher au
contrôle.
A quatre heures du matin, sept
coureurs de la catégorie spéciale réservée à l'arrondissement
de Lille, s'élancent. NEZELOFF, de Béthune, inscrit
chez les professionnels, les accompagne : c'est un vétéran
âgé de... 53 ans.
La température est clémente,
de l'ordre de +3°. Sans être splendide, le temps se
maintiendra au beau toute la journée : alors qu'il avait
été plutôt mauvais la semaine précédente.
A 4h½,
les professionnels commencent à arriver. "Le
Journal de Roubaix" décrit les préliminaires
à l'envol du peloton : "L'opération de contrôle
se complique à cause du nombre de concurrents qui viennent
signer. La salle du café devient un véritable paddock
où l'on examine les concurrents, court-vêtus, avec curiosité...
Ce sont de toutes parts des interpellations joyeuses.
Parmi les derniers arrivés se trouve GARIN qui est acclamé...
Enfin, paraît FISCHER, qui est l'objet de la curiosité
de tous et s'y dérobe d'ailleurs fort modestement. Il
donne l'impression de la santé sèche et présente l'aspect
agréable d'un bel athlète... 5h20 : M. Victor BREYER,
la liste de contrôle à la main, fait l'appel sur l'avenue
où les coureurs sont rangés suivant leur ordre d'inscription".
Ils
sont 48, alors que la liste des engagements comprenait
une centaine de noms. Un photographe apparaît. Le
document qu'il nous a laissé permet une description
des partants de ce premier Paris-Roubaix.
Les
concurrents, dans leur majorité, portent moustaches
et barbichette. Tous arborent une casquette de ville. Joseph
FISCHER campe au milieu de la chaussée, entre Paul GUIGNARD
et Arthur LINTON. Il porte un pull à col roulé et une
veste sombre d'où se détache sur la manche gauche un
brassard grand format et de couleur verte. Son pantalon
est coupé à hauteur des genoux, ses chaussettes montent
jusqu'au bas du pantalon. Maurice GARIN, veste et
casquette blanches, pose au second rang.
Paul
ROUSSEAU, à la stature imposante, moustachu, le
chef couvert d'une casquette, le cou protégé d'une grosse
écharpe, "révolver au poing et chronomètre dans
l'autre main - précise "Le Journal de Roubaix"
- attend la demie de cinq heures". Un
coup de feu retentit. Le groupe démarre à une vitesse
étonnante, emmené par Paul GUIGNARD, le plus vite en
action –il n'a pas encore 20 ans et ne sent pas les
pédales (5).
LA COURSE
Au premier pointage, 18 kilomètres ont été couverts
en 32 minutes. Le record de Paris à Saint-Germain est
battu de 3 minutes. C'est d'autant plus remarquable
que cela se passe dans le cadre d'une course de longue
haleine. A cette allure là, il ne reste que sept hommes
en tête : LINTON, FISCHER, GUIGNARD, GARIN, SARDIN,
MEYER et STEIN précédent d'une minute EO, ARIES, PALAU,
MERCIER Père, BONNET et CARDOL. L'anglais CARLISLE,
présenté comme un outsider, accuse déjà un passif de
9 minutes.
Arthur
LINTON, adversaire malheureux de FISCHER, va remporter
Paris-Bordeaux-Paris quelques semaines plus tard, après
une course dramatique : une terrible défaillance, un
retour jugé miraculeux, une erreur de parcours, la victoire
ex-aequo avec RIVIERRE. Il va encore établir un record
des 100 kilomètres sur route à la mi-juin et sera fauché
par la mort en août : on parle de fièvre typhoïde mais
aussi de dopage.
Dans la traversée de la forêt de Saint-Germain, Arthur
LINTON multiplie les démarrages et se dégage du groupuscule
des échappés. Au rang de ses entraîneurs, figure son
frère cadet Tom (19 ans ½), incapable de maîtriser son
impétuosité.
A Beauvais (86ème kilomètre),
le petit Gallois signe 8h04. La moyenne horaire, 33
km/h, se situe toujours à un niveau élevé. Paul GUIGNARD
pointe à une minute, GARIN et FISCHER à 8h08, MEYER
à 8h16. Les coureurs de la catégorie des régionaux,
pourtant partis une heure trente avant les professionnels,
sont déjà rattrapés et dépassés : DUBOIS signe à 8h41,
TÉLÈS à 8h52.
FISCHER, qui a bien préparé son
affaire, ne veut pas laisser trop de champ au leader.
Il réagit vigoureusement. Au contrôle de Breteuil
(km 117), il passe avec LINTON. GARIN est à 4'30"
et MEYER à plus d'un quart d'heure.
Au contrôle
d'Amiens (km 149.5) sur l'esplanade Saint-Roch,
une prime importante de 150 francs est offerte au premier
signataire. Les entraîneurs s'écartent, LINTON et FISCHER
s'expliquent à la loyale. Le poulain de Choppy WARBURTON
bat d'une demie-roue le crack bavarois. Une satisfaction
de courte durée car, à la sortie de la ville, LINTON
roule sur un chien : il chute et s'en sort avec des
blessures superficielles, mais doit changer de monture.
Le temps qu'il se remette en selle, son compagnon de
fugue a disparu. Marqué par ses efforts, LINTON,
malgré sa vaillance, perd continuellement du terrain.
Devant, FISCHER applique à la lettre son plan de bataille.
Il fonce pour aborder avec une marge confortable la
dernière partie de l'itinéraire. Il redoute les pavés
: afin d'éviter un accident, il aspire à les passer
à un rythme raisonnable.
A Doullens (km
179, FISCHER a augmenté son avantage. Maurice GARIN
s'est emparé de la seconde place : il affiche un retard
de 11'00". LINTON est à 18'00", MEYER à 25'00",
STEIN à 36'00".
Il est 12h17 quand FISCHER,
toujours frais et dispos, entre dans Arras (km
217). Il prend juste le temps de signer et repart. Le
champion allemand continue de creuser les écarts. GARIN
qui paraît un peu fatigué, voit son retard atteindre
23'00". Il avale un bouillon et remonte aussitôt
en selle. MEYER, s'il a perdu 3'00" supplémentaires
sur FISCHER a, en revanche, repris 9'00" au Roubaisien. STEIN
occupe la 4ème place, LINTON se retrouve en 5ème position,
avec EO et BOINET. CARLISLE, victime d'une chute et
largement distancé - il n'a jamais été dans le coup
- abandonne.
FISCHER, dont la supériorité ne
peut être contestée, poursuit sa chevauchée victorieuse.
Pourtant, il connaît des sueurs froides. Il évite de
peu un accident : un cheval s'emballe et vient se mêler
quelques instants au cortège formé par le champion Munichois
et sa kyrielle d'entraîneurs. Plus loin, FISCHER se
heurte à un troupeau de vaches occupant toute la route...
Au
dernier contrôle volant, "La Pédale Seclinoise"
a bien fait les choses : de l'extrémité du village,
deux jeunes cavaliers viennent annoncer l'arrivée des
concurrents de façon à dégager la route, tant est considérable
le nombre de curieux. Une musique salue le passage de
chaque coureur. Toujours à Seclin (km 254), FISCHER
est pointé à 13h48, GARIN à 14h10, MEYER à 14h12, le
Danois a encore repris 3'00" à GARIN.
FISCHER
termine plus fort que ses rivaux : il effectue les 25
derniers kilomètres en 59', contre 1h01 pour MEYER et
1h05 pour GARIN.
A ROUBAIX
"De douze heures à la nuit tombante, la foule
encombre le parcours". Et -poursuit
"Le Journal de Roubaix"- depuis
l'Hempempont, dans la banlieue de Roubaix. "Les
coureurs sont considérablement gênés par les spectateurs
qui les contraignent à pédaler sur le pavé. Les voitures,
les bicyclettes, les tandems et les triplettes qui circulent
en grande quantité, sont une cause sérieuse de gêne.
(...) Une foule particulièrement nombreuse est massée
au coin du bois de la Fontaine, d'où on voit venir de
loin les coureurs, pour qui la côte qui monte de l'orphelinat
à la chapelle Notre-Dame est un passage particulièrement
pénible".
"Le Nord Cycliste"
précise : "Il serait difficile d'évaluer la
foule qui, dès deux heures et demie, se trouvait déjà
au Vélodrome de Roubaix, ce que l'on peut dire, c'est
qu'elle était énorme, considérable, inouïe ! Le vélodrome
était noir de monde. Du monde aux tribunes, sur les
gradins construits exceptionnellement, aux premières,
aux secondes, autour de la piste, du monde partout,
partout. Même sur la pelouse où l'on voit les membres
du jury –naturellement !- des peintres qui annoncent
les résultats (6) sur des tableaux noirs,
des photographes qui prennent quantités de vues".
L'ARRIVEE DU VAINQUEUR
"A 2h40 (de l'après-midi bien entendu),
les clairons de Hem signalent au vélodrome le passage
du premier. Un frémissement court dans le public d'au
moins dix mille spectateurs. C'est au son de "La
Marseillaise" que FISCHER fait son entrée dans
le vélodrome, aux applaudissements de la foule. Le coureur
allemand, très ému, fait les six tours de piste obligatoires
à une allure de 31 secondes au tour et il descend de
machine très frais".
Il va signer le
registre. On lui propose un verre de champagne. On lui
remet trois superbes palmes : une au nom du Vélodrome,
une au nom de la Fédération Roubaisienne et une autre
au nom de l'Omnium Roubaisien. Des photographes s'emparent
ensuite du vainqueur et prennent de lui de nombreux
clichés. FISCHER ne prend même pas la peine d'aller
changer de vêtement et reste à se promener sur la pelouse
en attendant l'arrivée de MEYER et de GARIN.
"Le
coureur allemand déclare avoir accompli facilement le
parcours et s'être réserve pour rouler à petite allure
dans la partie pavée", conclut "Le
Nord Cycliste".
LES AUTRES ARRIVEES
MEYER pénètre sur la piste à 15h10, exactement
après qu'il ait effectué un tour de piste, GARIN
paraît, fortement blessé à la tête. On l'acclame frénétiquement.
Les cris de "Vive GARIN !" s'échappent
des poitrines de ses concitoyens.
"Le
Journal de Roubaix" nous explique ce qui est
arrivé à GARIN, à environ dix kilomètres du but : "C'est
à un encombrement que doit être attribuée sans doute
la chute de GARIN entre Ascq et Forest, au lieu-dit
La Mare, chute qui l'a privé du deuxième prix que son
classement lui laissait espérer. Entraîner par une triplette,
GARIN est accroché et désarçonné par un tandem ; un
autre tandem qui le suivait lui passant par-dessus". "Cependant,
GARIN dont la nuque et l'épaule gauche ont été labourés
par une pédale de Tandem, retrouve ses sens après être
resté un moment évanoui. Il remonte en machine et reprend
sa route, mais le Danois MEYER a comblé sur lui son
retard de 4 km et l'a dépassé. Un bouquet lui est
offert par M. Théodore VIENNE, au nom du Cercle Vélocipédique
dont il fait partie. On remarque le sang séché sur sa
vareuse. GARIN raconte sa chute et explique qu'en dépit
des efforts de sa triplette composée des frères ACCOU
et de... Mme ACCOU il n'a pu rejoindre MEYER avant l'entrée
du vélodrome". La Pédale Amusante
Joseph Fischer, souriant et fleuri
après son succès dans le premier Paris-Roubaix (dessin
: La Pédale Amusante)
Arthur LINTON termine 4ème, à près de trois
quarts d'heure de FISCHER. Il déclare être tombé six
fois. BOINET perd la 5ème place au bénéfice
de STEIN, qui le double pendant les tours de
piste, BOINET finit "à pied" : à Seclin, il
disposait encore d'un avantage proche des 5 minutes
sur son adversaire.
Le premier de la "catégorie
spéciale", le Roubaisien LISERON, parti
une heure et demie avant les professionnels, en termine
à 18h25. On pourra lire, plus loin, le récit de sa journée
sous le titre "Ma pédalée de Paris-Roubaix". VENDREDI,
un homme de couleur dont l'arrivée suscite une belle
ovation, prend la 17ème place du classement des professionnels.
Il franchit la ligne à 19h09. Après sa signature, la
police fait évacuer la piste : le contrôle d'arrivée,
comme prévu, est transféré au café Richelieu boulevard
de Paris.
Quinze concurrents vont encore finir
l'épreuve, malgré l'heure tardive. Et dire que les organisateurs
avaient prévu un départ très matinal pour permettre
aux coureurs des deux catégories de terminer dans l'après-midi
!
LES DERNIERS
Le jeune Tourquennois ASSEMANN, de la "catégorie
spéciale" parti à 4 heures du matin, arrive après
minuit : à 1h31 ! Victime de plusieurs incidents, il
n'a pas cédé au découragement. Ayant promis d'effectuer
le parcours entier, il a tenu bon jusqu'au bout... en
y mettant le temps... 21h31'. Et pourtant, il n'est
pas le dernier !
L'Anversois THERON et
le Parisien DUMAS vont rejoindre le café Richelieu...
le lundi à 11h20 et 11h45, quelques minutes avant la
fermeture du contrôle, à midi. Les deux coureurs (?)
se sont, manifestement, arrêtés pour dormir en cours
de route, avant de reprendre le collier !
A l'évidence,
ce premier Paris-Roubaix a réuni toutes les catégories
de cyclistes : du quasi-débutant au vétéran, du touriste
au coureur, de l'amateur au professionnel. Si l'on
ajoute à cela une grande disparité au niveau du mode
d'entraînement et de soins, il devient facile de comprendre
les écarts considérables constatés à l'arrivée.
EPILOGUE
La presse spécialisée, à Paris, n'a pas toute apprécié
l'évènement à son juste niveau "Le Cycle"
se contente, pour le relater, de... quatre phrases.
Pourtant, on peut dire que PEREZ et VIENNE ont tapé
dans le mille car l'engouement populaire extraordinaire
- du jamais vu dans la région de Roubaix - témoigne
de ce qu'un "manque" a été comblé. Et puis,
le "régional de l'étape", Maurice GARIN ne
mérite-t-il pas une revanche ? A quoi il faut ajouter
que cette course est une aubaine pour le Vélodrome.
D'ores
et déjà, le Nord ne saurait plus se passer de Paris-Roubaix.
Sa reconduction en 1897 va de soi et sa pérennité est
assurée.
Jean-Paul DELCROIX
NOTES
(1) Le
courrier initial adressé par Théodore VIENNE et Maurice
PEREZ à Paul ROUSSEAU, directeur du quotidien "Le
Vélo" :
"Cher Monsieur ROUSSEAU, Bordeaux-Paris
approche : la grande épreuve annuelle fondée par le
Véloce-Sport et confiée depuis un an au Vélo a tant
fait pour la propagande cyclise qu'il nous est venu
une idée. Que penseriez-vous d'une course d'entraînement
précédant Bordeaux-Paris de trois semaines ?
Paris-Roubaix
représente un parcours de 289 km environ, ce serait
donc un jeu pour les futurs partants de Bordeaux-Paris.
L'arrivée s'effectuerait au Vélodrome Roubaisien par
quelques tours de piste tout comme l'arrivée de Bordeaux-Paris
à la Seine. L'accueil fait à tous sera enthousiaste,
d'autant plus que nos concitoyens n'ont jamais eu le
spectacle d'une grande course sur route ; à ce sujet
du reste nous comptons assez d'amis parmi les coureurs
de vitesse pour croire que Roubaix est véritablement
une ville hospitalière.
Comme prix, nous inscrivons
d'ores et déjà un premier prix de 1000 francs au nom
du Vélodrome Roubaisien et allons nous occuper de le
faire suivre d'une respectable série d'autres prix pour
donner satisfaction à tous. Comme date, nous croyons
que le 3 mai conviendrait parfaitement car les coureurs
de Bordeaux-Paris seront déjà en bonne forme à cette
date et il leur restera trois semaines jusqu'à la grande
épreuve pour se remettre.
Et maintenant, cher
Monsieur, pouvons-nous compter sur le patronage du Vélo,
sur votre concours pour l'organisation, le départ etc...
? Si oui, annoncez de suite notre great event et ouvrez
dans vos colonnes la liste des engagements.
Veuillez
agréer nos amicales salutations"
(2) En 1896, il existe quatre clubs
cyclistes à Roubaix : - Le sport Vélocipédique -
Le Cercle Vélocipédique - Le Véloce-Club - Le
Cyclist-Club Le 15 mars 1895, a été créée la Fédération
Vélocipédique Roubaisienne, qui regroupe tous les clubs
de la ville, avec pour président Maurice PEREZ, l'un
des vice-présidents étant Théodore VIENNE.
(3) Roubaix et Tourcoing constituent,
vers 1850, une "Métropole de la laine", un
"Manchester du Nord". Les deux villes fournissent
l'exemple le plus significatif d'une mutation accélérée
dans le sens de la grande industrie. La population de
Roubaix passe de 8000 habitants en 1800 à... 124661
en 1900. En 1881, on y traite près de 5000 tonnes de
laine. En 1908 on atteint les 190000 tonnes. En 1892,
le Parti Ouvrier Français enlève ses deux premières
villes dans la région Nord : il s'agit de Caudry et
Roubaix. Roubaix, ville typiquement prolétarienne,
est choisie par Jules GUESDE pour être "La Mecque
du socialisme" il y est élu député. (Ouvrage
de référence : "Histoire du Nord" de Pierre
PIERRARD)
(4) Contrairement à ce qui a parfois
été avance, aucune messe n'est célébrée avant
le départ de Paris-Roubaix. Le 19 avril 1896, Messieurs
VIENNE et PEREZ, en fait, se sont offert un "coup
de pub" en annonçant une messe, qui en réalité
n'a pas lieu. Par ailleurs, c'est en 1897 que,
pour la première fois, Paris-Roubaix va être disputé
le jour de Pâques, le 18 avril, et devenir "Pascale".
(5) Le jeune Paul GUIGNARD qui
démarre de la Porte Maillot sur les chapeaux de roue,
A remporté l'année précédente Paris-Besançon, à l'âge
de 19 ans. Appelé à devenir champion du monde de demi-fond
en 1913, il sera le premier, en 1909 à dépasser les
100 km dans l'heure. Il courra bien au-delà de la quarantaine.
(6) A chaque contrôle, le numéro
du brassard est vérifié, l'heure exacte notée et on
envoie un télégramme au "Vélo" à Paris
et au Vélodrome de Roubaix. C'est ainsi que les Parisiens
apprennent la victoire de FISCHER à l'issue de la réunion
du Vélodrome de la Seine où, ce jour-là, s'est illustré
JACQUELIN.
QUELQUES POINTS DU REGLEMENT
Article 5 - Tous les types de machines à une
place sont admis. Article 6 - Les entraîneurs
ou changements de machines sont autorisés. Article
8 - Des contrôles fixes seront installés à Paris
(départ), Beauvais, Amiens, Arras et Roubaix. Des contrôles
volants seront établis à Saint-Germain, Breteuil, Doullens
et Seclin. Article 9 - Il y aura de plus des
pointages secrets où les coureurs devront se faire connaître
afin de donner à la course toutes les garanties de loyauté
possibles. Article 10 - Les coureurs sont
tenus de descendre de machine, de signer le livre de
contrôle à chacun des contrôles fixes susmentionnés,
sous peine de disqualification. Article 13
- Le temps maximum de la course est fixé à trente heures. Article
17 - L'arrivée définitive se fera au Vélodrome de
Roubaix sur lequel les concurrents, débarrassés de leurs
entraîneurs, devront couvrir 2 km soit 6 tours de piste.
Les coureurs arrivant après 7 heures le soir le 19 avril
continueront leur route par le Parc Barbieux et le boulevard
de Paris pour arriver au café Richelieu où se fera le
contrôle à partir de 7 heures du soir.
Et
puis, cette phrase assez surprenante, extraite de l'article
21 : Il est absolument interdit d'abandonner
en marche sa machine, sous peine de disqualification.
LA CATEGORIE SPECIALE
A l'origine, elle n'était pas prévue : mais, tenant
compte d'une suggestion du cycliste Roubaisien TÉLÈS,
formulée dans "Le Journal de Roubaix",
les organisateurs décident la création d'une catégorie
dite spéciale, ouverte aux coureurs des cinq départements
suivants : Nord, Somme, Pas-de-Calais, Aisne et Oise,
coureurs devant partir une heure avant les professionnels,
portant un brassard distinctif et ne concourrant, eux,
que pour des objets d'art. Cette catégorie est, finalement,
réservée aux seuls coureurs amateurs de l'arrondissement
de Lille.
(documents
roubaisiens de 1896)
LES ENGAGES, LES PARTANTS... ET
LES ARRIVANTS
Qui dit "engagés" dans une course ne dit
pas pour autant "partants". Il fallait que
le lecteur pût distinguer les uns des autres au fil
de la liste. Ainsi les noms des partants sont-ils
donnés en caractères gras : et ceux des non-partants
en caractères ordinaires. Exemple : l'ex-recordman
de l'heure, futur patron de "L'Auto"
et du Tour de France, Henri DESGRANGE, engagé avec le
numéro 43 est un des nombreux non-partants de la liste.
Les
noms des partants sont suivis de leur lieu de résidence
: s'ils ne sont pas Français, on indique entre parenthèses
leur pays d'origine, suivi si possible de leur lieu
de résidence. Exemple : l'engagé n°1, Charles
Meyer, est un Danois résidant en France, à Dieppe.
LES
PROFESSIONNELS :
1 MEYER (Danemark), Dieppe 2 RIVIERRE,
Paris 3 VUILLAUME, Paris 4 DUCOM, Paris 5
LIERMI, Paris 6 GUIGNARD, Paris 7
FISCHER (Allemagne) 8 LINTON (Pays de
Galles) 9 CARLISLE (Angleterre) 10 BARRAQUIN,
Chauny 11 EO, Marseille 12 MARTINY (Suisse) 13
STEIN, Paris 14 ARIES, Paris 15 FROMONT,
Vichy 16 MERLAND, Paris 17 GARIN, Roubaix 18
ROSERE Arsène, Orléans 19 ROSERE Maurice, Orléans 20
VAST, Garches 21 FAUSSIER, Paris 22 CHATEL,
Marseille 23 BUFFEL, La Varenne 24 DAVRIL, La
Varenne 25 LORAUX, Paris 26 SARDIN, Paris 27
BONNET, Paris 28 BAILLET, Noyon 29 ORASSE, Paris 30
VAUTRELLE, Paris 31 HOTIER, Paris 32 NEMMI,
Monaco 33 JULLION, Paris 34 MERCIER père,
Paris 35 RICARDO, Levallois 36 VENDREDI,
Paris 37 GAUCHER, Paris 38 BILLARD, Paris 39
RIGETTI, Paris 40 POIRET, Amiens 41
MILLOCHAU, Paris 42 GOLIER, Paris 43
DESGRANGE, Paris 44 GERGER (Autriche) 45 VANDENBURIE,
Amiens 46 THERON (Belgique), Anvers 47
KERFF (Belgique), Liège 48 SIMONET, Dijon 49 PONTIER,
Colombes 50 FAITEAU, Paris 51 ENEAUD,
Paris 52 ASSEMAN, Tourcoing 53 DUBOIS, Lille 54
MOUROT, Paris 55 BAUDOT, Paris 56 EOLE
(Belgique), Paris 57 BOUCHER, Fresne-les-Rungis 58
NORTSAH, Poitiers 59 BOINET, Amiens 60
MONACHON, Paris 61 LEFEBVRE, Paris 62 CHATELAIN,
Puteaux 63 BOUGARD (Belgique), Bruxelles 64 THE,
Marseille 65 BARDEL, Paris 66 SINAC, Paris 67
COMMEYNE (Belgique), Lendelede 68 DEBRUE (Belgique),
Courtrai 69 VEYS (Belgique), Bisseghem 70 VANDERSTUYFT
(Belgique), Ypres 71 SCHAEPMEESTER (Belgique), Wetteren 72
GOEURY, Paris 73 PELLETIER, Courbevoie 74
GOUFF, Paris 75 BAGRE, Paris 76 ANNETOL
(Belgique), Mouscron 77 FEYS (Belgique), Bisseghem 78
NAERT (Belgique), Saint-Genois 79 DEVEUGHELE
(Belgique), Courtrai 80 DEMY-HENAERE (Belgique),
Bruxelles 81 BERCKMANS (Belgique), Louvain 82
VANDENDRIES (Belgique), Louvain 83 SAGOT,
Paris 84 PACHOT, Paris 85 BARILLOT,
Paris 86 FOURNIER, Paris 87 VAN QUACH,
Paris 88 CARDOL (Belgique), Verviers 89
ROURD, Viroflay 90 MOREAU (Belgique), Bruges 91
LEFIEUX, Paris 92 LECORNU, Paris 93
DUMAS, Paris 94 DOMPTET, Neuilly 95
NEZELOFF, Béthune - à noter que
NEZELOFF, en fait, ne prendra pas le départ avec les
professionnels mais avec les coureurs de la "catégorie
spéciale" 96 PALAU (Belgique),
Froidhermont-Oine 97 GUILLOCHIN, Paris 98
PERRAUD, Marseille 99 BERBERG (Suède), Stockholm 100
PICARD, Vincennes 101 AYMARD, Douai 102
TACQUET, Douai
LA CATEGORIE SPECIALE
:
1 DUBOIS, Lille 2 LISERON,
Roubaix 3 TELES, Roubaix 4 THIEFFRY,
Roubaix 5 ASSEMAN, Tourcoing 6 REMY, Lille 7
BLIN, Roubaix 8 QUIVY, Roubaix 9 ALBERT,
Roubaix
On trouve les noms d'Asseman et Dubois
dans les deux catégories, celle des professionnels (numéros
52 et 53), et la "spéciale" (numéros 5 et
1). On peut penser qu'ils s'étaient inscrits d'emblée
chez les professionnels, avant d'apprendre l'existence
d'une catégorie les concernant davantage et au sein
de laquelle ils allaient prendre le départ.
LES
CLASSEMENTS :
Ci-dessous, les deux classements,
celui des professionnels, celui de la catégorie spéciale.
Les noms des coureurs sont suivis, non des temps mis
à effectuer le parcours, mais des heures d'arrivés de
chacun.
Professionnels : 1. Joseph
FISCHER (Allemagne) à 14h47 (le vainqueur a mis
9h17 pour accomplir les 280 km, sa moyenne horaire est
de 30.612 km/h) 2. Charles MEYER (Danemark) à 15h13 3.
Maurice GARIN à 15h15 4. Arthur LINTON (Grande Bretagne)
à 15h30
A plus d'une heure du vainqueur 5.
Lucien STEIN à 15h48 6. BONNET à 15h48 7. EO à
15h54 8. ARIES à 16h30
A plus de deux heures 9.
Gaston PACHOT à 16h49 10. MERCIER Père à 17h03 11.
GOUFF à 17h16 12. FAITEAU à 17h41
A plus
de quatre heures 13 LIERMI à 18h50 14. Gaston
VAST à 18h52 15. NAERT (Belgique) à 19h03 16.
Fritz VANDERSTUYFT (Belgique) à 19h04 17. VENDREDI
à 19h09
A plus de cinq heures 18.
Emile TACQUET à 20h09 19. Arsène MILLOCHAU à 20h40
A
plus de sept heures 20. LECORNU à 22h00
A
plus de huit heures 21. Reivilo NORTSAH à 22h48 22.
VAUTRELLE à 22h49 23. AYMARD à 22h49 24. Victor
BAGRE à 22h58 25. FEYS à 23h26
A plus de
dix heures 26. GUILLOCHIN à 1h15 le lundi
A
plus de vingt heures 27. THERON (Belgique) à
11h20 le lundi 28. Albert DUMAS à 11h45 le lundi
Catégorie
spéciale : 1. LISERON, arrivé à 18h27
(temps mis : 14h27 moyenne : 19.377 km/h) 2. Ernest
DUBOIS arrivé à 20h02 3. QUIVY arrivé à 23h26 4.
ASSEMANN arrivé à 1h31 le lundi
Quant à NEZELOFF,
inscrit chez les professionnels mais parti avec ceux
de la catégorie spéciale (bien que n'étant pas ressortissant
de l'arrondissement de Lille puisque Béthunois), arrivé
à 22h40, il n'est classé nulle part. Les classements,
comme les engagés, proviennent du "Nord Cycliste".
"MA PEDALEE DE PARIS-ROUBAIX" LES
IMPRESSIONS DE LISERON
Vainqueur dans la "catégorie spéciale",
le Roubaisien LISERON pratique la bicyclette
depuis 1892. Passionné de grandes balades, il détient
les records sur Roubaix-Compiègne et sur Roubaix-Terneuze
(aux Pays-Bas). Secrétaire du Sport Vélocipédique Roubaisien,
le club de Maurice PEREZ, il s'est entraîné activement
en vue de Paris-Roubaix. Dans "La Pédale Amusante",
publication roubaisienne auquel il collabore, LISERON
donne le récit de sa course, repris ci-dessous ("La
Pédale Amusante" fusionnera le 1er janvier
1897 avec "Le Nord Cycliste" pour donner
naissance à un nouveau titre : "Le Nord Sportif").
* * * * * * *
Le texte de LISERON :
"Plus ravissante
partie de plaisir est impossible à rêver. Je parle,
bien entendu, pour ceux qui font la course en amateur
ou en touriste comme nous l'avons faite à une dizaine
qui, dans un an, sera centaine. Favorisée par un temps
splendide, cette pédale réunissait tout ce qu'il fallait
pour être -je puis ainsi le qualifier- délicieusement
agréable.
Route excellente, un véritable macadam
sur les 5/6 du parcours, paysages charmants, sites pittoresques,
accidentés, revêtus de la riche parure du printemps,
dorés par ce pimpant soleil d'avril qui fait étinceler
des milliers de diamants à la pointe des brins d'herbe,
baignés de vapeurs azurées qui vous dérobent les vallées
et vous donnent l'illusion de pédaler dans les nuages.
Ce vaste panorama de 280 km est une suite de ravissements
et je me délectais à le parcourir. Ajoutez à la magnificence
de cette mise en scène les chaudes manifestations de
sympathie saluant les coureurs le long de la route et
vous serez surpris de constater que cette course, que
beaucoup s'imaginent être un éreintement, est tout simplement
une pédalée triomphale à travers une partie de notre
pays de France, terminée par une apothéose.
Pour
ce qui me concerne, à aucun moment de cette épreuve
je n'ai regretté de m'être mis en route. Car, comme
organisation et itinéraire choisi, on ne pouvait faire
mieux. Je suis persuadé que tous ceux qui y ont pris
part seront de mon avis pour féliciter à cette occasion
les organisateurs. Ils ont, en effet, mis la main sur
une épreuve sportive très heureusement conçue. Comme
coureur, je crois pouvoir ici exprimer l'opinion de
tous mes camarades, en constatant que tous ceux qui
ont pris part à l'organisation de cette course, l'ont
fait avec un dévouement absolu. A tous les contrôles,
les coureurs étaient reçus comme es enfants gâtés, c'était
vraiment touchant.
Les camarades cyclistes des
villes et villages traversés, ont été partout de véritables
frères. La reconnaissance me fait un devoir de signaler
particulièrement l'attention dont j'ai fait l'objet
de la part des amateurs de l'U.V.A de Beauvais, puis
l'accueil favorable de M. DELAHAYE et des cyclistes
doulenais. A ces derniers, merci pour la jolie médaille
qu'ils m'ont offerte. Merci encore aux amis d'Arras,
d'Hénin-Liétard, Carvin, Seclin, aux entraîneurs amis
et inconnus qui m'accompagnèrent sur les différentes
parties de la route.
Enfin et surtout, merci
au public roubaisien pour le vibrant accueil qu'il daigna
me réserver à mon arrivée au Vélodrome. Cette inoubliable
réception sera le plus cher souvenir de ma modeste carrière
sportive, je souhaite qu'elle soit un encouragement
pour mes confrères : que ceux-ci sachent en passant,
que point n'est besoin d'être exceptionnellement doué
pour fournir une épreuve de ce genre. Un peu d'énergie,
de volonté, de la sobriété et le désir de voir pour
le bien connaître son pays, et c'est tout.
Je
ne doute pas d'ailleurs, que l'année prochaine, chaque
société roubaisienne aura à cœur d'avoir au moins trois
ou quatre de ses membres parmi les arrivants de la course
Paris-Roubaix. L'expérience que j'ai faite établit
la facilité avec laquelle on peut s'en tirer, aussi
une satisfaction pour moi serait de voir les cyclistes
roubaisiens en profiter et venir nombreux au rendez-vous
que je leur donne pour la course Paris-Roubaix en 1897".
* * * * * * *
DU COTE DES BELGES EOLE
ET VANDERSTUYFT
Paris-Roubaix : son histoire est marquée par les
exploits des coureurs belges. Mais, en 1896 les cyclistes
d'Outre-Quiévrain ne font pas encore partie du gotha
vélocipédique. Deux d'entre eux, cependant, participants
à Paris-Roubaix, méritent qu'on s'intéresse à leur cas...
Des
8 partants sur 18 inscrits, le plus connu est Fritz
VANDERSTUYFT : c'est un quadragénaire (il est né
le 22 septembre 1854) qui a déjà participé à Bordeaux-Paris.
Ses deux fils, Arthur et Léon, seront de stayers renommés.
Un
autre concurrent belge est loin d'être un inconnu, à
l'époque : il s'agit d'Emile VAN BERENDONCK,
un revenant de 32 ans. Venu au bicycle en 1878, il a
fondé, en août 1881. le premier journal vélocipédique
de son pays : "la Vélocipédie Belge",
puis il a remporté le premier championnat de Belgique,
à bicyclette, en 1882 à Mons. Il se fixe en France
en 1884 et adopte alors, sur le conseil de son président
de club, un pseudonyme impressionnant : EOLE. Il collectionne
les succès, en tricycle notamment.
1886
est une grande année pour EOLE, avec notamment deux
titres de champion de France (les courses aux titres
dont alors ouvertes aux étrangers) : - il est champion
de France de vitesse, sur tricycle le 23 mai devant
Paul MEDINGER au nouveau Vélodrome bordelais de Saint-Augustin
dont c'est ce jour là l'inauguration. - il est champion
de France de fond sur 50 km le 3 juin à Montpellier,
couvrant la distance en 2h et demie.
Le 11 juillet
de la même année -une date à retenir- EOLE est le
premier à utiliser une bicyclette en compétition.
A Angoulême, il bat à plate couture tous ses adversaires
adeptes du bicycle. Trois jours plus tard, le 14
juillet à Toulouse, les as (pour ne pas dire la "mafia"
de l'époque), Charles TERRONT, MEDINGER, DUNCAN refusent
de s'aligner avec EOLE. Le jury prend la décision de
le déclarer hors concours et lui attribue le premier
prix sans qu'il ait à courir.
1886 est un grand
millésime pour notre homme qui, avec 30 victoires, occupe
la seconde place au palmarès de l'année, derrière Fernand
CHARRON (32).
Emile VAN BERENDONCK-EOLE aurait
ensuite fabriqué des automobiles. Installé définitivement
dans la capitale française, on le retrouve, en 1932,
dans un music-hall, à vendre des souvenirs de Paris.
A la fin des années 30, devenu septuagénaire, il pratique
toujours la bicyclette.
Pour en revenir à Paris-Roubaix
1896, EOLE, annoncé comme un sérieux outsider par la
presse belge, n'est jamais "dans le coup",
il ne termine pas.
THEO VIENNE, UN PERSONNAGE HORS-SERIE
Quelques éléments pour mieux connaître
les créateurs de Paris-Roubaix...
UNE GRANDE ROUE A PARIS
Théo
VIENNE était un personnage hors-série. Il avait décidé
-rapporte Victor BREYER- au moment où il créait Paris-Roubaix,
de faire construire, pour l'Exposition Universelle de
1900 une roue immense à rayons, comme ceux d'une roue
de bicyclette et qui aurait 100 mètres de diamètre.
Cette roue, naturellement appelée "La Grande Roue"
comportait "dans la jante", une trentaine
de petits wagonnets transversaux. A chaque fois que
l'un d'eux arrivait en bas, les gens descendaient et
montaient. Pour faire un tour complet, le prix était
de 50 centimes. (NDLR : à titre de comparaison, "Le
Nord Cycliste" est vendu 10 centimes le numéro). La
Grande Roue, installée dans le quartier de Grenelle,
était encore exploitée par Théo VIENNE plusieurs années
après la Guerre de 14.
UN PARIS ROUBAIX PEDESTRE...
PEREZ
et VIENNE organisèrent une année un Paris-Roubaix pédestre
dont l'arrivée devait être jugée, bien entendu, au Vélodrome. Le
leader de l'épreuve, nommé RAMOGE, avait une avance
considérable sur le plus optimiste des horaires et son
allure laissait prévoir son entrée sur la piste roubaisienne
dès la matinée du dimanche, il risquait fort d'arriver
avant le public... "C'était une catastrophe
! VIENNE le comprit si bien qu'il envoya son associé
PEREZ à la rencontre du vainqueur. PEREZ sur un tricycle
à pétrole, rencontra RAMOGE entre Arras et Hénin-Liétard.
Il retarda aussitôt sa marche en lui faisant prendre
un bain ; il l'entraîna ensuite chez un coiffeur afin
de le faire raser. Il lui offrit enfin à déjeuner à
Seclin, tant et si bien que RAMOGE arriva à Roubaix
avec quatre heures de retard sur son tableau de marche.
Mais la recette était sauvée" (Lignes de Robert
COQUELLE).
DES ARENES A ROUBAIX
A
côté du Vélodrome, VIENNE et PEREZ font édifier... des
arènes. Ils y organisent, le 14 juillet 1899, un combat
entre... un taureau et un lion. L'évènement promet d'être
mémorable... On vient en train, pour l'occasion,
de Douai, d'Arras, de Belgique et même de Paris. "La
Vie au Grand Air" qui se fend d'un reportage
photographique, parle de 10000 spectateurs. Et "Le
Vélo" d'une arène "archicomble",
d'une foule "tapageuse et impatiente, grouillant
sous l'incendie d'un soleil splendide à rendre jaloux
les Espagnols eux-mêmes". Seulement voilà,
au grand dam du public, le lion n'est pas disposé à
combattre...
"(...) le roi des animaux -rapporte "Le
Vélo"- s'est refusé à honorer son adversaire
(...) du moindre coup de croc, ni du moindre coup de
grille. Le public eut sa désillusion : il voulait de
l'horrible, il ne l'eut pas".
UN
"TEMPLE DE LA BOXE"
Théo VIENNE
fut un "organisateur génial, amoureux des sports
en général et de la boxe en particulier" si
l'on en croit le célèbre entraîneur Fernand CURY. Et
il s'avère que Théo VIENNE exerça une influence primordiale
quant à l'essor de la boxe en France.
Maurice PEREZ, l'associé de Théo VIENNE
Victor BREYER l'ayant emmené à Londres dans un temple
de la boxe nommé "Wonderland" (le Pays des
Merveilles), VIENNE emballé crée en 1907 son propre
Wonderland à Paris. Il transforme la salle de bail qu'il
exploitait à côté de sa Grande Roue, en salle de boxe,
avec pour associés les journalistes Robert COQUELLE
et... Victor BREYER. Ne reculant devant aucune difficulté,
VIENNE fait venir les plus grands champions américains,
les Willie et Harry LEWIS, Joe JEANNETTE, Billy PALPSE,
Jack JOHNSON... avec l'éclosion du légendaire Georges
CARPENTIER et la multiplication des salles, Paris devient
la capitale mondiale de la boxe qui connaît, alors,
son âge d'or.
Et Théo VIENNE assume la vice-présidence
de la Fédération Française de Boxe dont le président
n'est autre que... Paul ROUSSEAU, le starter du premier
Paris-Roubaix. Dans ses souvenirs, Emile VYLE, le
populaire speaker des réunions pugilistiques, évoque
Théo VIENNE : "C'était un nerveux, un rouspéteur,
mais au fond un brave type qui ne dédaignait pas s'amuse,
après ses séances du Wonderland, le samedi à la Grande
Roue. Régulièrement après les combats, une bande composée
de Léon SEE, Robert EUDELINE, CERF et votre serviteur,
se réunissait au bureau de Théo VIENNE pour jouer...
à la passe anglaise ! Et, invariablement, au bout d'une
heure ou deux, VIENNE le veinard, ratissait à EUDELINE
la bourse de son boxeur ; à Léon SEE et à CERF le contenu
de leur porte-monnaie, et à moi mon cachet de speaker,
ce qui m'obligeait souvent à effectuer, à deux heures
du matin, un footing désagréable de Grenelle à la Porte
Saint-Martin".
VICTOR BREYER, CYCLISTE ET JOURNALISTE
Le jeune journaliste -envoyé par Paul ROUSSEAU reconnaître
le parcours du premier Paris-Roubaix- mérite bien que
l'on s'arrête un instant sur sa carrière exceptionnelle... Victor
BREYER est né le 27 septembre 1869 à Southwold, lors
de vacances prises par sa famille en Angleterre. En
1881, il pratique le grand-bi, avant de s'affilier au
Sport Vélocipédique Parisien. Il sort avec ses trois
frères, ce sont tous des passionnés de bicycle. Ils
portent, pour pratiquer leur sport favori, un costume
gris : les habitués de l'avenue de la Grande Armée,
lieu de rendez-vous des amoureux de la petite reine,
ignorant leur identité, les appellent tout simplement
"les vestons gris". Et, en 1886,
Victor BREYER signe ses premiers papiers... "Veston
Gris", c'est le début d'une remarquable et
fort longue carrière de journaliste et animateur du
sport. Une carrière qui le conduit du "Véloce-Sport"
au "Miroir des Sports" en passant notamment
par les trois quotidiens sportifs : "Le Vélo"
("le vert"), puis "L'Auto"
("le jaune") et enfin "L'Echo des
Sports" ("le rose"). A l'époque
où Victor BREYER travaille à "L'Auto",
Henri DESGRANGE le nomme directeur des Tours de France
1905 et 1906, mais l'indépendance d'esprit de BREYER
s'accompagne mal de l'autorité d'Henri DESGRANGE et
notre homme se retrouve à "L'Echo des Sports"
dont il devient le patron en 1921, et à la tête duquel
il mène une dure et longue bataille contre DESGRANGE. Journaliste,
mais aussi animateur : dirigeant, organisateur. Victor
BREYER figure au nombre des six signataires de l'acte
de création de l'Union Cycliste Internationale, le 14
avril 1900, en tant que représentant... de la Fédération
des Etats-Unis, il joue aussi un rôle dans l'implantation
de la boxe en France : directeur du Vélodrome Buffalo,
à Montrouge, il organise notamment le fameux match Carpentier-Battling
Siki. L'un de ses frères, Charles, a couru à la fin
des années 1880 devenant même l'un des meilleurs juniors
de sa génération, avant que la camarde, hélas, ne le
fauche en pleine jeunesse. Victor BREYER, lui, a connu
un destin plus heureux, puisqu'il a vécu jusqu'à l'âge
respectable de 90 ans, il est décédé le 20 janvier 1960
à Paris.
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