Dans un Tour qui s'est joué à 8'' près, le rôle des chronomètres a été très important. Revenons sur ce Tour 1989 à travers les cinq contre-la-montre de la Grande Boucle la plus indécise jusqu'à présent.
Par Dominique Turgis le 24 juillet 2009
PROLOGUE A LUXEMBOURG : DELGADO PERD TOUT AVANT LE DÉPART
Le premier événement du Tour 1989 c'est le faux-départ du tenant du titre, Pedro Delgado qui rate l'heure du départ et s'élance avec un handicap de 2'40" sans avoir donné un seul coup de pédale. Francis Lafargue, relation-publique de l'équipe Reynolds dont Pedro Delgado est le chef de file, se souvient : "Le retard de Delgado au prologue, c'est incroyable. Il part le dernier en tant que dernier vainqueur. Le mécano était toujours autour de lui avec une paire de roues dans une main et un chiffon pour essuyer les boyaux au dernier moment. Un moment, il perd de vue Pedro qui s'éloigne dans une rue parallèle pour arriver bien chaud au moment du départ. Il croise Kelly et ça le trompe sur sa propre heure de départ. Toujours sûr de lui, il arrive tranquillement sur l'aire de départ, il n'était toujours pas conscient de son retard. Pedro, c'était un type qui était toujours en retard dans la vie. J'étais à l'arrivée et de bonnes âmes prenaient un malin plaisir à me dire - Il va être éliminé -. Il perd 2'40" ce jour-là car, en réalité, il fait un bon temps absolu.
On ne pouvait pas l'engueuler après cette bourde. Il disait que c'était de sa faute, il consolait le mécano. Après il a fallu assûmer devant la presse".
Cette bourde tombe mal pour l'équipe Reynolds qui vient de décrocher le co-partenariat de la banque Banesto deux semaines avant le départ de Luxembourg. "Reynolds ne pouvait pas suivre les augmentations de budget qui ont suivi l'arrivée de Bernard Tapie dans le vélo. Le président de Banesto, M. Romani, est venu nous voir au départ de Luxembourg pour présenter son projet, la veille du prologue. Après le départ raté de Delgado, le président a été très humain. C'est là qu'on se rend compte que ces gens-là peuvent être proches".
Erik Breukink est le premier maillot jaune du Tour, ce sera le seul de sa carrière. Laurent Fignon et Greg LeMond perdent 6" sur le coureur de Panasonic. Le bras de fer : Fignon <-
0" -> LeMond
CONTRE-LA-MONTRE PAR ÉQUIPE : FIGNON TIRE SON ÉQUIPE
Acacio Da Silva conserve son maillot jaune conquis le matin dans la demi-étape autour de Luxembourg, grâce à une échappée à trois qui a pris plus de 4'00" au peloton.
Les Super U de Laurent Fignon remportent cette étape et le vainqueur du Giro sent qu'il voltige sur son vélo. Dans son livre (1) il se souvient : "Sur la fin du parcours, sauf à de rares occasions, personne ne put me relayer. Je sentais en moi la puissance des grands moments". L'équipe ADR de Greg LeMond sauve les meubles. A la fin du Tour, l'Américain regrettera la faiblesse du soutien de ses équipiers où on retrouve le jeune Museeuw, Lammerts ou Eddy Planckaert. Il déclare à L'Equipe sur les Champs Elysées "J'ai pratiquement dû me battre et me défendre seul, désespérement seul". Mais si cette "petite" équipe était allée 9" moins vite ce jour-là, que serait-il arrivé à Paris ?
Pedro Delgado qui a mal dormi après sa bévue, perd tout son jus. Il est lâché par son équipe. Heureusement, les écarts sont plafonnés à 5'00". Le bras de fer : Fignon
<- 51" -> LeMond
DINARD-RENNES : L'APPARITION DU GUIDON
Au départ du contre-la-montre individuel de 73 km, Greg LeMond se présente avec un guidon de triathlète. C'est la première fois qu'il l'utilise en course. Quelques coureurs de la 7-Eleven l'imitent. Les commissaires acceptent ce 4ème point d'appui tout comme ils avaient accepté au départ du prologue du Tour 86, l'appui dorsal en forme d'aileron de Thierry Marie de l'équipe Système U.
Parti sur le sec, Greg LeMond rencontre la pluie sur son parcours. Il repousse Pedro Delgado à 24". Le Reynolds a couru sous le soleil grâce à sa place dans les profondeurs du classement. Laurent Fignon perd 56". Le vainqueur du Giro a lui aussi couru sur la route mouillée.
La victoire de LeMond s'accompagne de la prise du Maillot Jaune. "Si j'osais, après tout ce que j'ai vécu, je dirai que c'est un exploit. Alors, il ne faudra pas m'en vouloir si je craque".
Le dernier de l'étape Dinard-Rennes, Mauro Gianetti, s'est vu offrir par la Confédération paysanne 35, le prix "Monde paysan et pénalités laitières" soit du lait, des poulets, du fromage et un cochon de lait, plus un abonnement à leur revue L'Aiguillon (2). Le bras de fer : LeMond <-
5" -> Fignon
GAP-ORCIERES MERLETTE : LeMOND GRIMPE MIEUX QUE FIGNON
Laurent Fignon a repris le maillot jaune à Greg LeMond en haut de Super-Bagnères. Il le perd en haut d'Orcières. Les contre-la-montre en côte sont en vogue dans les années 80 sur le Tour, cinq en dix ans.
Le 2ème du Tour 1988, Steven Rooks domine la course et son équipe PDM réalise un tir groupé avec quatre coureurs dans les dix premiers.
Greg LeMond, toujours avec son guidon spécial, se classe 5ème de l'étape, juste derrière Pedro Delgado, toujours 4ème du général en embuscade à 2'48" de l'Américain, nouveau maillot jaune. Laurent Fignon commence très mal sa campagne des Alpes. Le bras de fer : LeMond <-
40" -> Fignon
VERSAILLES-PARIS : LeMOND PREND LA BASTILLE
Le bras de fer avant l'étape : Fignon <- 50" -> LeMond Laurent Fignon a repris le Maillot Jaune à l'Alpe d'Huez et l'a conforté dans la traversée du Vercors à Villard-de-Lans. Mais une blessure à la selle le fait souffrir depuis l'étape d'Aix-les-Bains, deux jours avant l'arrivée. Une douleur atroce. "Bouger était une souffrance. M'asseoir, une horreur" (1). La séance d'échauffement vire au martyr. "C'était impossible de pédaler" (1) . Malgré la douleur, il n'imagine pas que Greg LeMond puisse lui reprendre 50" sur 24 km. Après quelques kilomètres, Cyrille Guimard ne lui donne plus les écarts.
Greg LeMond, de son côté y croit. A Aix-les-Bains il déclare : "Et si je gagnais d'une seconde à Paris ?". Il part, toujours avec son guidon de triathlète mais avec une seule roue pleine à l'arrière quand son adversaire direct en chausse à l'avant et à l'arrière. Greg LeMond ne reçoit lui non plus, les infos de son directeur sportif José De Cauwer : "Après cinq kilomètres, je l'ai renseigné, mais ensuite, je n'en ai plus eu besoin. Le public criait les écarts au bord de la route" (L'Equipe).
Sur les 24 km, Greg LeMond est constamment en avance : 6" au bout de 5 km, 21" à mi-course, 29" après 16 bornes. A 4 km de l'arrivée, avec 48" d'avance sur le Maillot Jaune, Greg LeMond n'est plus qu'à 2" de l'exploit. Il endosse virtuellement le maillot jaune, dans le dernier virage, au demi-tour du rond-point des Champs-Elysées.
On met souvent en avant la moyenne record de ce contre-la-montre, 54.5 km/h, pour dédouaner les performances des chronos actuels au-dessus des 50 de moyenne sur 40 kilomètres. C'est oublier que cette dernière étape s'est disputée avec vent favorable et sur un dénivelé négatif (départ à 140m, arrivée à 45m d'altitude). Pour donner une idée du profil du début de course, sur les 11 premiers kilomètres, Greg LeMond roule à 57.8 km/h et Laurent Fignon à 56.2. Le bras de fer final : Lemond <-
8" -> Fignon
(1) "Nous étions jeunes et insouciants" - éditions Grasset, 2009.
(2) Ouest-France
Photo : Le duel du Tour 1989.
Crédit : DR
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