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En août 1960, l'Allemagne orientale organise les championnats du monde route et piste. Une confrontation qui récompense un pays déjà tourné vers le sport depuis 1950, un an après la création de la RDA. Où le champion du monde amateur Gustav-Adolf Schur est une vedette immense.
Par Dominique Turgis, le 9 novembre 2009
Un an avant la construction du Mur de Berlin, la RDA accueille la fine fleur du cyclisme mondial pour les championnats du monde. Les deuxièmes organisés en Allemagne après la fin de la guerre. Les premiers eurent lieu en Allemagne occidentale comme on disait alors, en 1954. Cette fois-ci, en 1960, le vélodrome de Leipzig reçoit le tournoi arc-en-ciel, à l'exception du demi-fond professionnel qui va ronronner sur la piste de Karl-Marx-Stadt (ex et futur Chemnitz). Leipzig a déjà vu les championnats du monde avant guerre, route et piste en 1934. Le Belge Karel Kaers y a endossé le maillot arc-en-ciel (1). Le vélodrome de Leipzig a aussi accueilli le championnat du monde de demi-fond amateur en 1958.
Les routiers, dames, amateurs et pro vont quérir le titre sur le circuit du Sachsenring à Hohenstein-Ernstthal.
DEUX PAYS, UN SEUL HYMNE
Aux Jeux olympiques, les Allemands de RFA et RDA, créées en 1949, sont unis sous le même maillot jusqu'en 1964. En 1960, et depuis 1954, l'UCI accepte que chaque partie de l'Allemagne présente sa sélection. En revanche pour les amateurs, l'hymne joué en cas de victoire, comme pour le stayer est-allemand Georg Stoltze est L'Hymne à la joie de Beethoven, futur hymne européen. Rudi Altig, champion du monde de poursuite pro a droit de faire résonner l'hymne de la RFA dans le vélodrome de Leipzig.
Le tournoi sur piste va donner lieu à un affrontement direct entre les deux Allemagne. Dans la petite finale de la poursuite amateurs, Koehler, l'Oriental, bat Mangold, l'Occidental, dans un vélodrome de Leipzig plein à craquer et chauffé à blanc. En 1959, quand Rudi Altig (RFA), encore amateur, avait battu le même Koehler en finale du championnat du monde, les journaux écrivaient qu'il avait battu "son compatriote de l'Est". La séparation entre les deux Allemagne n'est pas encore figée dans les esprits.
DES PROS EN RDA
Dans toutes les Allemagne, le demi-fond est populaire. Au moment de la reprise en 1946, les traditions cyclistes sont les mêmes dans la zone d'occupation soviétique que du côté des Alliés. Alors, des deux côtés, le demi-fond prospère et attire les foules. Quand l'UCI relance le championnat du monde amateur derrière moto, en 1958 elle le confie à Leipzig et les Allemands de l'Est Meister et Wahl signent un doublé. Jusqu'en 1963, l'Allemagne orientale monte sur les podiums de cette spécialité. Mais la discipline n'est pas olympique et, dans un pays qui fait des médailles olympiques une arme diplomatique, c'est la fin.
Après guerre, le cyclisme reprend partout en Allemagne. Et partout, il y a des professionnels, à l'Ouest mais aussi à l'Est. Jusqu'en 1954, la RDA organise un championnat de vitesse pro, remporté par Rudolf Voigt. La commission du cyclisme professionnel d'Allemagne de l'Est sera dissoute le 8 avril 1958. Les dernières années, elle ne donnait plus que des licences aux entraîneurs de demi-fond. Les routiers professionnels d'Allemagne orientale étaient obligés de courir à l'Ouest. La fédération de RFA, la BDR (2) les accueille sous ses couleurs
(3).
TÄVE SCHUR, LA VEDETTE EST-ALLEMANDE
Les organisateurs ont vu les choses en grand : 2 millions de saucisses et 500 000 bouteilles de boissons diverses. Habituées des mises en scène collectives, les autorités ont distribué des drapeaux d'Allemagne de l'Est pour pavoiser ainsi que 50 kilomètres de guirlandes.
L'UCI a eu raison de donner les championnats du monde à la RDA. Le public est au rendez-vous. 20 000 personnes pour la cérémonie d'ouverture au vélodrome de Leipzig. L'épreuve sur route amateur sera le clou du spectacle : 150 000 spectateurs (4) vont s'agglutiner sur les 8.7 km du circuit du Sachsenring. Cela représente plus de huit personnes au mètre, des deux côtés de la route ! 60 000 personnes seulement vont venir voir la course des pros. Les vedettes de l'Ouest sont inconnues à l'Est. La presse ne relaie pas leurs exploits. Le samedi après-midi, la foule n'a d'yeux que pour lui, "Täve". Le tenant du titre de la course amateur joue à domicile. Gustav-Adolf Schur, Täve pour tous les Allemands de l'Est, est une immense vedette dans son pays depuis sa victoire devant tous les meilleurs amateurs de l'Ouest à Reims aux championnats du monde 1958. Chose unique dans les annales, il remporte pour la deuxième fois consécutive le titre des "purs". La presse occidentale relève qu'il est "un curieux amateur de 28 ans". Il est à l'école des sports de Leipzig, payé par l'Etat. Pendant trente ans, les pays de l'Est ont envoyé des professionnels d'Etat face à des jeunes amateurs avant leur passage chez les pros ou qui n'avaient pas pied pour franchir le Rubicon.
L'UCI et son secrétaire général René Chésal plaide pour une licence unique qui abolirait les frontières. Mais la présence du cyclisme au programme des Jeux olympiques impose un "mur" entre les deux familles du vélo. Täve ne va pas gagner, mais il va favoriser la victoire en solitaire de son compagnon d'entraînement Bernard Eckstein, 25 ans, sorti dans le dernier tour. Il est né à dix kilomètres du circuit. Devant une foule en délire (à écouter ici)
Schur assure le doublé pour le pays organisateur.
Gustav Schur est un défenseur du régime socialiste de son pays. Depuis 1959, il est membre du parti unique. Il applaudit avec un grand sourire Erich Honecker au parlement est-allemand. Après la chute du Mur, il adhère au PDS qui succède au parti unique et est même élu au Bundestag. En 2001, il ne regrette rien
: "Beaucoup d'erreurs ont été faites mais l'idée de base était bonne". (5).
LE PUBLIC HUE LES PROS
Le samedi matin, la britannique Beryl Burton redore le blason de l'Ouest en devenant championne du monde. Le dimanche, place aux pros. Ils sont venus en voiture, chacun de leur côté car le championnat du monde est une course entre deux critériums. Jacques Anquetil et Jean Stablinski repartiront dès 18 heures, après la course. Ils doivent honorer un contrat le lundi.
En 1960, les pros gagnent leur croûte dans ces tournées de gala et leurs managers jouent un grand rôle dans les coulisses des courses. Dans la sélection belge, Rik Van Looy s'est libéré de l'influence de l'autre Rik, Van Steenbergen. Celui-ci tirait les ficelles de l'équipe nationale. Les sélectionnés n'osaient pas contrarier ses plans car il avait de l'influence sur la distribution des contrats sur piste ou dans les critériums.
L'Empereur d'Herentals règne sans partage sur l'équipe belge. Pino Cerami se dévoue corps et âme pour cadenasser la course. Le public, mécontent de cette course bloquée, le fait savoir.
Rik Van Looy neutralise une attaque d'Henry Anglade et règle au sprint un groupe de dix sept coureurs devant André Darrigade. Le nouveau champion du monde fait un tour d'honneur en voiture.
Nous sommes le 14 août 1960. Un an moins un jour plus tard, la RDA entoure Berlin-Ouest de barbelés, pour commencer. Trente ans plus tard, ce circuit du Sachsenring, accueille le dernier championnat de RDA.
(1) Il est encore utile de préciser à tous les hagiographes et thuriféraires de Lance
Armstrong que le plus jeune champion du monde pro sur route est bien Karel Kaers, à 20 ans.
(2) Bund deutscher Radfahrer, la fédération ouest-allemande.
(3) Source : Contribution de Richard Hering sur le Forum (4) Ouest-Matin, journal communiste (5) Radsport-news.com
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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10
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