|
Premiers Pas dans la carrière...
Le Premier Pas Dunlop fut la première épreuve française
d'envergure réservée aux jeunes coureurs français. Ancêtre puis support du
championnat de France junior, il vit participer quasiment tous les futurs pros
ayant composé le peloton français. Comme souvent dans les épreuves de jeunes, on
ne retrouve que rarement les lauréats dans les premières places des palmarès
pros, cependant deux vainqueurs du Premier Pas ont laissé transparaître lors de
leurs victoires des qualités qui seront par la suite leur "marque de
fabrique".
Par Antoine Riche
Une vieille histoire un peu longue à
se mettre en marche
A l'origine de cette épreuve, on retrouve
une course imaginée par Paul Ruinart et Jean Pétavy et organisée par le
Vélo-Club de Levallois, considéré alors comme l'un des meilleurs clubs amateur
de l'Hexagone. Les premières éditions dataient d'avant 1914. La course, destinée
aux débutants de la région parisienne, reprend dès la fin de la première guerre
mondiale. En 1923, l'organisation Premier Pas est confiée à Dunlop et devient
une course nationale. Elle se compose de plusieurs séries parisiennes et d'une
série par département. Les meilleurs représentants se retrouvent ensuite sur le
circuit de la Minière pour la finale nationale. La course est ouverte à tous les
débutants et ce n'est qu'en 1928 que la limite d'age sera portée à 18 ans. De
1929 à 1938, la finale est organisée sur le circuit de Montlhéry et en 1930
l'épreuve est reconnue par l'UVF (Union Vélocipédique Française, ancêtre de la
FFC). Cette même année, la course est désignée par Miroir des Sports
comme "un championnat de France des Débutants" (titre que le Premier Pas
prendra seulement en 1952).
L'épreuve devient très rapidement un succès
populaire : en 1926, on recense plus de 10 000 participants. Mais les premiers
vainqueurs ne feront pas de carrières professionnelles, même si des futurs
professionnels notables participent à la finale après avoir briller dans leurs
éliminatoires départementales. On trouve ainsi Pierre Magne (frère d'Antonin et
vainqueur d'une étape du Tour 1928), 12e en 1923. De nombreux futurs membres de
l'équipe de France des années trente se distinguent lors du Premier Pas :
Marcaillou ou Le Grevès en 1928 ou encore René Vietto en 1931. De futurs "As" de
la piste brillent également sur cette route comme "Toto" Gérardin, en 1928
également.
Cependant ce n'est qu'en 1938 que le vainqueur fera parler de
lui par la suite avec Roger Chupin. Il remportera par la suite le Grand Prix du
"Courrier Picard" ou Paris-Limoges en 1947, participera quatre fois au Tour et
obtiendra de belles places dans les classiques (4e de Paris-Tours
1951).
Le premier coup de fusil de
Geminiani
L'année 1943 offre l'une des éditions les plus
intéressantes pour de nombreuses raisons. Après deux ans de séparation entre les
finales de la Zone Nord et la Zone Sud pour cause d'occupation allemande, une
seule finale a lieu. Pour y arriver les coureurs devront passer une série de
plus, une éliminatoire régionale ayant été ajoutée. Mais c'est surtout le nom du
vainqueur et de certains de ses suivants qui retiendront l'attention. Sur le
difficile circuit de Montluçon, c'est le régional Raphaël Géminiani qui
l'emporte. Sa victoire ne souffre d'aucune contestation : à 15 kilomètres du but
il s'échappe et personne ne le reverra. Jacques Augendre participe également
à cette finale et le récit qu'il donne montre la portée de l'événement : "Je
le revois exactement dans cette course. (...) Il attaquait dans toutes les
bosses. Et comme le parcours avait été tracé au sud de Montluçon, sur la crête
du Massif Central, il a pu tout le temps attaquer ! (...) La veille de la
course, je vais retirer mon dossard lorsque j'aperçois un vélo drôlement équipé
: il avait un dérailleur non pas à simple enroulement, mais à double
enroulement, c'est-à-dire le dérailleur qu'utilisaient généralement les
cyclotouristes. "Bon ! au moins, je ne serai pas le dernier...", me suis-je dit.
Or, vous allez rire! ce dérailleur, et le vélo qui allait avec, c'était celui de
l'escogriffe qui attaquait dans chaque bosse ! C'était celui de Geminiani."
(1). Augendre termina 32e de l'épreuve. Les souvenirs de ces jeunes hommes
sont parfois amusants, ainsi l'un des représentants bretons, lui aussi très
impressionné par le (futur) "Grand Fusil" et sa belle médaille, le fut encore
plus par les vaches "qui, dans ce pays là, étaient toutes blanches" (2).
Le nom de ce garçon, qui obtint une encourageante sixième place, était Louis
Bobet. Plus tard il formera avec son vainqueur du jour un formidable duo à la
tête de l'équipe de France sur le Tour. Jacques Augendre sera alors dans la
caravane pour raconter leurs exploits dans L'Equipe. Si leur amitié n'est
pas née lors de cette course, l'évocation de cette histoire commune fera naître
plus tard entre eux "un courant de sympathie qui ne s'est jamais démenti"
(1). Il convient d'ajouter à ces trois nom celui de Marcel Dussault (25e),
équipier de Bobet et Geminiani, vainqueur d'étapes et maillot jaune sur le Tour
de France. Comme le dit Jacques Augendre : "Autant dire que dans cette
course, il y avait du beau monde !" (1).
Par la suite, de futurs
grands champions participent et brillent parfois. En 1961, le podium réunit
Pierre Trentin (1er) et Daniel Morelon (3e). Ils se tourneront bientôt vers la
piste pour faire les beaux jours du sprint français, entraîné par un de leurs
prédécesseurs dans le Premier Pas, "Toto" Gérardin. En 1965, Mariano Martinez
(meilleur grimpeur du Tour 1978) l'emporte. Il bat au sprint Bernard Thévenet
(4e) qui l'avait pourtant devancé lors de l'éliminatoire bourguignonne. C'est 39
ans après Geminiani qu'un autre coureur remporte le Premier Pas Dunlop d'une
manière qui en dira long sur la suite de sa carrière.
Le Blaireau commence à se distinguer
En mai
1972, dans sa présentation pour La Voix du Nord, le jeune retraité des
pelotons, Jean-Marie Leblanc cite parmi les favoris Vallet, Naddéo, Osmont,
Tollet, Merdy et Guiborel. Ce dernier se souvient pour Cyclismag : "C'était
impressionnant, parce qu'on avait pas tellement l'occasion de se rencontrer
entre juniors à l'époque. Dans nos régions on courait avec les grands, il n'y
avait pas vraiment de catégories d'âge donc dès qu'on marchait en junior, on
montait vite en première catégorie. C'était les premiers déplacements ou tu
avais l'impression de faire partie de la haute sphère du
vélo." Jean-François Guiborel avait aussi repéré un autre coureur,
Bernard Hinault. Dès le début des 116 kilomètres proposés, les attaques fusent.
Guiborel attaque plusieurs fois et est encore aux premières places du peloton,
lorsqu'arrive, au kilomètre 58, une des principales difficultés du parcours. Les
jeunes coureurs ont pris le soin de reconnaître une partie du circuit et ils
connaissent bien la côte de Pas-en-Artois. A ce moment, Guiborel se souvient
"d'un mec qui nous a passé vraiment très vite. C'était Bernard Hinault.
Derrière à 50 mètres il y avait Bernard Vallet qui savait que c'était le bon
coup qui partait. En 10 ou 20 secondes la course était jouée." Le futur
Blaireau, bien conseillé par son mentor de l'époque, Robert Leroux, avait choisi
cette difficulté pour placer son attaque qu'il voulait décisive. D'ailleurs son
entraîneur, présent sur le parcours, affirma immédiatement "Voilà c'est fini,
vous avez le champion de France !". En effet, Vallet sera repris, mais
Hinault tiendra le peloton en respect : "Celui-ci s'est organisé, comme des
juniors peuvent s'organiser, c'est-à-dire moyennement bien. On n'avait déjà pas
trop l'habitude de courir entre juniors. C'était des sélections régionales
d'adversaires en fait et on se retrouvait sur le même maillot pour une course.
Par contre, derrière Hinault, on s'est quand même entendu entre tous les
comités. On était 7 ou 8 à prendre les relais. Lui n'était pas spécialement
protégé par les Bretons. On a roulé et on avait l'impression qu'il n'y avait
plus personne devant, parce qu'on avait l'impression de rouler vraiment très
vite. Hinault a fait 60 bornes devant nous pour finir avec une trentaine de
secondes d'avance." Le podium final a également laissé à Guiborel un forte
impression : "Lorsque la Marseillaise a retenti, j'ai vu un mec avec des
chaussettes de tennis, des cheveux longs mais avec une gueule de coursier, et je
me suis dit : c'est quand même un super coureur car aujourd'hui il a fait un
gros gros truc." Les journaux du lendemain ne se trompent pas : "Son
succès (...) l'autorise à envisager la suite de sa carrière avec optimisme. Il
fallait en effet une certaine classe et une belle confiance en soi pour
s'échapper seul comme il le fit à mi-course." (L'Equipe) ; "La
victoire de Bernard Hinault a produit une impression très favorable sur les
suiveurs... Il était habité par une solide confiance que partageait son
entourage." (Jacques Augendre - Le Monde) ou encore "Son envol
laissa tout le monde sur place. (...) Hinault était parti. Et cela avait de
l'allure !" (La France Cycliste). Derrière le futur champion du
Monde, on retrouve également quelques futurs bons pros comme Hubert Mathis
(49e), Bernard Vallet (52e), Alain Vigneron (64e) ou René Bittinger (83e).
Jean-François Guiborel quant à lui fut pris dans une chute dans le final et
termina 56e. Là encore, ce fut une belle année !
L'année suivante le
Premier Pas devient le championnat de France des juniors. A part Pascal Simon,
lauréat en 1974, et Vincent Barteau, lauréat en 1980 devant Charly Mottet (3e),
ses vainqueurs ne feront pas vraiment carrière. En 1982, Dunlop se retire et la
formule change. C'est la fin d'une histoire pour les jeunes cyclistes
français.
(1) dans Jacques Augendre, la mémoire du Tour de France,
Christophe PENOT, Editions Cristel, 2001 (2) dans Louison Bobet, une
vélobiographie, Jean BOBET, Editions de la Table Ronde,
2003
Sources : Pierre WEECXSTEEN - Le Cycle avril 1981 et Documents
personnels de Jean-François Guiborel
Photo : Des cheveux longs et
des chaussettes de tennis, mais déjà sur la plus haute marche Crédit :
Cyclisme International
Une remarque sur ce fichier ? : écrivez-nous
|
|
Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10
|
|