Stephen Roche : "Enorme de remporter le Tour de France" Propos recueillis par Antoine Riche
L'EXPLOIT DE BERNARD AU VENTOUX
Avant les Alpes, il y a le Ventoux à escalader contre-la-montre. Jean-François Bernard y réalise un numéro, repoussant le second à plus d'une minute trente. Il prend également le maillot jaune.
"La victoire de Jean-François Bernard met un petit coup à tout le monde. Cette étape faisait très peur aux coureurs, notamment la partie après Chalet Reynard avec la canicule. Il a fait très chaud ce jour là, mais pas autant qu'on aurait pu le croire.
Ma performance (5e à 2'19") est assez bonne, je n'aurai pas pu monter plus vite que je ne l'ai fait, mais c'est surtout la performance de Bernard qui nous a surpris. Par rapport à Delgado, Mottet ou Herrera, je suis dans le coup et dans l'optique de la victoire finale dans le Tour, je ne juge pas cette performance comme une catastrophe. Moi, j'ai en tête les 26 jours du Tour et Jean-François a couru ce jour là comme si il n'y avait qu'un jour de course. D'ailleurs, le lendemain, il le paie."
LA PRISE DU MAILLOT JAUNE
Avant d'attaquer les Alpes, Roche met au point sa stratégie : "C'est Bernard qui a le maillot jaune. Je pense que je suis aussi bien que lui, mais mon équipe est plus forte que la sienne. Il ne me fait pas peur dans les contre-la-montre et je suis plus fort que lui dans la montagne.
J'attaque dans la première étape des Alpes. Je m'échappe avec Delgado qui gagne l'étape et je prends le maillot jaune."
Le plus dur est pourtant loin d'être fait : "En prenant le maillot, je me suis dit : "Dans quelle situation je me suis fourré ?" Je me demande comment je vais le conserver. Même si mon équipe est solide, le plus dur reste à venir. Chez Carrera, seul Eddy Schepers est capable de suivre dans la montagne, ce n'est pas suffisant contre Delgado.
A l'Alpe d'Huez, je perds volontairement le maillot jaune. J'ai toujours en tête cette fameuse minute que je dois garder par rapport aux premiers pour rêver d'une victoire. Au sommet de l'Alpe, je suis à 25" de Delgado et donc, dans les temps. Je peux toujours faire la différence à Dijon."
OXYGÈNE À LA PLAGNE
La dernière arrivée au sommet a lieu à la Plagne, une dernière occasion pour une grande offensive : "Après le Galibier, les équipiers de Delgado sont un peu éparpillés, c'est pour moi une occasion à saisir et j'attaque. Je suis dans un petit groupe et il y a un coup à jouer. Je sais pourtant que c'est un peu suicidaire. Fignon a fait un coup à Blagnac, moi, j'essaie dans cette étape.
Je suis finalement repris et dès le pied de la montée vers la Plagne, Delgado attaque. Je sais que je ne peux rien faire car il est dans son milieu, dans la montagne. Si j'essaie de le suivre, il va essayer de me lâcher jusqu'à ce que je craque. J'ai 100 km d'échappée dans les jambes, avec l'ascension de la Madeleine. Je le laisse partir et lui laisse prendre du temps. Au fur et à mesure des pointages, les gens vont se dire que l'Espagnol prend de plus en plus d'avance : 30 s, 40 s, 1 min, puis 1 min 10. Je me dis que Delgado va être content de me mettre encore 1 min 30 dans la figure et va donc continuer comme ça. Moi, j'attends les quatre derniers kilomètres et je donne tout. Je fais un contre-la-montre de quatre kilomètres. Je pensais revenir à 30 s de Delgado et je suis donc surpris de finir à quelques mètres de lui. Delgado a sûrement un peu coincé sur la fin. De plus, il ne savait pas que je revenais. Ce jour là, je réussis mon coup. Ce qui m'embête c'est que je prends dix secondes de pénalité dans cette étape. J'avais pris un bidon non conforme avec le règlement car il n'était pas marqué Coca Cola dessus. Ca m'énerve un peu."
A la Plagne, Roche finit dans une ambulance : "J'ai tellement donné et tout le monde m'entoure pour savoir comment je suis revenu. Il n'y a personne pour me dire de descendre de vélo. Je suis en manque d'oxygène et je tombe dans les pommes."
"JE ME CONNAIS BIEN"
Il ne reste alors qu'une étape de montagne : "Dans la dernière étape à Morzine, je dois m'accrocher. Le soir de la Plagne, mon soigneur me demande si je veux prendre mon repas dans la chambre. Je ne veux pas car le autres doivent me voir. Volontairement je descends dans la salle à manger. Tout le monde se dit : "Il est pâle, il est blanc". Ca les marque et ils se disent que j'ai trop donné. Moi, je les laisse penser ça et je pense attaquer le lendemain. Si je prends ne serait-ce que cinq ou dix secondes dans l'étape de Morzine, Delgado va mal dormir. Je veux jouer sur le moral de Delgado."
A Morzine, Roche reprend finalement 18" à Delgado. Il ne reste plus qu'à confirmer dans le contre-la-montre final : "Au départ du dernier contre-la-montre, je suis à 21" de Delgado, en jaune. En temps normal, je pense reprendre une minute à Delgado. Je ne pense pas Bernard qui est derrière et qui ne reviendra pas. Je base ma course du Delgado. Je lui reprends 61", la preuve que je me connais bien."
LE MAILLOT VERT, ENJEU DE LA DERNIÈRE ÉTAPE
La dernière étape sur les Champs-élysées fait peur à Roche : "Le maillot vert n'est pas joué. C'est moi qui suis en tête du classement par points au départ de la dernière étape. Les Hollandais sont derrière avec notamment Van Poppel. Il y a deux équipes rivales celles de Peter Post et Jan Raas. Le but est de faire perdre l'autre. Dès le départ il y a la bagarre. Je suis obligé d'aller voir une de ces équipes en leur disant que je renonce à faire le sprint. Je vais voir l'équipe de Van Poppel et me mets d'accord avec lui. Sinon, je prends le risque que des coureurs comme Bernard ou Mottet profitent de la course de mouvement pour prendre une échappée et prennent de l'avance.
Avec le recul, je regrette un peu. Gagner le maillot vert aurait été beau, mais d'un autre côté, je dois assurer le maillot jaune qui est l'objectif principal.
C'est facile de se dire qu'aujourd'hui que j'aurai pu gagner le maillot vert, mais je préfère regretter ça que d'avoir perdu le Tour et regretter de ne pas m'être mis d'accord avant pour le maillot vert."
Stephen Roche remporte donc le Tour de France 1987 : "C'est énorme."
Photo : Jack Claassen
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