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La télé et le Tour...
Par Dominique Turgis (le 3/7/2004)
Quand la télévision arrive dans le Tour 1948, elle se fait toute petite. Depuis 1903, la presse écrite et les actualités filmées couvrent la course. Dans les années 20, la radio a bousculé tout ce petit monde par sa rapidité pour relater les évènements. Elle a su attirer les voix de Tristan Bernard, ou encore de Jean Gabin, Albert Préjean et Georges Carpentier chroniqueurs sur Radio 37 du Tour 38 (et pas l'inverse !).
La dernière étape du Tour 48 est le théâtre de la première retransmission en direct en extérieur de la télévision française. La scène de théâtre tient dans le vélodrome du Parc des Princes. Il n'est pas encore question de transporter des caméras sur des motos. Au début des années 50 (1), les rares téléspectateurs peuvent regarder le résumé de la veille à midi trente, commenté à Paris par Georges De Caunes. Le 8 juillet 1958, ces téléspectateurs vont avoir droit au premier direct depuis la route du Tour grâce à des caméras fixes hissées au sommet de l'Aubisque. Malheureusement, le brouillard perturbe la retransmission. L'expérience est renouvelée le lendemain avec le passage de Peyresourde et l'arrivée de l'étape. Le 13 juillet, c'est l'ascension ensoleillée du Ventoux, contre-la-montre. Avec l'apparition des caméras H.F en 1962, les motos vont pouvoir transporter les yeux des téléspectateurs dans les derniers kilomètres.
La patte Chapatte
Le grand chantre du direct aura un nom, une voix et un visage : Robert Chapatte. Ce banlieusard a commencé le vélo sous le maillot rouge sang à liserés verts de l'Etoile Sportive du Parc St Maur, dans la roue de son copain Louis Caput. Plusieurs fois "Tour de France", il devient journaliste après avoir raccroché. Il rentre à la R.T.F. en 1960. En direct, il invente son propre style, entretient une conversation imaginaire avec le téléspectateur, pose les questions et y répond dans la même phrase. Il connaît le vélo et, à l'époque, reconnaît les coureurs. Il a toujours quelque chose à raconter, un suiveur à saluer. Et, fin du fin, il s'amuse à donner le classement du peloton le plus loin possible.
Après Mai 68, il est viré de l'ORTF. Il ne commente pas le Tour à la télé mais le public de la Cipale de Vincennes l'ovationne à l'occasion d'un critérium d'après-Tour, le 4 août. Il va rebondir sur la moto d'Europe 1, quelques années avant…Jean-René Godart.
Signe des temps, la contestation sociale peut gagner la télévision sur le Tour. En 1970, les cadreurs du direct font grève jusqu'à la 14ème étape. Pas d'image. Il faut attendre le résumé du soir.
A partir de 1969, Léon Zitrone reprend le flambeau et le micro. D'autres journalistes font leurs classes : Daniel Pautrat, Richard Diot, Jean Michel Leulliot puis Bernard Giroux et Jean-Paul Ollivier.
Robert Chapatte va revenir à son poste à une époque où, en 1975 par exemple, TF1 retransmet l'étape en noir et blanc et FR3 en couleurs. A partir de 1976, TF1 et Antenne 2 se partagent le gâteau des étapes. Chapatte est sur la deux.
Hinault en éclaireur
"Bon, j'dis pas que sur la fin, il avait pas un peu baissé" le Robert, pour reprendre les mots de Michel Audiard. Au point d'appeler Yvon Madiot, pendant tout le Tour de France 1986 "Régis Ovion", parce que le Mayennais portait le maillot de champion de France, comme le Parisien, onze ans plus tôt.
Pour commenter, il va s'associer à Géminiani puis Anquetil avant d'être associé lui-même à Patrick Chêne. De l'autre côté, sur TF1, Raymond Poulidor se recycle consultant, avec Jean Michel Leulliot. En 1977, TF1 a même recruté le jeune Bernard Hinault pour reconnaître les étapes à vélo, avant le peloton.
La révolution Holtz
On l'a vu, le résumé de l'étape est l'émission la plus ancienne de la télévision sur le Tour. D'abord le lendemain midi, il est diffusé le soir même de l'étape à 20h30, le progrès aidant. Il est repris par l'Eurovision. Théo Mathy, le commentateur belge de la RTBF se souvient de ses commentaires téléphonés depuis les bureaux de poste ouverts pour l'occasion, au moment où les images étaient diffusées en direct. Parfois, il avait du mal entre une crise de fou rire et les plombs qui sautent.
Le résumé est avancé à 19h45, jusqu'en 1984. Avec l'accord d'exclusivité entre le Tour et Antenne 2, en 1985, la révolution Holtz arrive. Gérard Holtz va dépoussiérer et renouveler le genre. L'image du jour, le résumé, les coulisses, un portrait. Un vrai magazine de 25 minutes avant le journal de 20h. Une vraie réussite.
Le dernier élément de la Sainte Trinité télévisuelle du Tour, c'est l'émission de commentaires après le direct.
Le vélo fait parler
"Face au Tour" fut créé à la fin des années 60 par un des organisateurs, le visionnaire et efficace Félix Lévitan. L'émission est courte, une dizaine de minutes. Pas de temps pour faire de la publicité pour le dernier cadre Look. D'ailleurs, la publicité a causé un incident dans cette caravane (une caravane ouverte sur le côté servait de studio). En 1983, TF1 se rend compte au bout de quelques jours que le panneau publicitaire au dessus de la banquette où s'assoient les invités ne devrait pas être là. Grosse colère de Félix Lévitan. Le patron du Tour ordonne aux coureurs présents de sortir de la caravane-studio.
En 1985, Jacques Chancel avec "A Chacun son Tour" une émission plus longue, va mettre en avant ses fameuses mascottes, qu'il voudrait voir à l'attaque tous les jours : Thierry Marie, Jean François Bernard, Jean-Claude Colotti ou Henri Abadie ont bénéficié de ce coup de projecteur.
En 1990, Gérard Holtz prend la suite avec son credo "Priorité aux coureurs" pas toujours respecté. "Gégé" adore exhiber ses pansements, ses blessures de guerre, stigmates d'une chute de vélo pendant la journée de repos. Il prend surtout bien soin d'expliquer les circonstances de cette chute, devant des coureurs aux coudes et aux genoux écorchés et couronnés. Et parfois, les coureurs se révoltent. Ainsi, Laurent Brochard, en 2002, renvoie calmement mais fermement Gérard Holtz dans les cordes. La veille, le présentateur lui avait reproché en direct de ne pas être venu sur son plateau. Parole à la défense, monsieur le Procureur!
La télé fait partie de la course
La télévision a fait évoluer la course. Jacques Goddet l'admettait lui-même :
"J'ai tout de suite senti que la télévision allait modifier la physionomie du Tour de France, sous tous ses aspects (...) Elle a d'abord rendu la course plus compréhensible (...) Elle démontre qu'il s'agit bien d'une épreuve monumentale, que le cyclisme est un sport merveilleux." et surtout "La télévision est devenue un motif d'animation de la course, même si elle se manifeste parfois de la manière désordonnée." (2) Passer à la télé, montrer le maillot fait partie du métier de coureur cycliste. Mais le comble est atteint quand TF1 récompense le coureur qui passe le plus souvent à l'écran, en 1975. Le Français Jean-Claude Misac remporte ce prix avant de décéder à l'entraînement, en septembre. En 1980, un nouveau Grand Prix TF1 arrive. Il reprend le principe du combiné.
Ecran total
La dernière étape de la télévision dans le Tour, c'est l'étape en intégrale. La première réalisation date de 1990 à l'occasion de St Gervais-L'Alpe d'Huez. L'antenne démarre à 9h45. Les deux chaînes publiques Antenne 2 et FR3 se donnent la main et se relaient. Les téléspectateurs sont gâtés avec la victoire de Bugno et la résistance de Ronan Pensec qui garde son maillot jaune. La rubrique télévision de l'Equipe titre le lendemain : "Le jour le plus bon". A cette époque, Antenne 2 offre, d'ordinaire, 90 minutes de direct, plus les passages de cols importants. En 1965, la télévision diffuse entre les 15 et 30 derniers kilomètres et les passages de cols. Toutefois, Robert Chapatte ajoute dans L'Equipe : "Pour des raisons techniques, nous ne diffuserons parfois que les 12 derniers kilomètres." Toujours en 1965, une nouveauté va rendre plus lisibles les contre-la-montre avec l'affichage des temps à l'écran.
Pour retransmettre une étape entière, il faut du personnel. En 1965, 60 personnes travaillent pour la télévision française sur le Tour. En 1980, la télévision allemande est toute fière de retransmettre le départ du Tour de Francfort. Elle ne fait pas semblant et aligne 10 gros camions de matériel sur la ligne d'arrivée. En 1995, c'est une centaine de personnes qui assurent la couverture du Tour pour France Télévision. Le matériel est au diapason de cet orchestre : vingt caméras, six motos image et deux hélicoptères avec la fameuse boule Wescam (3).
Depuis quelques années, la retransmission intégrale d'une étape germait dans les têtes. En 1983, Bernard Dolet, journaliste de la rubrique télévision de L'Equipe est enthousiasmé par l'étape pyrénéenne des quatre cols. L'étape a été formidable, animée de bout en bout mais la télévision n'a montré que la fin du col de Peyresourde et la plongée vers Bagnères-de-Luchon (avec les cascades de Pedro Delgado). Le journaliste se met à rêver tout haut "Pourquoi n'aurait-on pas droit un jour à une étape du Tour retransmise intégralement ? (...) Utopiques nos propos
? Allons, on y viendra sûrement. Un beau jour…" et ce jour est donc venu.
Est-ce un bien de tout montrer ? Certains craignent de briser le mystère du peloton. Pour Robert Chapatte :
"Le cyclisme n'est pas un sport spectacle car on ne voit pas la course de bout en bout mais peut il le devenir
? Mais ce serait peut être une erreur de le démythifier."
(4). Depuis 1986, date de ces propos, le cyclisme a été mis à nu, d'une autre manière. Plus par les juges que par les caméras. Car, même sous les projecteurs, le vélo sait rester opaque.
(1) Les sources divergent sur les premiers résumés filmés quotidiens. Dans les années 50, Ouest-France parle de 1949. D'autres parlent de 1952. Peut être qu'en 1949, il y eut quelques résumés mais pas tous les jours.
(2) Vélomagazine n°288 Juin 93
(3) Vélomagazine n°311 Juillet 95
(4) Vélomagazine n°208 Mars 86
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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10
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