Tour 1968, le premier "Tour du Renouveau"
Le 10ème Tour du Renouveau depuis 1999 s'élance de Brest. Une ville d'eau
comme Vittel, la ville départ du Tour 1968. Le Tour 1968 devait être le Tour
de la "santé". Les contrôles antidopage y sont quotidiens, leurs
résultats attendus feront parfois l'actualité. Si le dopage est un sujet central
du départ du Tour 68, c'est que les mois précédents furent riches en affaires.
Déjà.
Par Dominique Turgis le 5 juillet 2008
Le Tour qui s'élance de Vittel en juin 68 part dans une drôle d'ambiance.
Ce ne sont pas les élections législatives anticipées ni les choix des sélectionneurs
des équipes nationales qui font jaser. Seul Roger Pingeon regrette que Marcel
Bidot ne l'ait pas consulté avant de sélectionner Bernard Guyot et Jean Jourden
en équipe de France A. Ce qui met de l'eau dans le gaz dans le peloton, c'est
- déjà - le dopage. Plus exactement les contrôles anti-dopage. Bien avant
la mort médiatisé de Tom Simpson l'année précédente, le problème du dopage
dérangeait le train-train du milieu du vélo. Après le vote de la loi anti-dopage
de juin 1965, pour répondre aux dérives déjà existantes (malaise de coureurs
en pleine course), certains coureurs ont eu du mal à se faire aux contrôles.
Pour avoir enfreint la loi sur les amphétamines sur le Tour 66, Hermann Van
Springel, Julien Delocht, Gilbert Bellone et Roger Milliot sont convoqués au
tribunal de Bordeaux en 1967. L'UCI FAIT LES
GROS YEUX Le premier gros scandale
public va avoir lieu au championnat du monde du Nürburgring de 1966. Altig,
le vainqueur, Anquetil, Motta, Stablinski et Zilioli sont suspendus deux mois
pour avoir refusé de pisser au contrôle ou pour y être arrivé en retard,
dans le cas des Français. Giorgio Ursi écope de trois mois car il a la circonstance
aggravante d'être amateur. Raymond Poulidor ne prend qu'un mois car il a fait
preuve de bonne volonté : il s'est présenté dans les délais mais dans la
mauvaise tour (les hauts-parleurs ont annoncé que les contrôles se dérouleraient
dans la tour du Nürburgring mais il y en avait deux). Réactions outrées des
intéressés. Rudi Altig, le champion du monde et sa marque, Molteni, veulent
porter plainte contre l'UCI. Rudi Altig réclame 100 000 DM pour le manque à
gagner des contrats perdus pendant la suspension. De toutes façons, la fédération
internationale ne croit même pas dans son règlement. Le 2 septembre, le lendemain
de la décision disciplinaire de l'UCI, les commissaires laissent Anquetil,
Altig, Motta et Poulidor participer à Paris-Luxembourg. BRACKE
ETOUFFE L'AFFAIRE ANQUETIL
Au G.P des Nations, Jacques Anquetil semble changer d'avis sur le contrôles
et va pisser. Douze mois plus tard, pour sa dernière tentative contre le record
de l'heure - réussie sur le vélo - "Maître Jacques" refuse de passer
au contrôle, sur les conseils de Raphaël Geminiani. La position de "Gem"
est la suivante : "L'UCI ne peut pas me prouver que les records précédents
ont été battus sans utilisation de produits". Une position confortée
par les déclarations de Roger Rivière qui déclare avoir battu son second
record de l'heure en 1958 avec la poudre qui débordait du canon : 1 injection
d'amphétamine pour faire de l'effet 40'00" et une de solucamphre, cinq
minutes avant la course dans le vestiaire. Pour les 20 dernières minutes, il
a pris 5 comprimés d'amphétamines avant de partir. Par contre pour son premier
record de 1957, il n'a pris que du solucamphre, un vasodilatateur. (1) Donc
on peut battre le record sans rien prendre. Aujourd'hui, Roger Rivière aurait
pu vendre un livre sur son expérience. Dans un premier temps, la FFC veut défendre
son licencié avant de reprendre ses esprits et de respecter son règlement.
La tentative réussie de Ferdinand Bracke à Rome met fin à la polémique.
Les mois de septembre et octobre 1967 sont fertiles sur le plan du dopage :
contrôles oubliés ou refusés mais aussi décès comme celui de Michel De
Wilde, 25 ans, victime d'une surdose d'amphétamines. HECATOMBE
AU GIRO 68 En 1968, les contrôles
détectent le principal stimulant utilisé, les amphétamines. Devant des contrôles
efficaces, les coureurs ont vite fait de trouver des parades. Le Giro 68 offre
un florilège. C'est d'abord Van Schil qui est dénoncé par deux autres coureurs
au médecin contrôleur pour avoir triché. Parmi ces deux cyclistes, un grand,
Franco Bitossi pour qui, visiblement, la loi du silence n'existe pas. Désiré
Letort et Marino Basso ne vont pas se gêner, non plus, pour parler des pratiques
de Vittorio Adorni, futur champion du monde qui, selon eux, utilise une poire
d'urine ''vierge'' reliée par un tuyau au poignet : "Alors que Vittorio
signait le procès-verbal de contrôle, le liquide qui s'écoulait encore, humidifiait
la manche longue de son survêtement" (2). Letort s'y connaît en contrôle,
il a été déchu de son titre de champion de France 1967 pour contrôle positif.
Le filet de la pêche anti-dopage va se remplir d'un gros poisson à la fin
du Giro. Felice Gimondi est contrôlé positif et suspendu un mois. Pas de Tour
pour lui, ni pour Raymond Delisle, lui aussi pris positif sur le Giro. En réaction
à tous ces contrôles, le syndicat des coureurs italiens réclame la suspension
des mesures antidoping par la voix de Gimondi, Adorni et Motta, tous suspectés
mais soutenus par Dancelli et Zandegu. La loi du silence va prendre le dessus
sur la libre expression de Bitossi. Pour disculper Gimondi, des médecins italiens
vont absorber le médicament que le coureur dit avoir absorbé pour se soigner.
Le résultat au contrôle urinaire donnerait un résultat identique à la prise
d'amphétamines (3). Gimondi est finalement blanchi. Les médicaments n'ont
pas fini de faire parler d'eux. "C'EST
PAS MOI, C'EST LES AUTRES !"
Les organisateurs du Tour sont conscients du problème du dopage,
surtout après la mort de Tom Simpson sur leur épreuve en 1967. En 1968, ils
annoncent que l'expertise et la contre-expertise seront effectuées en même
temps et les résultats seront connus sous 48 heures. Si sanction il doit y
avoir, elle sera donc immédiate. Pour enlever l'excuse bidon de la boisson
frelatée passée par un spectateur mal (ou trop) intentionné qui dope à son
insu le coureur, les organisateurs autorisent les ravitaillements en boissons
à la voiture des directeurs sportifs. Tout est prêt, le "Tour de la santé"
peut démarrer. L'Équipe du 26 juin peut annoncer fièrement : "Tour
68 : Un tournant dans la lutte contre le dopage". Le premier contrôle
positif est l'œuvre du Français José Samyn. Encore la faute d'un médicament,
le corydrane, qu' "ON" lui a donné. Mais il ne veut pas dire qui
se cache derrière "ON". L'omerta prend le dessus. José Samyn affirme
être pour les contrôles mais à condition que "tout le monde soit
logé à la même enseigne". Samyn et plus tard Stablinski laissent
peser le doute sur l'égalité des contrôles pour diminuer leur responsabilité
propre. Finalement, le "ON" de José Samyn est trouvé, c'est Maurice
De Muer, directeur sportif de Samyn et de Jan Janssen le reste de l'année.
De Muer, au contraire de Samyn mis hors-course, n'est pas exclu du Tour car
il semble que le coureur ne se soit pas contenté du corydrane (4). L'annonce
du contrôle positif et de l'exclusion de Jean Stablinski tombe le jour de la
chute de Raymond Poulidor qui perd là le Tour de France. Le quadruple champion
de France ne comprend pas qu'un coureur de son statut se fasse pincer et il
devient menaçant. Retenez-le ou il va faire un massacre : "Ce n'est
pas le jour de faire éclater un scandale après le drame Poulidor mais bientôt
je livrerai des noms (des dopés impunis). Je connais des coureurs qui ont utilisé
des stimulants à base d'amphétamines comme la trinitrine, soumis à des contrôles
dont le résultat s'est révélé à ma grande surprise négatif" (3).
Le peloton s'invente des rumeurs, fondées ou non, qui l'arrange bien pour justifier
la prise de produits. De ces deux exemples de défense, on peut tirer deux états
d'esprit vis à vis du dopage :
- Le coureur ne veut pas se doper mais il voit que les autres passent à travers
et n'a pas d'autres choix que de faire comme les copains, quitte à se faire
prendre.
- "C'est pas moi qui me dope, ce sont les autres qui ne se font pas
prendre. Et si ils sont négatifs, ça veut dire qu'ils ne se dopent pas."
Dans les deux cas, la régularité des contrôles est contestée. En prêtant
le flanc aux critiques, les contrôles fragilisés n'empêchent pas le dopage
mais encouragent les "bonnes" excuses. JANSSEN
A BESOIN DE SE RASSURER Même
s'il ne participe pas au Tour, Jacques Anquetil fait parler de lui. Il est suspendu
du 13 juillet au 12 août pour ne pas s'être présenté au contrôle du G.P
de Romagne le 23 juin. Malgré cela, il court pourtant le 13 juillet à Iereske
aux Pays-Bas. La sanction est annulée le 21 juillet car il apparaît qu'il
n'a pas été prévenu de l'existence du contrôle. Le Tour continue, le final
est indécis et fait oublier toutes les affaires de dopage, jusqu'au contre-la-montre
ultime. Herman Van Springel est maillot jaune. Il compte 12" d'avance sur
San Miguel et 16" sur Janssen. Avant ce chrono, Jan Janssen se montre nerveux,
pose des questions sur le contrôle. Il va voir le Docteur Dumas, le médecin
du Tour. Pour négocier ? Finalement, le "Hollandais à lunettes"
remporte l'étape et le classement final du Tour. Le docteur Dumas accueille
Jan Janssen au contrôle antidopage : "Tu vois, tu n'as pas besoin d'excitants
pour remporter le Tour." (4)
On aimerait tellement le croire.
(1) L'Equipe. Roger Rivière a parcouru 46.923 km en 1957 et 47.346
km en 1958 malgré le handicap d'une crevaison. (2) L'Equipe du 12
juin 1968 (3) France-Soir (4) Ouest-France
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