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Le Tour 196822 decembre 2024  

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Tour 1968, le premier "Tour du Renouveau"

Le 10ème Tour du Renouveau depuis 1999 s'élance de Brest. Une ville d'eau comme Vittel, la ville départ du Tour 1968. Le Tour 1968 devait être le Tour de la "santé". Les contrôles antidopage y sont quotidiens, leurs résultats attendus feront parfois l'actualité. Si le dopage est un sujet central du départ du Tour 68, c'est que les mois précédents furent riches en affaires. Déjà.

Par Dominique Turgis le 5 juillet 2008

Le Tour qui s'élance de Vittel en juin 68 part dans une drôle d'ambiance. Ce ne sont pas les élections législatives anticipées ni les choix des sélectionneurs des équipes nationales qui font jaser. Seul Roger Pingeon regrette que Marcel Bidot ne l'ait pas consulté avant de sélectionner Bernard Guyot et Jean Jourden en équipe de France A. Ce qui met de l'eau dans le gaz dans le peloton, c'est - déjà - le dopage. Plus exactement les contrôles anti-dopage. Bien avant la mort médiatisé de Tom Simpson l'année précédente, le problème du dopage dérangeait le train-train du milieu du vélo. Après le vote de la loi anti-dopage de juin 1965, pour répondre aux dérives déjà existantes (malaise de coureurs en pleine course), certains coureurs ont eu du mal à se faire aux contrôles. Pour avoir enfreint la loi sur les amphétamines sur le Tour 66, Hermann Van Springel, Julien Delocht, Gilbert Bellone et Roger Milliot sont convoqués au tribunal de Bordeaux en 1967.

L'UCI FAIT LES GROS YEUX

Le premier gros scandale public va avoir lieu au championnat du monde du Nürburgring de 1966. Altig, le vainqueur, Anquetil, Motta, Stablinski et Zilioli sont suspendus deux mois pour avoir refusé de pisser au contrôle ou pour y être arrivé en retard, dans le cas des Français. Giorgio Ursi écope de trois mois car il a la circonstance aggravante d'être amateur. Raymond Poulidor ne prend qu'un mois car il a fait preuve de bonne volonté : il s'est présenté dans les délais mais dans la mauvaise tour (les hauts-parleurs ont annoncé que les contrôles se dérouleraient dans la tour du Nürburgring mais il y en avait deux). Réactions outrées des intéressés. Rudi Altig, le champion du monde et sa marque, Molteni, veulent porter plainte contre l'UCI. Rudi Altig réclame 100 000 DM pour le manque à gagner des contrats perdus pendant la suspension. De toutes façons, la fédération internationale ne croit même pas dans son règlement. Le 2 septembre, le lendemain de la décision disciplinaire de l'UCI, les commissaires laissent Anquetil, Altig, Motta et Poulidor participer à Paris-Luxembourg.

BRACKE ETOUFFE L'AFFAIRE ANQUETIL

Au G.P des Nations, Jacques Anquetil semble changer d'avis sur le contrôles et va pisser. Douze mois plus tard, pour sa dernière tentative contre le record de l'heure - réussie sur le vélo - "Maître Jacques" refuse de passer au contrôle, sur les conseils de Raphaël Geminiani. La position de "Gem" est la suivante : "L'UCI ne peut pas me prouver que les records précédents ont été battus sans utilisation de produits". Une position confortée par les déclarations de Roger Rivière qui déclare avoir battu son second record de l'heure en 1958 avec la poudre qui débordait du canon : 1 injection d'amphétamine pour faire de l'effet 40'00" et une de solucamphre, cinq minutes avant la course dans le vestiaire. Pour les 20 dernières minutes, il a pris 5 comprimés d'amphétamines avant de partir. Par contre pour son premier record de 1957, il n'a pris que du solucamphre, un vasodilatateur. (1) Donc on peut battre le record sans rien prendre. Aujourd'hui, Roger Rivière aurait pu vendre un livre sur son expérience. Dans un premier temps, la FFC veut défendre son licencié avant de reprendre ses esprits et de respecter son règlement. La tentative réussie de Ferdinand Bracke à Rome met fin à la polémique. Les mois de septembre et octobre 1967 sont fertiles sur le plan du dopage : contrôles oubliés ou refusés mais aussi décès comme celui de Michel De Wilde, 25 ans, victime d'une surdose d'amphétamines.

HECATOMBE AU GIRO 68

En 1968, les contrôles détectent le principal stimulant utilisé, les amphétamines. Devant des contrôles efficaces, les coureurs ont vite fait de trouver des parades. Le Giro 68 offre un florilège. C'est d'abord Van Schil qui est dénoncé par deux autres coureurs au médecin contrôleur pour avoir triché. Parmi ces deux cyclistes, un grand, Franco Bitossi pour qui, visiblement, la loi du silence n'existe pas. Désiré Letort et Marino Basso ne vont pas se gêner, non plus, pour parler des pratiques de Vittorio Adorni, futur champion du monde qui, selon eux, utilise une poire d'urine ''vierge'' reliée par un tuyau au poignet : "Alors que Vittorio signait le procès-verbal de contrôle, le liquide qui s'écoulait encore, humidifiait la manche longue de son survêtement" (2). Letort s'y connaît en contrôle, il a été déchu de son titre de champion de France 1967 pour contrôle positif. Le filet de la pêche anti-dopage va se remplir d'un gros poisson à la fin du Giro. Felice Gimondi est contrôlé positif et suspendu un mois. Pas de Tour pour lui, ni pour Raymond Delisle, lui aussi pris positif sur le Giro. En réaction à tous ces contrôles, le syndicat des coureurs italiens réclame la suspension des mesures antidoping par la voix de Gimondi, Adorni et Motta, tous suspectés mais soutenus par Dancelli et Zandegu. La loi du silence va prendre le dessus sur la libre expression de Bitossi. Pour disculper Gimondi, des médecins italiens vont absorber le médicament que le coureur dit avoir absorbé pour se soigner. Le résultat au contrôle urinaire donnerait un résultat identique à la prise d'amphétamines (3). Gimondi est finalement blanchi. Les médicaments n'ont pas fini de faire parler d'eux.

"C'EST PAS MOI, C'EST LES AUTRES !"

Les organisateurs du Tour sont conscients du problème du dopage, surtout après la mort de Tom Simpson sur leur épreuve en 1967. En 1968, ils annoncent que l'expertise et la contre-expertise seront effectuées en même temps et les résultats seront connus sous 48 heures. Si sanction il doit y avoir, elle sera donc immédiate. Pour enlever l'excuse bidon de la boisson frelatée passée par un spectateur mal (ou trop) intentionné qui dope à son insu le coureur, les organisateurs autorisent les ravitaillements en boissons à la voiture des directeurs sportifs. Tout est prêt, le "Tour de la santé" peut démarrer. L'Équipe du 26 juin peut annoncer fièrement : "Tour 68 : Un tournant dans la lutte contre le dopage". Le premier contrôle positif est l'œuvre du Français José Samyn. Encore la faute d'un médicament, le corydrane, qu' "ON" lui a donné. Mais il ne veut pas dire qui se cache derrière "ON". L'omerta prend le dessus. José Samyn affirme être pour les contrôles mais à condition que "tout le monde soit logé à la même enseigne". Samyn et plus tard Stablinski laissent peser le doute sur l'égalité des contrôles pour diminuer leur responsabilité propre. Finalement, le "ON" de José Samyn est trouvé, c'est Maurice De Muer, directeur sportif de Samyn et de Jan Janssen le reste de l'année. De Muer, au contraire de Samyn mis hors-course, n'est pas exclu du Tour car il semble que le coureur ne se soit pas contenté du corydrane (4). L'annonce du contrôle positif et de l'exclusion de Jean Stablinski tombe le jour de la chute de Raymond Poulidor qui perd là le Tour de France. Le quadruple champion de France ne comprend pas qu'un coureur de son statut se fasse pincer et il devient menaçant. Retenez-le ou il va faire un massacre : "Ce n'est pas le jour de faire éclater un scandale après le drame Poulidor mais bientôt je livrerai des noms (des dopés impunis). Je connais des coureurs qui ont utilisé des stimulants à base d'amphétamines comme la trinitrine, soumis à des contrôles dont le résultat s'est révélé à ma grande surprise négatif" (3). Le peloton s'invente des rumeurs, fondées ou non, qui l'arrange bien pour justifier la prise de produits. De ces deux exemples de défense, on peut tirer deux états d'esprit vis à vis du dopage :
- Le coureur ne veut pas se doper mais il voit que les autres passent à travers et n'a pas d'autres choix que de faire comme les copains, quitte à se faire prendre.
- "C'est pas moi qui me dope, ce sont les autres qui ne se font pas prendre. Et si ils sont négatifs, ça veut dire qu'ils ne se dopent pas."
Dans les deux cas, la régularité des contrôles est contestée. En prêtant le flanc aux critiques, les contrôles fragilisés n'empêchent pas le dopage mais encouragent les "bonnes" excuses.

JANSSEN A BESOIN DE SE RASSURER

Même s'il ne participe pas au Tour, Jacques Anquetil fait parler de lui. Il est suspendu du 13 juillet au 12 août pour ne pas s'être présenté au contrôle du G.P de Romagne le 23 juin. Malgré cela, il court pourtant le 13 juillet à Iereske aux Pays-Bas. La sanction est annulée le 21 juillet car il apparaît qu'il n'a pas été prévenu de l'existence du contrôle. Le Tour continue, le final est indécis et fait oublier toutes les affaires de dopage, jusqu'au contre-la-montre ultime. Herman Van Springel est maillot jaune. Il compte 12" d'avance sur San Miguel et 16" sur Janssen. Avant ce chrono, Jan Janssen se montre nerveux, pose des questions sur le contrôle. Il va voir le Docteur Dumas, le médecin du Tour. Pour négocier ? Finalement, le "Hollandais à lunettes" remporte l'étape et le classement final du Tour. Le docteur Dumas accueille Jan Janssen au contrôle antidopage : "Tu vois, tu n'as pas besoin d'excitants pour remporter le Tour." (4)

On aimerait tellement le croire.

(1) L'Equipe. Roger Rivière a parcouru 46.923 km en 1957 et 47.346 km en 1958 malgré le handicap d'une crevaison.
(2) L'Equipe du 12 juin 1968
(3) France-Soir
(4) Ouest-France


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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10

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