Le vélo, un enfant de la télé
Première partie d'un article consacré à la télévision. Alors que France
Télévision annonce fièrement ses 185 heures de programme dédiées au vélo,
le Tour des Flandres ne sera pas retransmis en direct (ou en différé) sur
les ondes hertziennes pour la première fois depuis des années. Retour en arrière
sur les relations vélo-direct sur le réseau hertzien français. Première
partie de 1948 aux années 70.
Par Dominique Turgis, avril 2008
Le cyclisme est à l'origine d'une première technique pour la télévision
française. Pour l'arrivée du Tour de France 1948, la télévision réussit
son premier direct extérieur depuis le vélodrome du Parc des Princes (1).
Le vélodrome, le stade du cyclisme, permet de visualiser les 500 derniers mètres
de la course à partir de caméras fixes. Le vélo sport populaire s'il en est
à l'époque, souffre d'un grand handicap pour la technique télévisuelle :
il se déplace partout, par tous les temps et ne reste pas confiné dans un
stade. Heureusement, à cette époque, le Vel' d'Hiv' est toujours debout et
à l'automne 1949, la télévision y plante ses caméras et son car-régie.
En 1952, les Six-Jours de Paris passent en direct sur le petit écran.
LE TÉLÉSPECTATEUR RESTE SPECTATEUR Pour la route, les lourdes caméras ne se
déplacent toujours pas. La télévision n'est capable que de retransmettre
des passages de la course. Le téléspectateur reste un spectateur comme un
autre. L'arrivée du Tour de Lombardie 1956, qui voit Darrigade crucifier Coppi,
dans le vélodrome du Vigorelli de Milan, est programmée en Eurovision. Le
8 juillet 1958, la Radiodiffusion Télévision Française, la RTF, hisse son
matériel en haut de l'Aubisque pour le premier passage de col en direct. Malheureusement,
le brouillard s'en mêle et gâche la vue. Le lendemain, grand soleil pour le
passage de Peyresourde et pour l'arrivée à Luchon, elle aussi retransmise
avec des caméras fixes. La RTF rééditera ses exploits techniques sur le contre-la-montre
du Ventoux. Une épreuve chronométrée, surtout en montée, permet d'assurer
un spectacle continu pendant une demi-heure, même avec des caméras qui peuvent
simplement tourner la tête. La culture du "point de passage" aura
la vie longue et pas seulement pour les cols du Tour. Par exemple, le Tour des
Flandres 1960 aura le droit dans l'émission du dimanche après-midi au passage
au sommet du Mur de Grammont et à l'arrivée à Wetteren. Entre les deux, des
variétés où l'invité d'honneur est Jacques Brel. Un après-midi 100% "plat
pays". Les passages de cols en direct existeront jusqu'en 1989.
CAMÉRA EN VOITURE
Après le passage des cols, la RTF va innover à l'occasion des championnats
du monde à Reims. Les caméras vont devenir mobiles ! Pourtant, elles sont
toujours aussi grosses et lourdes. Alors on va en poser une sur une jeep. La
RTF va diffuser en direct, non seulement la course des pros mais aussi la course
des amateurs. Seules les filles n'ont pas droit au direct pour leur premier
championnat du monde. Les amateurs ont droit à deux fois trois-quarts d'heure.
Les pros verront leur course diffusée plusieurs fois dans la journée : au
départ, à midi, en milieu d'après-midi et pour la fin de course. Ercole Baldini
peut crever l'écran. La RTF veut continuer sur sa lancée et veut diffuser
Paris-Tours, quelques semaines plus tard, presque en intégralité. A 11h30,
après "le Jour du Seigneur", à 14h, à 15h15, juste après "la
séquence du spectateur" puis à 16h pour la fin de course. Mais pour qu'une
retransmission soit réussie, il faut que la technique suive. Ce jour-là, les
techniciens de la télévision sont en grève. A la trappe, le Paris-Tours en
quasi-intégrale. Pour le Critérium National 1959, la RTF innove encore. Elle
profite de la topographie du circuit de Montlhéry (des routes parallèles)
pour disposer des travellings en plus des caméras fixes. Un hélicoptère survole
la course avec une caméra à bord. Un commentateur suit la course en voiture.
Les téléspectateurs en verront plus que les spectateurs. Un quart d'heure
au départ, un quart d'heure à midi et deux longues séances entre 15h30 et
17h. En avril 1960, la télévision programme trois quarts d'heure de la fin
de course de Paris-Roubaix. L'année suivante, c'est une heure et demi de diffusion,
en Eurovision, qui est consacrée à la "Pascale". La Radiodiffusion
Télévision Française déballe le gros matériel pour cette occasion : un
car de montage de film, un car de développement, une camionnette d'enregistrement
et une voiture de télé-cinéma pour montrer le début de la course. Pour le
direct, un car de reportage avec quatre caméras pour l'arrivée, un hélico,
une moto caméra et une voiture caméra pour le direct. Chapatte et Quittard
se chargent des commentaires. La télé, c'est un sport mécanique qui s'ignore.
LE VÉLO DOIT PARTAGER L'ÉCRAN La caméra HF est assez petite pour être
portée à moto. En 1960, une caméra filme en direct Massignan qui passe en
tête au sommet de l'Izoard et filme jusqu'à l'arrivée à Briançon dans le
Tour 1960. Les grandes épreuves françaises vont avoir droit à leur direct
: Paris-Bruxelles, Bordeaux-Paris et bien sûr le championnat de France. Mais
attention, le vélo n'est pas tout seul. Dans les années 60 et jusqu'aux contrats
d'exclusivité, la télévision trouve tout à fait normal de diffuser plusieurs
sports dans le même après-midi. Bordeaux-Paris en 1961 partage l'écran avec
le tiercé, la natation et la Coupe Davis. La Coupe Davis est un des "ennemis"
les plus durs de la diffusion du cyclisme à la télé en direct. On ne sait
pas pourquoi mais un match de Coupe Davis qui se prolonge éternellement, c'est
un suspense digne d'Hitchcock mais une course qui arrive après l'heure prévue,
c'est un manque de politesse. Le vélo est le sport le plus populaire de l'époque
mais il n'écrase pas la télévision comme le football aujourd'hui. Mais le
vélo fait vendre des téléviseurs. En 1962 dans le Miroir du cyclisme
d'avant-Tour, quatre marques de postes de télévision passent des annonces
publicitaires. Dès 1960, les téléviseurs Grammont s'associent aux cycles
Libéria pour patronner l'équipe d'Henry Anglade. En 1963, les cycles Peugeot
ont l'idée géniale d'abandonner leur maillot bleu et jaune pour un maillot
adapté à la télévision "noir et blanc" : le maillot blanc à damier
noir est né. Il existera jusqu'à la fin de l'équipe en 1986. DÉJÀ LES DROITS TÉLÉ
La télévision en direct au début des années 60 a encore du mal à se
rendre indispensable au Tour de France par exemple. La technique est prête
pour diffuser toutes les étapes en direct dès 1961. Mais les organisateurs
du Tour veillent et ne cèdent pas une part de leur gâteau comme ça, d'autant
qu'ils doivent bien sentir que la télévision en direct peut concurrencer les
journaux L'Équipe et Le Parisien-Libéré. Les organisateurs
demandent donc 1 million d'anciens francs par étape, soit 10 000 nouveaux francs
(2). Une somme pour la RTF, déjà ric-rac point de vue budget, qui refuse.
Elle se contentera de quatre étapes : Grenoble-Turin avec la RAI, Luchon-Pau,
Bergerac-Périgueux et l'arrivée au Parc. Il faut attendre 1963 pour voir chaque
étape retransmise en direct. Avec deux motos images, s'il vous plait ! Mais
la retransmission est limitée aux 10-15 derniers kilomètres. Visiblement,
il est difficile de jouer avec deux caméras. Il faudra attendre le Tour 1977
pour que les téléspectateurs retrouvent leurs deux yeux. On comprend mieux
l'enthousiasme du critique télé de L'Équipe qui découvre le Tour
de Lombardie 1969 couvert par la RAI avec deux motos images. CONCURRENCE
D'INTERVILLE Le pli du rendez-vous
quotidien de l'étape du Tour en direct n'est pas pris pour autant. Avant le
Tour 1964, les organisateurs sont de plus en plus gourmands sur les droits télé.
Or, une bonne part des crédits du service des sports sont alloués aux Jeux
Olympiques de Tokyo. Côté matériel, une bonne partie des moyens (cars et
caméras) est affectée à l'émission de Guy Lux, "Interville". Un
des Tours les plus indécis de l'histoire ne sera donc pas retransmis en direct
quotidiennement. Heureusement, la retransmission de l'étape du Puy de Dôme
fait partie du programme restreint. L'unique caméra moto va se focaliser sur
le duel Poulidor-Anquetil et passer la ligne d'arrivée avec le Limousin. A
partir de 1965, les durées des retransmissions sont de trois-quarts d'heure
à une heure, enfin, quand les conditions météo sont compatibles avec l'envol
de l'hélicoptère. LA TÉLÉ AIME PARIS-NICE Le Tour de France n'est pas la première course
qui devait être retransmise en direct, étape par étape. En 1960, la RTF programme
le final des étapes de Paris-Nice organisé par Jean Leulliot. Pour l'occasion,
les ingénieux techniciens de la télévision ont bricolé une voiture sur laquelle
ils ont installé, à l'arrière. Un camion sur le bord de la route doit servir
de relais. Cette belle organisation ne durera qu'un jour. Le temps pour les
patrons de la RTF de se rendre compte qu'il y avait des panneaux publicitaires
à l'arrivée des étapes. Mais Jean Leulliot ne sera pas longtemps banni de
la télé. En 1965, son Paris-Nice a droit tous les soirs à un résumé de
cinq minutes à 20h25, en Eurovision, en plus ! Les étapes du samedi et du
dimanche ont droit à 20 minutes de direct. Et la dernière étape, celle où
Anquetil et ses alliés font plier Poulidor, est programmée le mercredi entre
deux émissions de la télévision scolaire (c'est encore le jeudi, le jour
de relâche). En 1969, Paris-Nice est retransmis tous les jours et Jean Leulliot
importe l'idée italienne du "Procès de l'étape", l'émission de
commentaires d'après-étape. Mieux, en 1973, son Etoile des Espoirs a droit
à une demi-heure en direct pendant la semaine. Les horaires de la course sont
même adaptés pour ce passage télé. Parfois, les moyens sont plus réduits
et la retransmission de mauvaise qualité. Le Critérium Européen de la montagne
de 1969, contre-la-montre en côte, n'est couvert que par des caméras fixes.
Jean-Michel Leulliot, le fils de Jean, reporter à la télé, regrette au micro
de ne pouvoir disposer de moyens mobiles, caméras HF et hélicoptère.
COUVERTURE LARGE MAIS COURTE
Pendant toute cette période, la saison cycliste est bien couverte par
le direct télévisé, de Paris-Nice au Tour de Lombardie mais pas plus de trois-quarts
d'heure à une heure à la fois. Parfois un quart d'heure seulement. Le championnat
du monde 1974 à Montréal va bénéficier du décalage horaire. L'après-midi
et le soir (de 20h35 à 22h30), la 2ème chaîne le diffuse, en alternance avec
la natation. La veille, le championnat du monde amateurs avait eu droit au différé.
Alain Chermann dans L'Équipe a ce commentaire : "Cela faisait
bien longtemps que la télévision n'avait consacré autant de temps à une
course cycliste."
(1) La première émission officielle en studio date du 26 avril 1935.
Mlle Betty était venue raconter la dernière tournée de la Comédie Française
en Italie. (2) Pour comparer, la même année, L'Équipe se vend
35 centimes le numéro. Une étape à 10 000F représente donc 28 571 exemplaires
de journal.
Sources : Ouest-France, L'Équipe, Vélomagazine et "Un
hommage au sport cycliste" (UCI)
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