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De Gribaldy, le découvreur de pépites
D'Agostinho à Kelly, la réputation de découvreur de talents de Jean De Gribaldy n'est plus à faire. C'est sa marque de fabrique. Mais il a aussi redonné une chance à de nombreux coureurs délaissés par les autres directeurs sportifs.
Par Dominique Turgis
"Pour un coureur qui marche, de Gri, il en loupe dix." Cette formule est souvent reprise par les adversaires du Vicomte. Lui même avait l’habitude de dire qu’il prenait ceux que les autres ne voulaient pas. Et les restes étaient parfois très beaux. Cette "consommation" de néo-pros a un peu été freinée par le contrat obligatoire de deux ans au début des années 80.
Joaquim Agostinho, c’est lui. Sean Kelly, c’est lui. Michel Laurent, vainqueur d’un Paris-Nice sous ses couleurs, c’est encore lui. Eric Caritoux et Jean-Claude Leclercq c’est toujours lui. Pascal Richard, c’est lui aussi car le Vicomte gardait toujours un œil sur les Suisses frontaliers qui venaient faire des numéros en France.
Jean de Gribaldy a aussi donné leur chance à beaucoup de futurs bons coureurs comme Régis Delépine, Patrick Perret, René Bittinger, Patrick Moerlen, Marcel Tinazzi, Eric Dall’Armelina, André Chappuis, Joël Pélier, etc.… Lui, l’adepte des trucs de grands-mère, a même offert son premier contrat à Paul Koechli, le précurseur dans l’utilisation de l’ordinateur dans l’entraînement des cyclistes.
Il n’était pas l’inventeur des trésors
Alors un découvreur, de Gri ? Jean Pierre Douçot, ancien coureur amateur et qui a longtemps travaillé avec le Vicomte, tempère un peu. "Il y avait toujours quelqu’un avant de Gri qui détectait la perle rare." Le Vicomte sert ensuite de révélateur et de catalyseur.
Premier exemple, Joaquim Agostinho. "Là, c’est son capitaine pendant la guerre du Mozambique qui l’a découvert. Quand il portait des messages sur un gros vélo, il mettait deux heures pour faire les 50 bornes quand les autres mettaient cinq heures." Ago, c’est un vrai diamant. En 1972, son équipe Magniflex ne repose quasiment que sur les larges épaules du Portugais.
Deuxième exemple, Sean Kelly. "Tout le monde prétend l’avoir découvert" sourit Jean Pierre Douçot. "Mais je me souviens bien d’avoir été le premier à en parler à de Gribaldy." L’Irlandais court en France chez les amateurs au club de Metz Woippy, en 1976. "La première fois que je l’ai vu, c’était à Cousances à côté de Lons-le-Saunier" se souvient-il. "Au bout de 50 bornes, il avait 2’ d’avance sur un circuit très dur. Derrière, on s’est uni pour rouler derrière lui mais on ne l’a jamais revu." Premier choc, première victoire par K.O. Deuxième round au Tour de Haute-Marne.
Irlandais bien élevé et respectueux du règlement, il s’arrête à un passage à niveau fermé. Tous les Français passent sauf un qui s’accroche avec Sean Kelly. Les deux coureurs s’engueulent, se battent. Kelly laisse l’autre rouler dans le fossé. Il repart. Il bouche le trou sur le paquet et gagne l’étape.
De retour au magasin de Besançon, Jean Pierre Douçot parle de sa découverte au Vicomte…qui l’oublie. Il revient à la charge en novembre. De Gribaldy décide alors de partir en avion vers l’Irlande avec Noël Converset, un coureur franc-comtois. Il se pose sur l’aérodrome le plus proche de Carrick-on-Suir, la commune du futur roi des classiques et rencontre enfin Kelly.
Marcel Tinazzi est le prototype de la découverte "De Gribaldesque". Le coureur marseillais n’a pas un gros palmarès avant de passer chez les pros. Mais il a une qualité que recherche de Gri pour ses équipes. Il veut un coureur qui met l’ambiance dans le groupe et avec Tinazzi, il est servi. "C’était un vrai Coluche, Marcel" se souvient Jean Pierre Douçot. Sa victoire dans le championnat de France 1977 a ravi son directeur sportif. Le Marseillais coiffe sur le poteau André Chalmel et René Bittinger qui se regardaient dans le dernier kilomètre.
Jean De Gribaldy peut aussi avoir beaucoup de chance. Au début de l'année 1985, Patrick Moerlen, un de ses coureurs suisses, lui recommande Jean-Claude Leclercq un coureur de Zürich. Malheureusement, à cette époque, le nombre de coureurs étrangers est limité et l'équipe Skil est enregistrée en France et Jean De Gribaldy a atteint son quota. Par chance, ce coureur inconnu en France a la double nationalité car Nordiste d'origine. Tellement Français qu'il offre un nouveau maillot tricolore à De Gri en juin 1985.
Les critères de De Gri
Jean de Gribaldy tenait beaucoup au début de saison. Il répétait que le mois de février et ses multiples courses sur la côte méditerranéenne suffisaient pour former un pro. A cheval sur la diététique, il demandait à ses coureurs d’être affûtés quand les autres équipes affichaient dix kilos de trop sur la balance. Il faisait peser par ses soigneurs tout ce que les coureurs mangeaient.
Dans Paris-Nice 1985, à la table d’un hôtel, il interdit à ses coureurs de manger une salade de fruits. Ses coureurs lui rétorquent : "Les coureurs de Guimard en mangent bien !" Le lendemain, les Renault étaient malades, pas les coureurs du Vicomte.
Avec ces méthodes, les débuts de saison sont souvent fructueux pour ses coureurs. En 1985, le jeune Joël Pélier, inconnu des grands recruteurs, claque une course à Bessèges et une étape à Paris-Nice.
De Gri avait ses critères propres pour juger les coureurs. Il avoue à Philippe Bouvet dans Vélo qu’un coureur avec une valise légère devenait souvent un bon coureur. Une valise lourde était par contre un mauvais signe : "S’ils partent avec deux ou trois bouquins de médecine (…) écrits par des médecins qui n’y connaissent rien, c’est déjà foutu…"
Autre critère, la femme du coureur. Avant d’embaucher, il convoquait le coureur avec sa femme. Pour Jean-Marie Grezet, il était tout joyeux après l’entretien. Jean Pierre Douçot se souvient : "Il m’a dit, "Dié de Dié, j’suis content, sa femme est moche. Elle l’empêchera pas de marcher en vélo." Par contre, un coureur français des années 70 avait une femme, un vrai canon, qui inquiétait le Vicomte." Ceci explique peut être le discours qu’il a tenu à Kelly quand il l’a embauché : "En France, les coureurs se marient à 21 ans, ont un gosse à 22 et une maison à 23. Et leur carrière passe après tout ça. Toi si tu veux, tu fais l’inverse."
Exotisme
Jean De Gribaldy ne faisait rien comme tout le monde, rappelons-le. Par exemple, il aimait les coureurs exotiques. Quand il a appris qu’un Israëlien, Gershoni, faisait du vélo, il l’a embauché en 1984. "Ce qui l’intéressait, c’était de contredire les idées reçues comme celle qui disait que les Juifs ne pouvaient pas travailler dur." précise Jean Pierre Douçot.
De Gri veut aller plus loin. Il veut un coureur noir dans son équipe. Il invite même l’équipe du Maroc en France mais se montre déçu quand il se rend compte qu’il n’y a pas de noir dans le groupe.
Pour l’exotisme, il va aussi du côté du nord et il est même prêt à forcer le destin. A la fin de l’année 1982, il monte une farce en présentant aux journalistes, un coureur canadien du nom de De Botechelle et qu’il présente comme une future recrue. Ce grand moustachu n’était en fait qu’un Parisien déniché pour la photo.
Des sous, des sous
Chez ses adversaires, le vicomte avait aussi la réputation de tarder à payer ses coureurs. Guy Caput dans son Almanach du cyclisme paru en 1997, rappelle comment Christian Biville, coureur français, lassé d'attendre son salaire est venu se servir directement au magasin en appareils d'électro-ménager. Avant l'arrivée des lois sociales dans le peloton, De Gribaldy se réservait le droit de ne payer ses coureurs que quand ils avaient leurs premiers résultats significatifs. En plus, à la fin des années 60 et au début des années 70, il complétait ses troupes avec des amateurs hors-catégories (catégorie qui regroupait entre autres, les ex-pros).
Des résurrections payantes
Jean De Gribaldy n'a pas fait que découvrir des néo-pros. Il a aussi relancé des carrières. A Vélo en 1986, il révelait que sa plus belle réussite était Jean Jourden, ancien champion du monde amateur et qui a ensuite connu beaucoup de malheurs. "Il a souffert pendant huit ans des suites d'une hépathite. Je l'ai fait signer à la sortie de l'hôpital et un mois après, il était l'égal d'Anquetil et Poulidor."
En 1981, profitant d'un changement de réglementation, il refait passer pro Serge Beucherie après un an de transition chez les amateurs de l'ACBB. Six mois plus tard, le Parisien endosse le maillot tricolore. Enfin, au début de saison 1983, Steven Rooks laissé sans contrat par Peter Post, vient trouver le Vicomte. De Gri lui offre un vélo, un maillot, le fait courir dans son équipe, sans contrat mais "à la musette". A lui d'aller chercher les sous sur la route. Convaincu par sa victoire au Faron du Tour méditerranéen et par sa troisième place de Paris-Nice, il lui fait signer un contrat trois jours avant Liège-Bastogne-Liège. Rooks remporte la doyenne et en 1984, il retourne chez Peter Post...
Parfois, le Vicomte tirait les marrons du feu pour les autres. Preuve que les marrons n'étaient pas si mauvais.
Photo : Marcel Tinazzi sous le maillot SEM, une trouvaille très "De Gribaldesque"
Crédit : Dominique Turgis
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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10
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