Les Mystères des routes du Galibier...
Tous les fanatiques du vélo en général, et ceux du Tour de France en particulier,
éprouvent une fascination sans cesse renouvelée pour les lieux mythiques de
la légende de ce sport. Avoir vu au moins une fois le mur de Grammont ou la
tranchée d'Arenberg, la côte de la Redoute ou le Poggio, pour les plus acharnés
avoir monté le Mont Ventoux ou l'Izoard, peut-être même le Mortirolo ou l'Angliru...
Il y a quelque chose d'une recherche des émotions et des souvenirs de notre
enfance dans cette quête. Et à l'instar des madeleines de Proust l'émotion
est bien souvent présente car ces paysages de légendes ont finalement peu
changé comme le prouve la confrontation avec les documents photographiques
de ces époques. Le Ventoux est bien toujours à la même place, le restaurant
dans le virage qui marque le sommet du Tourmalet, la Casse Déserte étale toujours
son incroyable paysage lunaire dans les derniers kilomètres de l'Izoard...
Il est pourtant un col légendaire au moins dont le tracé a connu de si nombreuses
et importantes variations que la restitution des émotions du passé en est
rendue aléatoire. C'est évidemment le Galibier et, pour les fanatiques, il
n'est pas inintéressant d'observer ces modifications radicales sur le terrain.
Elles portent sur 3 points :
-le tracé de la route versant sud
-le tunnel
-le passage à hauteur du hameau de Bonnenuit
La route du Galibier avant guerre au sommet de Plan Lachat
1) Le tracé de la route versant Sud :
Quand on lit les récits des Tours d'avant guerre on
comprend que l'ascension finale du Galibier par son versant sud était très
difficile sur une petite route très étroite et escarpée. Aujourd'hui cette
portion n'est certes pas facile mais on ne comprend pas de quoi il est question
car on a l'impression de monter depuis le Lautaret sur une route large avec
des virages très ouverts et une pente régulière.
Il y a une très bonne raison à cette différence : en 1936 à l'occasion
de la construction des tunnels paravalanches à l'approche du sommet
du Lautaret l'ancienne route du Galibier qui bifurquait à droite
en venant de Briançon à deux kilomètres du sommet du col (à la hauteur
du dernier tunnel) a été fermée et abandonnée. C'est désormais une
toute nouvelle route qu'on emprunte depuis les bâtiments au franchissement
du Lautaret. Ce tracé ne rejoint jamais l'ancien qui depuis plus
d'un demi siècle disparaît, lui, progressivement dans le paysage.
Pourtant un œil averti peut le deviner quand il regarde sur la gauche
depuis les lacets qui montent au dessus du tunnel... et c'est en
effet un tracé tortueux "à l'ancienne". De plus les chiffres
parlent d'eux-mêmes : sur la carte Michelin de 1947 on voit que
l'ancien tracé faisait 6 kilomètres en partant depuis une altitude
de 1970 mètres : 586 mètres de dénivellation en 6 kilomètres cela
fait une pente moyenne de 9,76 % alors que les 7 kilomètres qui
mènent aujourd'hui au tunnel en partant de 2058 mètres donnent une
pente de 7,11 %. Tous ceux qui font du vélo comprendront qu'il n'y
a pas photo : l'ascension du versant sud aujourd'hui n'a plus rien
à voir avec celle que faisaient les forçats de Desgrange du temps
des routes empierrées (voir la carte de la route à hauteur de Plan
Lachat) !
Sur cette carte des années 50 des éditions Jansol de Chambéry on distingue
très nettement l'ancien tracé (en jaune) aujourd'hui quasiment invisible y
compris sa jonction avec le tunnel à la hauteur de la maisonnette.
2) Le tunnel :
Cette deuxième modification est beaucoup plus connue : pour des
raisons de sécurité le tunnel du Galibier a été fermée à la circulation
en 1976. L’équipement a donc construit une route qui s’élève d’un
kilomètre au dessus du tunnel en 3 lacets serrés (...et très raides
!) pour franchir le col cent mètres plus haut à 2646 m. La pente
est de près de 10 % dans cette portion (bien plus difficile que
la partie précédente) et c’est exactement la même chose dans l’autre
sens. Du coup cette "rallonge" est beaucoup plus proche
de la difficulté initiale. Mais on perd une image de légende : les
coureurs entrant après un dernier sprint épuisés dans le noir en
venant de Valloire pour ressortir dans la lumière de l’autre côté
à la hauteur du monument à la mémoire d’Henri Desgrange. Le tunnel
étant aujourd’hui réouvert à la circulation depuis deux ans on possède
donc désormais le choix (l’été bien entendu !).
Emplacement de la nouvelle route après
la fermeture du tunnel sur une photo du Tour de France
1955.
3) La "boucle" de Bonnenuit :
Toujours dans le registre des anciennes difficultés
perdues il y a sur toutes les vieilles cartes Michelin
un passage signalé comme très difficile à 14 % entre
les Verneys et Plan Lachat à la hauteur du hameau de
Bonnenuit qu’on ne reconnaît pas quand on escalade le
versant nord. Toute cette portion est aujourd’hui plutôt
inintéressante après la traversée du pont : longue et
usante, mais sans aucune spécificité jusqu’au virage
de Plan Lachat.
Où
est donc passé ce "coup de cul" terrible qui
nous semblait promis ?
En fait on s’aperçoit
qu’à cette hauteur la route fait désormais une longue
boucle sur la droite pour aller à nouveau jusqu’au bord
du torrent avant de revenir ensuite dans l’alignement
initial. C’est cet allongement qui a permis de gommer
la pente à cet endroit pour la ramener à une valeur
sensiblement égale au reste de la portion. Tant pis
pour les émotions : tant mieux pour les cuisses ?
Jean-Louis Bey
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