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Le cyclisme a payé
un lourd tribut à l'effroyable boucherie
que fut la guerre 1914-1918.
Lorsqu'on évoque cette funeste période, la France cycliste pense tout de
suite à Lucien Petit-Breton, François Faber ou Octave Lapize, 3 anciens vainqueurs
de la Grande Boucle mais ce sont près d'un millier de coureurs, connus ou non,
pros ou amateurs, routiers ou pistards, bien souvent les deux à la fois, qui
firent le sacrifice de leur vie.
Ce n'est toutefois pas par un français
que nous commencerons cette évocation mais par le grand champion belge Marcel
Kerff (6ème du Tour de France 1903), assassiné (c'est le terme juste) par l'envahisseur
teuton dès le 7 août 1914 sous le fallacieux prétexte "d'espionnage"
et cette politique de terreur vis-à-vis de la population civile était délibérée
en ce début de conflit mais ces crimes de guerre seront vite poussés sous le
tapis.
Parmi les pistards, citons entre autres Marius Thé, routier autant
que pistard, Emile Maitrot, champion du Monde de Vitesse Amateurs en 1901, Léon
Flameng, champion olympique en 1896 à Athènes, victime d'une chute d'avion dans
les tous premiers jours de 1917, Paul Rugère, coureur cycliste puis pilote automobile
et aviateur ou encore Emile Quaissard, disparu au cours d'un combat aérien dans
les lignes allemandes ou le si prometteur Albert Tournié sans oublier le grand
Emile Friol, double champion du Monde, stupidement disparu dans un accident
de moto en novembre 1916. Que dire alors du triple champion du Monde de demi-fond
Georges Parent, plusieurs fois blessé et décoré qui mourut... de la grippe espagnole
3 semaines avant l'Armistice ! Bien d'autres coureurs, hélàs ! seront les victimes
de la terrible pandémie.
Contrairement à une légende tenace, Léon Comès
et Léon Hourlier ne sont pas morts au cours ou après un combat aérien. Ils sont
décédés des suites de la chute de leur avion près de Cuperly alors qu'ils allaient
rendre visite au boxeur Georges Carpentier, lui-même mobilisé dans l'Aviation
à peu de distance des 2 beaux-frères. Plusieurs hypothèses furent avancées sur
les causes de l'accident et la rupture brutale de l'hélice demeure la plus vraisemblable
mais aucun avion ennemi n'y fut pour quelque chose !
Les routiers payèrent
eux aussi le terrible impôt du sang : outre Petit-Breton, Faber et Lapize, bien
d'autres forçats de la route allongèrent encore ce sinistre inventaire : le
futur "grand" Frank-Henry dont un pathétique témoignage de son sacrifice
suprême nous parviendra par compagnons de tranchées interposés, Francis Le Bars,
le jeune frère d'Alfred, Anselme Mazan, le frère de Lucien Petit-Breton, tué
au Bois de la Gruerie en juin 1915, l'excellent amateur Albert Grandblaise,
tombé quelques jours plus tard dans le Pas-de-Calais, le très bon indépendant
René Michel, tué en septembre pendant la 1ère bataille de Champagne. Arthur
Laye, Damase-Ferdinand Faucher, Louis Goetz, Richard Pesseau, François-Antoine
Poch, Auguste Lépine, Camille Champey ou encore Pierre-Edouard Tesyssier, tous
valeureux coureurs de Bordeaux-Paris et tant d'autres qu'il est impossible de
nommer tous...
Le Tour de France eut, lui aussi, sa part dans la tourmente
: outre les 3 vainqueurs cités ci-dessus, ce sont près de 60 coureurs, bien
souvent de modestes touristes-routiers qui écrivirent en lettres de feu et de
sang cette page glorieuse de Notre Histoire. On ne peut tous les citer dans
ce simple article mémoriel. Rappelons-en tout de même quelques-uns. Si on excepte
le cas particulier de Marcel Kerff, les premiers décès de coureurs du Tour de
France sont survenus ce terrible 22 août 1914 qui demeure à ce jour la journée
la plus meurtrière de l'Histoire des Armées Françaises, toutes guerres confondues.
De Rossignol à Charleroi et maints autres lieux, 27000 morts ensanglantèrent
à jamais ce qu'on a appelé la "bataille des frontières" et avec 10000
morts, les allemands n'étaient pas eux-mêmes certains de leur victoire... Il
n'appartient pas à cet article d'analyser les raisons d'un tel carnage mais
de ce massacre, Philippe Cordier, Gabriel Matonnat et Auguste Mézière seront
du nombre. D'autres suivront très bientôt : Alexandre Chauvière, Emile Engel,
Marceau Narcy disparaitront pendant la bataille de la Marne. Albert Cartigny,
Félix Pregnac, Edmond Heliot, le haut-savoyard Jean Perreard, Maurice Petit,
Charles Privas, dont le corps ne sera jamais retrouvé, François Marcastel, météorique
participant du Tour 1904 dans les semaines suivantes, sinistre année 1914 achevée
avec Antony Wattelier, le frère d'Edouard, tué devant l'ennemi le 31 décembre.
Frédéric Rigaux est tué en mars 1915 à Vauquois, autre tragique lieu de bataille
tandis que René Etien meurt des suites de ses blessures sur le Front Oriental
pendant la bataille de Gallipolli. Pierre-Gonzague Privat, 11ème du Tour 1907,
qui deviendra un affichiste et caricaturiste de grand talent meurt de ses blessures
deux jours après la chute de Hourlier et de Comès.
La bataille de Verdun commence le 21 février 1916. Dès le 27, Ernest Haillotte
disparaît tout comme Armand Perin, participant du 1er Tour de France en 1903,
fin octobre alors que la victoire se dessinait. René Cottrel est tué le 5 novembre
au Fort de Vaux. Marius Villette disparaît sur la Somme le 11 octobre. N'oublions
pas non plus Henri Alavoine, le frère du "gars Jean", victime d'une
chute d'avion ou encore François Lafourcade, qui sera l'objet d'une accusation
posthume au sujet de l'empoisonnement (affaire jamais élucidée) dont fut victime
Paul Duboc dans le Tour 1911.
L'année 1918 verra la disparition de Georges
Bronchard, la lanterne rouge du Tour 1906, mort dans l'ambulance qui le ramenait
vers l'arrière, celle du bel espoir Pierre Vugé, le plus doué d'une grande fratrie
de coureurs cyclistes dont 2 autres disparaitront eux aussi dans la tourmente.
Evoquons la mémoire de Camille Fily, benjamin, pour longtemps encore (sans nul
doute) de tous les participants de l'Histoire du Tour de France, mort au Mont
Kemmel en Belgique en mai 1918. Son frère aîné, Georges "Henri", coureur
également, était déjà "Mort pour la France" le 4 mai 1916 à Verdun.
On
pourrait continuer d'égrener cette pénible liste des "Tour de France"
morts pour la Patrie mais comment ne pas terminer ce modeste hommage par deux
grandes figures du sport français qui furent, peu de temps il est vrai, mais
connurent la notoriété dans d'autres disciplines : Georges Boillot, qui gagna
60 des 65 courses cyclistes qu'il disputa, devenu au moment du conflit l'un
des meilleurs, sinon le meilleur, pilotes automobiles du monde, tué dans un
combat aérien le 19 mai 1916 à proximité de Verdun.
L'ultime grande figure
de ces héros de chez nous est Roland Garros, sportif ô combien éclectique, et
qui fut Champion de France Scolaire et Universitaire de Cyclisme en 1906. Il
fut abattu avec son avion le 5 octobre 1918 à Vouziers où l'on peut encore voir
sa tombe.
Côté germanique, si la liste des cyclistes tués au Front apparaît
plus courte, cela semble avoir tenu du moins dans un premier temps, à une politique
délibérée de l'Etat-Major allemand qui n'envoya que parcimonieusement ses athlètes
célèbres au feu, contrairement aux Alliés. Parmi les cyclistes allemands tués
au combat, citons les routiers George Grosskopf, Arno Brunner, Hermann Kripp,
l'excellent amateur Thedor Menne ou encore Johann Wedde et Paul Bruns mais le
plus connu des routiers germaniques demeure sans doute Josef Rieder, participant
aux Jeux Olympiques 1912, passé pro l'année suivante où il gagnera le Tour de
Wurtemberg. Les véritables vedettes du cyclisme allemand concernaient la piste,
discipline extrêmement populaire Outre-Rhin. Les compétitions sur les vélodromes
drainaient des foules considérables. De ce côté-ci du Rhin beaucoup de noms
de ces coureurs sont aujourd'hui sortis des mémoires, en Allemagne, ils étaient
d'authentiques célébrités comme pouvaient l'être chez nous un Jean Bouin ou
un Georges Carpentier par exemple...
Citons-en quelques-uns : le
grand stayer Willy Honeman, tué le jour même de l'accident de Hourlier et de
Comès. Paul Lüders, tué à Verdun dans les tous premiers jours de la bataille,
Fritz Finn, Albert Ritzenthaler, né à Colmar, alors allemand, tué en Pologne
à bord de son nouvel avion en juin 1916. Citons encore Bruno Demke et Alexander
Benschek, disparus tous deux en août 1916. Cette même année 1916 verra
disparaître le 14 avril Ludwig Opel, le plus jeune des 5 frères dont la famille
n'avait pas encore été anoblie et qui, avant de fonder la dynastie automobile
que l'on connaît, furent tous coureurs cyclistes. Souvenons-nous aussi
d'un très bon stayer de l'époque : Jacob Esser, mort en juillet 1917 tandis
que 1918 verra, entre autres, la disparition de l'excellent routier-pistard
Paul Schulze ainsi que celle d'Albert Eickholl, décédé à l'hôpital de Düsseldorf
des suites de ses blessures de guerre.
D'autres pays eurent leurs martyrs
cyclistes. En Italie, le plus connu fut Carlo Oriani, vainqueur du Giro 1913,
emporté par une pneumonie contractée après qu'il eut plongé dans les eaux glacées
du Tagliamento pour sauver un de ses camarades qui était en train de se noyer.
Une
étude exhaustive de cette effroyable période et des sacrifices qu'elle exigea
couvrirait plusieurs volumes. Observons que le cyclisme n'est pas le sport qui
a payé le plus lourd tribut à la Grande Guerre. Le football et encore plus le
rugby viennent largement en tête de ce sanglant bilan.
Un article d'Eric DuboisMise
à jour du 10 novembre 2016
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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10
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