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Si l'on doit
évoquer la grande saga des Maillots Jaunes et des vainqueurs
du Tour, certains noms nous apparaissent plus glorieux que d'autres.
D'un point de vue tout à fait subjectif, j'avoue être
admiratif, sans en avoir cependant été le contemporain,
des performances réalisées par le Suisse Hugo Koblet
en 1951 et le fameux Italien Fausto Coppi en 1952, ces deux années
précédant le fabuleux triplé réalisé
par un autre immense champion, le Français Louison Bobet, vainqueur
en 1953, 1954 et 1955.
Ce n'est qu'à travers les articles
du journal L'Équipe et quelques autres récits par-ci
par-là que j'ai glané des renseignements concernant
les deux champions cités lors de leurs années victorieuses.
De ces lectures, il transparaissait un sentiment évident :
ces deux hommes étaient au-dessus du lot.
Certes, j'ai apprécié et admiré la maestria avec
laquelle Lance Armstrong a dominé les débats lors du
Tour 2002, performance que cette fois j'ai bien pu apprécier
au jour le jour.
Mais
les écarts... Hugo Koblet en 1951 et Fausto Coppi en 1952 ont
laissé derrière eux leur suivant au classement général
à respectivement 22'00" et 28'17". Deux gouffres...
on n'a plus jamais vu cela après-guerre (si, en fait, mais
en 1948, l'Italien Gino Bartali s'imposa avec plus de 26'00"
d'avance sur son second. Néanmoins c'était avant 1951
et 1952).
Ces écarts chiffrés donnent une idée de la domination
qu'exercèrent les deux hommes l'un après l'autre (à
noter qu'Hugo Koblet, au grand regret des suiveurs du Tour de France,
ne participa pas à l'édition 1952 et ne put donc se
mesurer à Fausto Coppi). Des deux hommes aujourd'hui, Fausto
Coppi reste le plus célèbre, le plus admiré,
non seulement parce qu'il gagna préalablement un autre Tour
de France (en 1949), mais qu'il gagna également cinq Tours
d'Italie (il fut ainsi le premier coureur à réaliser
le doublé Giro-Tour, en 1949, ce qu'il réédita
en 1952), et que surtout sa carrière s'étalonna de 1940
à 1958, bien que son apogée soit déjà
révolu bien avant sa retraite.
Toujours d'un point de vue subjectif, et d'après les sources
écrites que j'ai consultées, je reste intimement convaincu
que le Hugo Koblet de 1951 (mais de cette année-là seulement,
voire peut-être tout de même de 1950, lorsqu'il gagna
"comme il le voulut" le Giro et le Tour de Suisse) a été
intrinsèquement l'un des plus grands coureurs de tous le temps,
peut-être plus fort, le temps d'un bel été 1951,
que les Louison Bobet 1954, Jacques Anquetil 1961, Eddy Merckx 1969,
Bernard Hinault 1982, Lance Armstrong 2002... ou avant eux Fausto
Coppi 1952 ! Ce dernier avait participé au seul tour victorieux
d'Hugo Koblet en 1951, mais affecté par le deuil de son frère,
il n'était plus lui-même.
Un journaliste Italien affirma en 1952 que Fausto Coppi, récent
vainqueur du Tour de France de cette année, aurait vaincu Hugo
Koblet si celui-ci s'était présenté avec sa forme
de 1951. Il est impossible bien évidemment de répondre
formellement à cette question, tout comme il est trop ardu
de se lancer dans des tentatives d'explications ou de comparaisons
des deux champions, pour certaines raisons telles que les différences
de parcours des éditions 1951 et 1952.
Je crois pouvoir simplement affirmer qu'Hugo Koblet aurait très
certainement, d'après ce qu'il a réalisé en 1951,
distancé Fausto Coppi dans des étapes contre-la-montre
ou sur le plat, et que l'Italien aurait légèrement devancé
le Suisse dans les étapes de montagne. Ce ne sont que des spéculations,
et il convient de rappeler qu'en 1951 Hugo Koblet était autant
intouchable sur des étapes plates (il remporta les deux contre-la-montre
de l'épreuve et s'offrit le luxe unique dans l'Histoire de
la course pour un favori de devancer le peloton constitué de
ces meilleurs éléments de 2'35", lors de l'étape
Brive la Gaillarde-Agen qu'il remporta échappé) qu'irrésistible
dans les cols (ne battit-il pas au sprint son rival Fausto qui semblait
avoir retrouvé une certaine forme, lors de la grande étape
pyrenéenne Tarbes-Luchon ?). Le Suisse avait à l'époque
bluffé tout son monde et s'annonçait comme un prodige
: il venait de remporter le Tour de France à sa première
participation avec une insolente facilité sur ses plus grands
adversaires, et Dieu sait s'ils étaient nombreux ! Seul son
grand rival national Ferdinand Kübler, par ailleurs lauréat
du Tour précédent, en 1950, n'était pas présent.
Les autres, ils y étaient : les Italiens déjà
vainqueurs Gino Bartali et Fausto Coppi, certes l'un bien vieillissant
(37 ans tout de même...) et l'autre étant l'ombre de
lui-même (Serse Coppi venait de se tuer sur le Tour du Piémont),
ainsi que le récent vainqueur du Giro, Fiorenzo Magni, les
prometteurs Français Lucien Lazaridès et Pierre Barbotin,
ainsi que les plus confirmés Jean Robic (lauréat 1947),
Louison Bobet et Raphaël Géminiani (finalement second
du Suisse), les Belges Constant Ockers et Rik Van Steenbergen, ceux-ci
pour ne citer que les plus connus...
Hugo Koblet en 1951 est plus fort que tous ceux-là et que tout
le monde, et il n'a besoin de personne pour le soutenir (aucun Suisse
dans les vingt premiers du général, aucune aide en montagne...).
Vais-je
continuer ici de faire le Panégyrique du Suisse ? Il convient
de mettre les choses au point le concernant. En 1951, Hugo a 26 ans
: il effectue sa meilleure année cycliste mais ne reviendra
jamais plus à cet état de forme irrésistible.
J'affirme que sa carrière est alors terminée. Elle a
eu la brièveté d'une étoile filante, et il semble
que c'est bien le mot qui caractérise le Suisse, car ni ses
2 secondes places dans le Giro 1953 et 1954, ni ses deux victoires
dans le Tour de Suisse 1953 et 1955 n'auront la saveur, le piquant
de son extraordinaire succès dans le Tour 1951. Cette année-là,
outre le Tour, Hugo Koblet gagne le Critérium des As, le G.P
des Nations (sorte de championnat du monde du contre-la-montre individuel)
et offre la victoire dans le championnat du monde sur route à
Ferdi Kübler. Bref, il fait tout ce qu'il veut. Surnommé
"l'Apollon du Vélo" par l'Équipe pour sa belle
gueule d'ange blond, "le Pédaleur de Charme" par
le chansonnier Jacques Grello pour la facilité avec laquelle
il creuse des écarts sur ses adversaires dans un style d'esthète
pur, sans contorsion et sans souffrance apparente, il apparaît
comme un phénomène du vélo mais ne confirmera
pas, ne confirmera plus... Apres son abstention de 1952, Hugo revient
sur le Tour en 1953 mais il chute gravement dans la descente d'un
col pyrénéen après avoir distancé les
favoris dans la montée. Il abandonne, tout comme il abandonnera
de nouveau sur chute en 1954. Ce sera là sa dernière
apparition sur le Tour de France. Son état de grâce était
révolu depuis bien longtemps. Dommage... Une seule édition
avait néanmoins suffi à Hugo Koblet pour imposer sa
marque indélébile sur cette épreuve. Une marque
aujourd'hui à peine moins forte que celle laissée par
Fausto Coppi après son sacre de 1952. Car Fausto, lui, a tout
gagné, ou presque. De plus, il était comme le Suisse
un esthète sur sa machine. L'Italien brille au firmament des
étoiles du cyclisme car sa carrière fut plus longue,
plus complète que celle du routier helvétique. Mais
à formes égales, les deux hommes étaient imbattables,
trop au-dessus du lot, et si l'on peut regretter qu'il n'y ait pas
eu un terrain propice à une confrontation adéquate entre
les deux hommes (éventuellement le Giro 1953, mais Hugo Koblet
de cette année-là ne valait pas celui de 1951), on peut
encore plus regretter leur mort précoce, pratiquement au même
âge. Fausto Coppi mourut en 1960, à 40 ans, de la malaria,
tandis qu'Hugo Koblet se tua en voiture en 1964, à 39 ans.
Mais l'on peut supposer que ce dernier n'est peut-être pas pour
rien à cette mort brutale...
1951,
1952 : deux dates dans la grande Histoire du Tour de France. Les victoires
de deux coureurs hors du commun qui, au temps des commémorations
et de la célébration de la plus belle des courses cyclistes,
ne pouvaient pas ne pas être célébrés comme
des routiers de légende. Grâce leur soit rendue.
Une question que l'on peut légitimement se poser lorsque l'on
est suiveur du Tour de France cycliste est la suivante : la qualité
d'un vainqueur fait-elle la qualité du Tour que celui-ci a
conquis ?
Nous avons vu qu'Hugo Koblet en 1951 puis Fausto Coppi en 1952 avaient
complètement dominé les débats et écrasé
l'opposition lors de leurs victoires. Nous ne pouvons pas pour autant
affirmer que les Tours 1951 et 1952 furent parmi les plus beaux de
tous les temps.
En revanche, pour qui connaît
un tant soit peu le cyclisme et son Histoire, l'édition 1989
de la Grande Boucle reste assurément l'une des plus exaltantes,
intéressantes et abouties de l'épreuve. Nous allons
ici nous attacher à retracer la chronologie des évènements
qui s'y sont déroulés, pour aboutir à la victoire
finale d'un coureur américain revenu de l'enfer, Greg LeMond,
sur son adversaire français Laurent Fignon. La lutte qui les
opposa tout au long des trois semaines de la course fut emplie de
symboles, chargée d'émotions et de rebondissements en
tous genres.
Avant d'attaquer le récit que je propose (j'ajoute que celui-ci
est tiré de la lecture de documents extraits essentiellement
de L'Équipe, car j'étais encore trop jeune en 1989,
et remanié par mes soins et selon une interprétation
bien subjective), il s'agit de replacer le contexte dans lequel la
course démarre de Luxembourg.
L'année
précédente, lors de l'édition 1988, le grimpeur
espagnol Pedro Delgado, de la formation Reynolds (plus tard devenue
la formation Banesto, et dans laquelle Miguel Indurain, futur régent
du Tour de 1991 à 1995, fait encore ses classes), s'impose.
Mais sa victoire est entachée par un scandale qui éclate
à cinq jours de l'arrivée sur Paris : l'Espagnol, déjà
porteur du Maillot Jaune, est accusé de dopage ! Des analyses
urinaires révèlent en effet la présence de Probénécide,
produit capable de masquer la présence d'anabolisants dont
la faculté est d'augmenter les ressources musculaires de celui
qui en absorbe. La contre-expertise demandée par le coureur
se montre elle aussi positive, mais Pedro Delgado n'encourt finalement
aucune sanction car la Probénécide ne fait pas encore
partie des produits interdits par l'Union Cycliste Internationale
(cela ne sera le cas qu'en fin d'année 1988), tandis que le
Comité International Olympique a déjà condamné
en revanche ce produit.
Pedro Delgado l'emporte donc sur les Champs-Elysées, mais sa
victoire ne semble rien représenter dans l'absolu tant elle
est gâchée par le scandale... d'autant plus qu'un autre
coureur incriminé par un autre produit a été
rétrogradé au classement général et donc
puni pour un cas similaire (il s'agit du coureur néerlandais
Gert-Jan Theunisse) !
Lorsque
démarre donc l'édition 1989, l'ambiance autour de la
course est délétère car marquée par "l'affaire"
de 1988. Comme pour se purifier de la tourmente qui l'entoure encore,
Pedro Delgado démarre ce Tour 1989 de la plus mauvaise des
façons : il prend le départ du Prologue avec 2'40"
de retard sur l'horaire officiel, et semble ainsi s'imposer un handicap
quasi-insurmontable. Le prologue est finalement gagné par le
rouleur néerlandais Erik Breukink, mais l'on a alors loisir
d'apprécier les performances de deux anciens vainqueurs du
Tour : Laurent Fignon, sacré en 1983 et 1984 pour ses deux
premières participations, et Greg LeMond, lauréat en
1986, qui terminent respectivement second et quatrième du prologue,
dans la même seconde.
Pour les deux hommes, passés par diverses fortunes durant plusieurs
années, c'est le début d'une renaissance que Laurent
Fignon a commencé légèrement plus tôt que
Greg LeMond, après sa victoire dans le Giro 1989. Cependant,
les deux hommes reviennent de loin, après leurs lauriers obtenus
dans le Tour. Le Français, après une éblouissante
démonstration de classe dans le Tour 1984, dans lequel il avait
devancé Bernard Hinault (quintuple vainqueur en 1978, 1979,
1981, 1982 puis enfin 1985) de plus de 10'00" au classement général,
n'avait pu participer au Tour 1985 pour cause de blessure et depuis
végétait, cherchant désespérément
son lustre d'antan... Trois longues années de galère
suivirent la blessure, avec des errances et d'inexpliquables défaillances
physiques ou morales, malgré une place d'honneur dans le Tour
1987 gagné par l'Irlandais Stephen Roche (7ème place
au général) qui trusta cette même année
le Giro et le Championnat du Monde sur route (ce que seul le plus
grand des cyclistes, Eddy Merckx, avait réalisé par
le passé, en 1974) ! Puis vint la victoire dans le Giro 1989
pour Laurent Fignon, et le retour de la grande forme...
Mais que dire de l'Américain Greg LeMond ? Le printemps suivant
son sacre du Tour 1986, où il a devancé son coéquipier
Bernard Hinault, l'Américain est victime d'un terrible accident
de chasse, en recevant une décharge de chevrotine dans le corps.
Il perd beaucoup de sang... Plusieurs opérations seront nécessaires
pour sauvegarder sa vie menacée, mais l'on pense alors que
sa carrière est brisée... Pourtant Greg LeMond, avec
un immense courage, remonte sur un vélo. Ses débuts
restent très laborieux, mais il s'entraîne très
dur pour recouvrer sa condition de champion titré dans le Tour
de France. Son "come back", Greg le prépare assidûment,
convaincu que la chance va tourner en sa faveur. Et sa persévérance
va payer, cela de manière éclatante lors du Tour 1989
dans lequel, de miraculé, il devient miraculeux par les performances
qu'il y accomplit.
Le lendemain du prologue doit avoir lieu la fameuse épreuve
du contre-la-montre par équipes, précédée
auparavant d'une demi-étape dite "de transition".
L'intêret de ce chrono est pour les favoris de distancer ses
adversaires à condition toutefois d'avoir une équipe
homogène et capable dans cet exercice de creuser des écarts.
Ainsi, lors du contre-la-montre par équipes, Laurent Fignon
prend l'avantage sur tous les autres favoris en emportant la victoire
avec son équipe "Super U", et en distançant
notamment Greg LeMond et son équire "ADR-Agrigel"
de 51". Quant à Pedro Delgado, certainement sous le coup
d'une défaillance morale, celui-ci est décroché
de la roue de ses équipiers et arrive loin derrière
eux, aggravant encore son retard et anéantissant définitivement
ses chances au classement général, dans lequel Laurent
Fignon se trouve le mieux placé, mais pas en tête, car
le coureur portugais Acacio Da Silva a profité de l'étape
de transition du matin pour s'échapper et l'emporter avec suffisament
d'avance afin d'endosser le Maillot Jaune qu'il conserve quatre jours.
Jusqu'au
contre-la-montre individuel Dinard-Rennes, cinquième étape
du Tour 1989. Dans ce chrono, c'est Greg LeMond qui l'emporte et endosse
par là-même le Maillot Jaune, devançant Pedro
Delgado de 24" et Laurent Fignon de 58". L'Américain
fait désormais entièrement figure de revenant, de miraculé,
et surtout s'affirme comme un candidat potentiel à la victoire
finale. Il reste seulement à voir son attitude dans les cols.
Dès la neuvième étape, les pyrénées
commencent, avec la victoire de Miguel Indurain au sommet de Cauterets.
Greg LeMond conserve son Maillot Jaune, mais en est dépossédé
le lendemain par Laurent Fignon au sommet de Superbagnères,
où le coureur écossais Robert Millar l'emporte. Le Français
précède alors l'Américain de 7" au classement
général. La course quitte les Pyrénées,
avec Laurent Fignon comme leader. Il le reste pendant cinq jours,
tout comme Greg LeMond précedemment, mais lors de l'entame
des Alpes, il est distancé sur le difficile contre-la-montre
individuel de 39 km entre Gap et Orcières-Merlette. C'est le
néerlandais Steven Rooks, second du Tour 1988, qui s'y impose,
devant Pedro Delgado, de plus en plus impressionnant, mais c'est surtout
Greg LeMond qui hérite de nouveau de la tunique jaune de leader,
avec 40" d'avance sur Laurent Fignon. Cependant le chassé-croisé
est loin d'être terminé entre les deux coureurs et au
lendemain de la terrible étape Gap-Briançon, par-delà
le col de l'Izoard, se profile une autre étape terrible, la
dix-septième : Briançon-L'Alpe d'Huez.
Au sommet de ce col mythique, où Fausto Coppi a écrit
une page de sa légende en 1952, c'est un autre Hollandais après
Steven Rooks l'année précédente qui s'impose
: son équipier Gert-Jan Theunisse, qui sera sacré meilleur
grimpeur du Tour 1989. A l'arrivée, Laurent Fignon réalise
une bonne affaire et distance Greg LeMond, tout en le dépossédant
du Maillot Jaune, avec un avantage de 26" sur l'Américain.
Et les Alpes ne sont pas terminées car le Français remet
ça dans la dix-huitième étape, le lendemain de
sa prise de pouvoir à "L'Alpe" : il s'impose détaché
à Villard-de-Lans devant tous les favoris et porte son avantage
sur Greg LeMond à 50" au classement général.
Las, l'Américain n'a pas dit son dernier mot et tente un nouveau
coup de collier lors de la dernière étape alpestre Villard
de Lans-Aix les Bains. Sans conséquence toutefois car s'il
l'emporte, il ne distance en rien Laurent Fignon qu'il a battu au
sprint. Paris est dans deux jours et Laurent Fignon est toujours en
jaune !
Tout doit se jouer lors de l'ultime étape de ce Tour, un contre-la-montre
individuel de 24.5 km menant de Versailles à Paris, où
l'arrivée a lieu sur les Champs-Elysées. Avec 50"
d'avance, tout le monde se dit que Laurent Fignon ne peut être
battu sur une distance aussi courte...
Et pourtant ! Handicapé par une blessure à la selle,
le Français, moins bon rouleur que l'Américain, il faut
l'admettre, doit pédaler "en crabe", et ne dispose
donc pas des ressources nécessaires dans un exercice si exigeant.
De fait, le miracle se produit : Greg LeMond s'élance dans
la course du désespoir avec une volonté farouche et
une foi inébranlable. "Armé" d'un vélo
disposant d'un guidon triathlète, lui offrant des points d'appuis
supplémentaires et une position plus aérodynamique dans
les lignes droites, enroulant un énorme braquet (54 x 12, il
faut une énorme puissance pour pédaler !), Greg renverse
petit à petit la situation, comme lui seul pouvait l'imaginer,
tandis que le Français, malgré une admirable performance,
perd du terrain. A l'arrivée, l'Américain l'emporte
bien sûr et signe un chrono canon : il a parcouru les 24.5 km
en 26'57", ce qui fait une vitesse moyenne de 54.545 km/h. Il
s'agit de la plus grande vitesse réalisée dans un contre-la-montre
du Tour de France, il est vrai sur une distance relativament courte.
Laurent Fignon finit quant à lui troisième temps, à
58" de Greg LeMond. Son avantage de 50" a fondu, son adversaire
lui a repris plus de 2" par kilomètre. Incroyable retournement
de situation !
Pour 8 petites secondes, Greg LeMond devance donc Laurent Fignon dans
le final de ce Tour 1989 qui fut incontestablement l'un des plus beaux
de l'Histoire. Vous pouvez, je pense, en juger.
Ainsi
Greg LeMond gagna t-il le Tour de France 1989 avec seulement 8"
sur Laurent Fignon, tandis que Fausto Coppi devança le Belge
Stan Ockers de plus de 28'00" en 1952. Les écarts entre
le vainqueur et son second sont largement différents, mais
le résultat est le même : un succès dans la plus
grande des courses cyclistes. A noter que si Fausto Coppi s'arrêta
sur cette écrasante victoire de 1952 en ne revenant plus sur
le Tour de France, Greg LeMond fut lui complètement relancé
par le sacre de 1989 après son terrible accident de chasse
du printemps 1987, et remporta à nouveau la Grande Boucle l'année
suivante, en 1990. Par la suite, Greg ne brilla plus sur le Tour,
terminant septième du classement final en 1991 après
deux irrémédiables défaillances dans la montagne,
et finissant dans un quasi-anonymat par abandonner dès les
premières étapes, en 1994.
Quant à Laurent Fignon, lui non plus ne réussit à
s'imposer de nouveau dans le Tour de France, laissant son compteur
de victoire bloqué à deux (celles de 1983 et 1984).
Pour conclure sur les deux hommes, dont le chassé-croisé
en 1989 fut fascinant et magnifique, je crois que Greg LeMond n'aurait
jamais gagné le Tour 1990 si le Tour précédent
n'était tombé dans son escarcelle. De même Laurent
Fignon, après son échec de 1989, est resté marqué
et n'a plus retrouvé le brio de cette année ou de 1983
et 1984, années de ses succès. Il semble néanmoins
que Greg LeMond n'a pas démérité sa fantastique
victoire du Tour 1989, car il confirma en enlevant quelques semaines
plus tard le Championnat du Monde sur route, et de fort belle manière,
compétition qu'il avait préalablement gagné en
1983. Trois Tours de France, deux titres de Champion du Monde, chapeau
Greg...
Puisque l'on évoque le Championnat du Monde sur route, comment
ne pas parler du coureur français Georges Speicher qui, quelques
cinquante-six ans avant Greg LeMond, donc en 1933, réussit
le même exploit que l'Américain, à savoir gagner
la même année Tour de France et Championnat du Monde.
Georges
Speicher fut en fait un pionnier, puisque premier coureur à
réaliser cette performance et tout simplement premier français
Champion du Monde ! Mais ce qui nous interesse ici, c'est sa victoire
dans le Tour 1933, qui s'inscrivait dans une spirale de victoires
françaises dans la Grande Boucle. En effet, de 1930 à
1934 inclus, puis de nouveau en 1937, un coureur français gagna
le Tour de France.
Ce qui est très interessant, c'est que cette série de
succès s'expliquait par ce qui fut une révolution lors
de sa mise en place pour la première fois en 1930, à
savoir la création des Equipes Nationales, supplantant les
équipes de marques cyclistes présentes depuis 1903 sur
la course. Le père du Tour de France, Henri Desgrange, fut
à l'origine du remplacement des equipes de marque par les réunions
des meilleurs coureurs cyclistes de chaque pays sous la bannière
de leur drapeau national. Ce fut une idée de génie,
et la possibilité pour la France de renouer avec le succès
dans la grande épreuve, après une main-mise belge, italienne
(Ottavio Bottechia en 1924 et 1925) ou luxembourgeoise (Nicolas Frantz
en 1927 et 1928), et une seule victoire française (Henri Pélissier
en 1923), depuis 1919.
En 1930, l'Equipe de France se montre la plus complète des
cinq sélections de huit coureurs (pour un total de quarante
coureurs appelés les "as"), auquel il faut ajouter
quelques soixante "touristes-routiers" (coureurs individuels).
Cela sera également le cas en 1931, 1932, 1933, 1934 puis 1937,
au détriment des équipes belges, italiennes, espagnoles
ou allemandes, parfois aussi fortes voire plus fortes que l'Equipe
de France, mais pas animées de l'esprit de camaraderie régnant
dans cette dernière. Cet esprit est véritablement né
en 1930, avec pour cadre la seizième étape de ce Tour,
entre Grenoble et Evian, à travers les cols alpestres. Le très
populaire André Leducq est alors Maillot Jaune depuis six étapes,
et s'affirme comme le leader logique de l'Equipe de France. Lors de
la descente du légendaire col du Galibier, André Leducq
casse sa pédale et tombe. L'un de ses coéquipiers, Pierre
Magne, répare alors rapidement, et permet à son leader
de repartir. Mais plus bas dans la descente, dans le secteur du col
du Télégraphe, André Leducq, surnommé
"Dédé", tombe lourdement et saigne. Il est
alors complètement désespéré, désemparé.
De fait, tous ses copains le remettent en selle, l'entourent, puis
commence la folle aventure : le plus dangereux rival de Dédé,
l'Italien Learco Guerra est en tête avec près de 14'00"
d'avance, il s'agit de combler cet immense retard. Ce sera fait en
75 km, tous les coureurs de l'Equipe de France s'échinant à
revenir sur le groupe de tête, sous la conduite de Charles Pélissier,
frère d'Henri, lauréat en 1923, et de Francis, autre
excellent coureur cycliste qui aida Henri lors de son succès.
Charles Pélissier qui, dans ce Tour 1930, va remporter la bagatelle
de huit victoires d'étapes, record absolu que seuls les Belges
Eddy Merckx (quintuple vainqueur de 1969 à 1972 inclus, et
1974) en 1970 et 1974, et Freddy Maertens, redoutable sprinteur, en
1976, vont égaler. Mais revenons à Dédé
Leducq en 1930.
L'Equipe
de France a donc rattrapé les hommes de tête et Learco
Guerra n'est plus aussi menaçant pour Dédé, qui
l'emporte finalement au sprint à Evian devant Charles Pélissier.
Incroyable André Leducq ! Et surtout quelle fantastique Equipe
de France, qui a montré son immense tempérament devant
le danger qui menaçait le beau maillot de Dédé.
Le Tour est alors gagné pour André Leducq, pour la plus
grande joie d'Henri Desgrange, transporté par cette sélection
française conquérante.
A Paris, où Charles Pélissier gagne sa quatrième
victoire d'étape consécutive, André Leducq devance
Learco Guerra de près d'un quart d'heure, et gagne une popularité
immense auprès du public français conquis par sa belle
gueule rieuse. Pour une première par équipes nationales,
le Tour est un succès, en grande partie grâce à
la véritable union sacrée qui s'est cristallisée
dans l'Equipe de France autour d'André Leducq. L'harmonie et
l'osmose se poursuivent complètement en 1931, mais pas au profit
de Dédé : cette fois-ci c'est à Antonin Magne,
dit "Tonin", et frère de Pierre Magne qui répara
la pédale de Dédé dans la descente du Galibier,
de s'affirmer comme le chef de file des ambitions françaises.
Tonin, troisième au classement général en 1930,
gagne la grande étape pyrénéenne Pau-Luchon et
endosse le Maillot Jaune qu'il ne quittera plus avant Paris. De nombreuses
menaces se sont pourtant amoncelées devant lui mais le concours
toujours précieux de l'inamovible Charles Pélissier
(encore lauréat de cinq victoires d'étapes), d'André
Leducq, qui sait aussi rendre ce que l'on lui donne, ou de Benoît
Faure lui font tenir bon. Antonin Magne gagne donc ce Tour de France
1931, tandis qu'André Leducq n'est pas aussi brillant que l'année
précédente : il n'est que dixième au classement
général, à une heure et demie de Tonin.
Cette relative déconvenue n'empêche pas Dédé
de l'emporter à nouveau l'année suivante, avec une maestria
encore plus affirmée qu'en 1930. En l'absence d'Antonin Magne
et de Charles Pélissier, André Leducq est le chef de
file logique d'une Equipe de France qui incorpore en son sein de nouveaux
éléments tels Georges Speicher et Maurice Archambaud,
dont nous reparlerons. Dédé gagne la troisième
étape, Nantes-Bordeaux, endosse le Maillot Jaune et le conserve
jusqu'à l'arrivée à Paris où il l'emporte
brillament au sprint devant son coéquipier Georges Speicher,
sur la toute nouvelle piste du Parc des Princes. Cette victoire d'étape
est pour Dédé la sixième dans ce Tour 1932, et
affirme la consécration d'un magnifique coureur, alors au sommet
de son art. Dédé a été brillant partout
: sur le plat, comme le montrent ses victoires à Bordeaux ou
Paris, mais aussi dans la montagne, puisqu'il l'emporte à l'issue
de la grande étape des Alpes Grenoble-Aix les Bains, au détriment
des grimpeurs Belges et Italiens ! André Leducq devance finalement
son second, l'Allemand Kurt Stoepel de plus de 24'00" au cassement
général final. Il a certes bénéficié
des bonifications en temps accordées aux arrivées d'étapes
(quatre minutes pour le premier, deux pour le deuxième, et
une pour le troisième) puisqu'il l'emporta à six reprises,
mais son plus grand mérite fut de ne jamais flancher devant
la cohorte de ses adversaires, comme ce fut le cas en 1930...
Néanmoins, André Leducq n'affichera plus cet état
de forme de 1932, et en 1933, si Antonin Magne est cette fois présent
et l'Equipe de France plus brillante que jamais, c'est l'inattendu
Georges Speicher qui est sacré à l'arrivée au
Parc des Princes à Paris. Néophyte en 1932, Georges
Speicher aide tout d'abord dans ce Tour 1933 son coéquipier
Maurice Archambaud qui a gagné la première étape
Paris-Lille, et de fait, conserve le Maillot Jaune durant huit jours.
Cependant la forme de Georges Speicher devient évidente dès
la deuxième semaine de course, et celui-ci, remportant trois
étapes sur cinq possibles de Grenoble à Marseille, endosse
dans la cité phocéenne le Maillot Jaune au détriment
de son coéquipier Maurice Archambaud. Toutefois, l'esprit d'équipe
joue encore dans cette Equipe de France et Georges Speicher résiste
aux assauts des Italiens Learco Guerra et Giuseppe Martano lors des
étapes pyrénéennes, bien aidé par ses
équipiers Maurice Archambaud (qui finit cinquième au
classement général) et Antonin Magne (huitième).
Dans le prolongement de son Tour victorieux, Georges Speicher, comme
il l'a été dit plus haut, devient la même année
Champion du Monde, devant son compatriote Antonin Magne !
Tonin,
déjà sacré dans le Tour en 1931, le redevient
en 1934. L'Equipe de France accueille alors un petit prodige, un grimpeur
irréel : René Vietto, tout juste vingt ans. Ce dernier
aide largement son leader Antonin Magne dans la montagne, alors que
celui-ci est leader depuis le second jour de course. Deux étapes
de suite dans les Pyrenées, René Vietto, qui finira
meilleur grimpeur de ce Tour de France, dépanne Tonin : d'abord,
dans la quinzième étape, en lui donnant sa roue, puis
dans la seizième en lui donnant son vélo. Deux sacrifices
qui permettent à Tonin de conserver le leadership de la course
face aux grimpeurs Giuseppe Martano et Félicien Vervaecke.
De toute façon, Tonin montre qu'il est bien le plus fort en
l'emportant dans le premier contre-la-montre individuel de l'Histoire
du Tour de France, sur 83 km, entre La Roche sur Yon et Nantes. Antonin
Magne réussit ainsi le doublé dans la Grande Boucle,
comme son ami André Leducq. Quand à René Vietto,
finalement cinquième de l'épreuve, il ne gagnera jamais
le Tour de France (il sera second en 1939 et cinquième en 1947,
entre-temps il y eut la Guerre...).
1930-1934 : un âge d'or du cyclisme français (sans oublier
la victoire en 1937 de Roger Lapébie), dont André Leducq
et Antonin Magne furent les plus beaux fleurons. De bien beaux fleurons...
Le 90ème Tour de France cycliste
vient de s'achever aujourd'hui même, dimanche 27 juillet 2003,
à Paris-Champs Elysées, sur le sacre de l'Américain
Lance Armstrong. Le champion texan vient de réussir la passe
de cinq, rejoignant ainsi la caste des autres quintuples vainqueurs
de la Grande Boucle que sont, dans l'ordre chronologique, le Français
Jacques Anquetil, le Belge Eddy Merckx, un autre Français,
Bernard Hinault, et l'Espagnol Miguel Indurain.
Oh, beaucoup d'articles ont été écrits dans toute
la presse spécialisée sur l'ensemble de ce Tour du Centenaire
et sur le triomphe de Lance Armstrong, ainsi je ne fais ici que coucher
sur le papier mes impressions quant à l'épreuve qui
vient de se terminer et les enseignements que j'en ai tiré.
Ce
Tour de France 2003, que j'ai suivi avec beaucoup d'attention, je
l'ai trouvé magnifique, d'une part pour le public dans lequel
je me classe, et pour les suiveurs de la caravane, et d'autre part
pour les coureurs, car ce cru 2003 a dans une très large mesure
magnifié l'approche que je me fais des coureurs cyclistes,
contrairement aux éditions précédentes. Et cela
pour plusieurs raisons :
- premièrement, la domination physique que Lance Armstrong
manifestait dans ses quatre succès consécutifs précédents,
de 1999 à 2002, s'est trouvée réduite à
néant cette année, excepté peut-être dans
l'étape pyrénéenne menant vers Luz-Ardiden, sur
laquelle nous reviendrons tout à l'heure, cette absence de
totale domination s'est traduite par un regain de confiance de ses
adversaires et un classement général extrêmement
ouvert encore à moins d'une semaine de l'arrivée à
Paris.
- deuxièmement, le tracé de l'épreuve était
très exigeant, et un nombre est pourtant révélateur
de la bonne volonté des coureurs : la moyenne générale
de vitesse à environ 40.900 km/h pour cette édition,
vitesse record évidemment.
- troisièmement, l'esprit d'offensive sans cesse renouvelé
des baroudeurs et leurs récompenses acquises en fin de Tour,
lorsque les équipes de sprinters, diminuées, n'ont plus
les mêmes velléités qu'en début de parcours.
- le courage manifesté par des blessés victimes de chutes,
tels Jimmy Casper, qui a vécu plusieurs calvaires avant d'abandonner,
vidé de ses forces, dans la terrible montagne.
Certes, tout ne fut pas rose, le dopage traîne encore dans le
peloton (un coureur, dont l'identité et l'équipe à
laquelle il appartient n'ont pas été révélés,
a été déclaré positif à l'EPO),
et les spectateurs se montrent trop imprudents sur le bord des routes,
notamment lors des étapes de montagne, là où
l'effort est le plus violent et où les coureurs ont logiquement
besoin du plus d'espaces que possible.
La chute de Lance Armstrong dans la montée vers Luz-Ardiden
l'illustre bien. Certes, l'Américain a concédé
qu'il s'est trop déporté sur la droite de la route,
où le public était massé en nombre. C'était
peut-être une imprudence de sa part, mais parce qu'il est un
immense champion il l'a d'une part avoué, et de l'autre il
a su réagir avec brio pour s'envoler vers sa seule victoire
d'étape dans ce Tour du Centenaire, alors qu'il nous avait
habitué par le passé à une brochette de quatre
succès d'étapes (ce fut le cas en 1999, 2001 et 2002,
mais pas en 2000, où il compta également un seul succès).
Cette victoire à Luz-Ardiden est un des hauts faits de ce Tour
de France, et le champion américain l'a autant obtenu, sinon
même plus, avec la grinta, la rage de vaincre, qu'avec ses jambes.
S'il n'a pas affiché la plénitude de ses moyens dans
ce Tour 2003, Lance Armstrong a néanmoins réussi a l'emporter
pour la cinquième fois à Paris, et cela est tout sauf
immérité.
Pour
moi, Lance est LE plus grand coureur de tous, sur le Tour de France
s'entend. Cette affirmation va certainement à l'encontre de
tous les classements spécialisés qui portent Eddy Merckx
au sommet de la hiérarchie cycliste. De plus, je n'ai pas eu
le privilège, n'étant pas né, de suivre les exploits
du Cannibale Belge au temps de sa splendeur. Certes, Lance n'a pas
gagné d'étape telle celle de Luchon-Mourenx Ville Nouvelle
1969, lorsque Eddy avait distancé ses rivaux les plus sérieux
qu'étaient Roger Pingeon et Raymond Poulidor de 8'00"
à travers les cols pyrenéens, ou d'autres tels Jan Janssen,
vainqueur du Tour l'année précédente, ou Felice
Gimondi, fameux champion s'il en était, et lauréat en
1965, coureurs seigneurs de la route relégués à
un quart d'heure derrière le nouveau régent du Tour...
Mais, comme Jacques Anquetil avait son Raymond Poulidor, Eddy Merckx
son Luis Ocaña, et Fausto Coppi son Gino Bartali, à
moins que ce ne soit l'inverse, Lance Armstrong possède en
Jan Ullrich un adversaire de taille, qui ne fait qu'ajouter à
la grande Galerie des duels cyclistes qui émaillent l'Histoire
(citons aussi le mano à mano Greg LeMond-Laurent Fignon 1989,
Bernard Hinault-Joop Zoetemelk, ou le duel historique entre les Suisses
Ferdi Kubler et Hugo Koblet).
En 2003, Lance Armstrong était menacé : Jan Ullrich,
bien sûr, mais aussi Alexandre Vinokourov, Iban Mayo, Tyler
Hamilton, et le malheureux Joseba Beloki, qui chuta... furent des
adversaires acharnés à la perte du champion revenu du
cancer. Mais Lance s'est imposé : il n'est ni Eddy Merckx qui
gagna tout, ni Fausto Coppi qui fut le plus marquant, ni Jacques Anquetil
qui fut le plus facile : il est Lance Armstrong, champion du Tour
de France, ayant pour lui une chose unique : une intelligence de course
sans pareille, une tête bien pleine qui en fait le plus grand
tacticien de l'Histoire du Cyclisme.
Et
ce n'est que justice s'il accède au Panthéon des super-vedettes
du Tour de France tant il le mérite. Il peut gagner un sixième
Tour de France : peut-être pas avec la forme qu'il a affiché
sur les routes de France cette année et qui, il l'a avoué,
était inacceptable pour lui, mais avec celle de 2002, pas de
doute possible, il y arrivera, même avec un Jan Ullrich surentraîné.
Un nouveau siècle de Tour de France vient de s'ouvrir désormais.
Là où Jacques Anquetil, sur abandon en 1966, Eddy Merckx,
irrémédiablement lâché par Bernard Thévenet
en 1975, Bernard Hinault, battu par Laurent Fignon en 1984 et Greg
LeMond en 1986, et Miguel Indurain, défaillant en 1996, ont
tous échoué, lui pourrait réussir : la passe
de six, qui le consacrerait définitivement comme LE super-champion
de l'Histoire du Tour de France. Mais nous n'en sommes pas là.
Tous les champions cités ci-dessus et qui ont échoué
dans leur quête d'un sixième Graal ne pensaient pas en
être empêchés. La sixième marche a de tous
temps été impossible à gravir. Lance Armstrong
n'est pas non plus à l'abri de la fatalité du Destin,
qui reste plus fort que les Hommes, même lorsqu'ils semblent
surhumains...
Et
Jan Ullrich dans tout cela ? Il est un Grand, un très Grand,
mais il lui manque ce petit quelque chose qui fait que Lance Armstrong
a pour l'instant toujours fait la différence sur lui. Pourtant,
l'Allemand est un champion, et un Homme du Tour, car en six participations
à l'épreuve il s'est classé une fois premier
(sacre en 1997 à 23 ans et demi), et cinq fois second (1996,
1998, 2000, 2001, 2003) ! Sa seconde place dans le Tour 2003 a néanmoins
une autre saveur que les précédentes, car cette fois
Jan a moins subi la férule de l'Américain. Elle est
même le signe d'une possible renaissance après quatorze
mois d'absence à la compétition. Enorme dans le contre-la-montre
menant de Gaillac à Cap-Découverte dans le sud-ouest,
Jan Ullrich y devança Lance Armstrong de plus d'une minute
et demie, même si, il faut y penser, l'Américain a subi
une très forte déshydratation qui lui enleva peu à
peu ses forces. L'Allemand, lui, nullement gêné par une
étouffante canicule (38°C), l'emporta avec brio en 48 km/h
de moyenne. Excepté à l'Alpe-d'Huez, où il fut
malade et concéda du temps sur le champion texan, et à
Luz-Ardiden, où Lance s'envolait pour, au final, s'assurer
la victoire dans le Tour, Jan fut également brillant en montagne,
mais ce ne fut pas suffisant pour déboulonner le pour l'instant
encore invincible Lance Armstrong.
J'adore ce coureur américain, mais très sincèrement,
je me suis pris à vraiment admirer Jan Ullrich durant ce Tour
de France, alors que par le passé je le trouvais suceur de
roues et incapable d'attaquer. Maintenant, j'ai compris : dans les
cols, l'Allemand roule à son train et pousse ses accélérations
sans le laisser paraître. Et même si ce n'est pas aussi
explosif que les attaques de Lance dans les Tours précédents
ou à Luz-Ardiden cette année, cela reste réellement
impressionnant et admirable.
J'avoue sans détour que j'ai très hâte d'être
à 2004, et espère que les deux Champions seront au meilleur
de leur forme pour s'affronter loyalement.
Et les autres ? Les challengers de cette année furent plus
offensifs que les années précédentes mais je
pense que nous avons eu la confirmation que seul un Jan Ullrich bien
préparé est capable d'affronter le Maillot Jaune. Une
bonne préparation et une équipe solide à sa cause...
Car n'oublions pas que Lance Armstrong bénéficie, lui,
d'une équipe royale, à son entière dévotion
: si Roberto Heras et José Luis Rubiera furent moins impressionants
qu'en 2002 en montagne, l'US Postal a brillamment gagné le
chrono par équipes, plaçant son leader dans les meilleurs
dispositions au Classement Général. Ainsi Lance s'empara
t-il de la tunique jaune dès l'Alpe-d'Huez, terme de la huitième
étape, pour ne la plus quitter...
Clément Charlieu.
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Fichier mis à jour le : 31/12/2021 à 16:10
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