Emile BRICHARD
né le 20 décembre 1899 à Arsimont
domicilié à Villers-Poterie (Gerpinnes)
décédé le 8 juillet 2004
Emile voit le jour quelques jours avant Noël de 1899, plus précisément
le 20 décembre à Arsimont.
En 1901, ses parents s'établissent à Ham-sur-Sambre.
Mais, les évènements
de 1914 viennent perturber gravement l'Europe.
Venant d'Angleterre où il s'était réfugié avec ses parents et où il travaillait
déjà à la production du matériel de guerre, il reçoit l'ordre de rejoindre
le camp d'Aubourg en France. En juillet 1915, Emile est incorporé dans le 4ème
Corps médical. De là, il est envoyé sur le front comme infirmier chargé
d'en ramener ses camarades blessés. Il soigne des centaines de soldats à l'hôpital
"l'Océan" à la Panne où il côtoie la Reine Elisabeth. Sans avoir
combattu le fusil à la main, il voit sans doute plus d'horreurs de la guerre
que certains autres soldats. Il n'a jamais oublié ses visions d'enfer.
Il arbore avec une grande fierté son brevet 438.462.5 "Aux Combattants
de la Grande Guerre, la Patrie Reconnaissante". Il est démobilisé en
1919 en Allemagne. Il aura vécu deux ans sous les armes dont une année de
guerre. Emile est donc le dernier survivant en Belgique de ces fameux "poilus"
de 1914-1918. L'autre survivant s'est installé depuis 1923 aux Etats-Unis.
C'est lors du récent 85ème anniversaire de la célébration de l'Armistice
de la Grande Guerre qu'a été remis à l'honneur Emile. A cette occasion, Guy Crasset, Vice-Président de la revue "Coups de Pédales",
l'un des plus perspicaces archivistes, a fait le rapprochement entre l'identité
du "poilu" et le participant au Tour de France 1926. Dans l'absolu,
Emile qui vient de fêter son 104ème anniversaire, est le plus ancien des participants
au Tour de France. Laissons Emile évoquer ses souvenirs : "A l'époque,
j'étais fou de vélo".
Dès 1920, Emile devient mineur de fond et ce, durant une décennie. Pendant
l'été, il travaille, en outre, dans une briqueterie en France, métier hautement
nécessaire à la reconstruction des villes et villages dévastés après le
terrible désastre de la Grande Guerre. Emile, autodidacte, qui avait appris
à lire vers 1906 en paginant le journal "La Dernière Heure" se lance
aussi dans la compétition cycliste. Malgré son âge, Emile possédait encore
une mémoire exceptionnelle :
"J'ai commencé à courir dès 1919. Rarement, je quittais la région
de l'Entre-Sambre et Meuse. Malgré le fait que je ne gagnais jamais, je suis
devenu professionnel. J'étais déjà heureux de suivre mes adversaires qui
étaient des vedettes confirmées. Je me souviens de Mottiat, Lambot, Scieur,
des frères Sellier, Tiberghien et des autres frères Heusghem. Ah oui, il y
avait aussi Benoit. Celui qui forçait mon admiration, c'était Cyrille Van
Hauwaert. Je courais pour la marque "Alcyon" et en 1926, ma firme
a posé ma candidature afin de disputer le Tour de France. A ma grande surprise,
je fus retenu comme touriste-routier". Inscrit dans la catégorie des touristes-routiers, Emile doit donc prendre part
à la 20ème édition du Tour de France. A cet effet, Emile rejoint Paris en
train avec ses copains Félix Sellier et Adelin Benoit retenus chez les "As".
Après avoir défilé sur les Champs Elysées, les concurrents sont partis en
train spécial... pour Evian ! En effet, l'innovation notoire résidait dans
le fait que pour la 1ère fois, la Grande Boucle ne s'élançait pas de Paris.
L'initiative venait d'Henri Desgrange qui voulait ainsi rendre sa course plus
animée jusqu'au bout. 126 concurrents se présentent au départ d'Evian pour
courir 5745 km, distance record, en 17 étapes. "Je me souviens que
le coin était joli et qu'il y avait un lac" explique Emile. La 1ère
étape reliant Evian à Mulhouse comporte 373 km et emprunte le massif du Jura.
Emile qui porte le dossard 143 n'avait jamais franchi un col de sa vie, ni parcouru
une telle distance. Très vite, après une trentaine de bornes, le col de la
Faucille se dresse déjà en juge de paix. Ottavio Bottecchia, lauréat en 1924
et 1925, met le feu aux poudres et s'isole dans l'escalade. l'Italien passe
seul en tête, avant de connaître une terrible défaillance. Il termine à
36'00" de Jules Buysse, vainqueur à Mulhouse en 14h12'04" (moyenne
26,265 km/h). Ecoutons Emile nous narrer sa course : "Le col de la Faucille
était très difficile. J'ai vu des as être poussés par des spectateurs. Les
touristes-routiers ne l'étaient pas. J'ai crevé deux fois dans la montée.
Le boyau était collé à la jante, il fallait l'arracher, le découdre, réparer
avec une rustine et recoudre avec du gros fil ! Cela prenait un temps fou et
il fallait une patience inouïe. Je n'avais que quatre boyaux de rechange et
j'ai encore percé plusieurs fois. Mon retard devenait considérable. Ma seule
consolation était que je n'étais pas le seul dans ce cas. Une dizaine d'autres
touristes-routiers se retrouvaient à la dérive. En fin d'étape, n'ayant plus
aucun boyau de réserve, j'ai roulé plusieurs kilomètres sur les jantes et
j'ai abandonné à une dizaine de bornes du but !". Il y avait un seul
autre coureur belge au départ dans la même catégorie, un certain Henri Beirnaert
qui, lui non plus, n'a pas achevé l'étape, avec 13 autres coureurs, tous touristes-routiers
dont... le Japonais Kisso Kawamuro. Emile ne se souvient pas de ce nippon ni
de Beirnaert mais bien de la canicule de cette journée du 20 juin 1926. "J'espérais
au moins poursuivre la course jusqu'au Nord de la France, pas bien loin de chez
moi. Je suis donc rentré à la maison et je n'ai parlé à personne de ma "performance"
car j'étais gêné. Je n'ai jamais participé à aucune autre grande course
même pas le Tour de Belgique. J'ai encore couru les kermesses jusqu'en 1928
et aussi sur piste dans la région de Charleroi, tout en restant mineur de fond".
Vers 1930, Emile ouvre, avec sa première épouse, un commerce de vins et spiritueux
à Châtelineau. Il aura deux fils. Aujourd'hui encore, c'est sa belle-fille
âgée de 70 ans qui tient le magasin. Emile ne possède aucune archive. Lors
de sa séparation avec son épouse, celle-ci a emporté tous les meubles et
tous les souvenirs du héros de la guerre…et ainsi que de la Grande Boucle
! Durant le second conflit mondial, le négociant s'est lancé dans le "marché
noir" dans la région frontalière de Momignies. Emile s'est remarié et
son épouse est décédée voici deux ans. Alors qu'il était centenaire, il
voulait divorcer ! Il a conduit sa voiture jusqu'à 96 ans mais il n'a plus
été autorisé car son assureur n'a pas voulu continuer à couvrir Emile. Depuis
30 ans, il vit dans l'entité de Gerpinnes chez lui avec son chat. Il est très
bien entouré par le CPAS et le Bourgmestre de Gerpinnes, Monsieur Roland Marchal.
Lorsque cette année, à l'approche de l'Armistice, les médias tant de la presse
écrite que télévisée, se sont penchés sur notre glorieux vétéran, pas
un seul journaliste n'a imaginé que le dernier rescapé de la Grande Guerre
était aussi le plus ancien coureur en vie ayant pris part au Tour. Muet comme
une carpe, Emile n'a pipé mot.
Grâce à la perspicacité de Guy Crasset, comme évoqué ci-avant, l'un des
secrets d'Emile était levé. Lorsqu'il parle du cyclisme, Emile devient intarissable,
citant à plusieurs reprises ses vedettes préférées : Eddy Merckx et Luc
Varenne. Il regarde toujours les courses à la TV et lit son journal et des
livres sans lunettes.
Comme le soulignent les responsables de "Coups de Pédales" Claude
Degauquier et Guy Crasset, la moindre des choses serait, qu'en juillet 2004,
alors que le Tour de France démarre de Belgique et passe à 5 km de chez lui,
Emile soit une fois encore honoré. Pour cela faisons confiance à Jean-Marie
Leblanc et son équipe. Le mot de la fin, laissons-le à Emile. Lorsque les
responsables de "Coups de Pédales" lui demandent le secret de sa
longévité, même s'il ne veut pas le dire. En insistant, il répond "j'aime
bien un bon verre et j'apprécie les femmes".
Michel Noël avec le concours de CDP n° 99 de novembre-décembre 2003, Claude
Degauquier et Guy Crasset.
PS : Ce texte a été constitué très peu de temps avant le décès d'Emile Brichard,
malheureusement survenu au début du mois de juillet 2004. Pierrot
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