Charles DERUYTER
né le 27 janvier 1890 à Wattrelos (France)
décédé le 25 janvier 1955 à St Servais (Namur)
Fils de tisserand, Charles voit le jour le 27 janvier 1890 à la frontière
française, à Wattrelos, près de Roubaix, à quelques pas de l'endroit où
devait s'élever plus tard le fameux vélodrome des Quatre-Villes. Encore adolescent,
alors qu'il y avait 15 jours seulement qu'il avait appris à monter à bicyclette,
il enlevait déjà sa première course, sur un vélo à pneus et 6m35 de développement
! Ensuite les victoires se succédèrent. Entre 1908 et 1910, dans la
catégorie des amateurs, il est sacré Champion du Nord en vitesse et en course
de fond, Champion des 9 Provinces Belges devant 460 concurrents. Il remporta
le Circuit d'Anden devant Heusghem, Mottiat et Thys. Il enleva également le
Circuit du Limbourg, les épreuves à Hasselt et à Tongres. Il remporta le
bouquet à Gembloux, à Spy, à Sombreffe, à Schaltin, à Auvelais, à Gosselies,
à Jambes, à Saint-Servais, à Jemelle, à Andenne. Charles passa professionnel
en 1911. Dès lors, il est, à juste titre considéré comme un des meilleurs
routiers d'Europe. Coureur de valeur infatigable et dur à la souffrance, Charles
brilla dans de nombreuses épreuves sur les vélos DEPAS, firme Namuroise qui
joua un rôle en vue, dès avant la première guerre mondiale, dans l'industrie
du cycle.
La renommée des cycles DEPAS d'abord construits à Beez, dépassa d'ailleurs
nos frontières pour la bonne raison que les routiers les plus réputés, à
savoir outre Charles, Philippe Thys, Aubain Dochain, Victor Linart, Chabard,
Joseph Marchand, Félicien Salmon, Depiereux, Heusghem, Félix Sellier, Jammar,
Lenoir notamment, firent partie des équipes qui défendirent avec succès,
dans le calendrier national et international, le pavillon de l'importante usine.
Dès 1909, les cycles DEPAS s'implantèrent à Seilles-Andenne et occupèrent
150 ouvriers.
Mais, revenons aux brillantes prestations de Charles. Dès sa première année
en tant que professionnel, Charles se classa 2ème de Paris-Menin. Il fut également
toujours redoutable sur piste. C'est ainsi qu'il termina, cette année là,
3ème du Championnat de Belgique de demi-fond.
En 1912, Charles remporta la victoire au G.P de Namur, se classa 2ème de Paris-Tours,
3ème de Milan-Modène, 7ème de Paris-Roubaix. Il prit part à la 10ème édition
du Tour de France. 131 concurrents prirent le départ à Paris pour couvrir
5319 km répartis sur 15 étapes avec 14 jours de repos. Charles faisait partie
de l'équipe PEUGEOT avec le Français Lucien Petit-Breton, Félicien Salmon,
une autre gloire Namuroise, et ses compatriotes Philippe Thys et Marcel Buysse.
Il portait le dossard n° 13. Lors de la 1ère étape entre Paris et Dunkerque
(351 km) remportée par le Français Charles Crupelandt en 11h39'37", Charles
se dressait à la 8ème place à 27'33" du vainqueur. La 2ème étape qui
reliait Dunkerque à Longwy sur 388 km était enlevée par le Belge Odiel Defraye
en 13h01'08". Charles franchissait la ligne d'arrivée en 12ème position
à 42'37" de son compatriote. A Belfort, où était fixée la ligne d'arrivée
de la 3ème étape, après 351 km, le Français Eugène Christophe coupait le
premier la ligne d'arrivée après 11h04'54" de selle, devant Defraye qui
avait franchi en tête le Ballon d'Alsace. Charles prenait une brillante 6ème
place à 3'21" du vainqueur. Odiel Defraye prenait la tête du classement
général avec 17 points. La 4ème étape reliait Belfort à Chamonix sur 344
km. A nouveau, Eugène Christophe franchissait le premier la ligne d'arrivée
après 12h04'17" d'efforts. C'est à la 11ème place que Charles coupait
la ligne à Chamonix à 40'52" du vainqueur. Son compatriote conservait
la tête du classement général. Lors de la 5ème étape, les concurrents devaient
escalader l'Aravis (1498 m), le Télégraphe (1670 m), le Galibier (2556 m)
et le Lautaret (2058 m) pour rejoindre Grenoble, après avoir effectué 366
km. Après avoir franchi en première place les différents cols, Eugène Christophe
ajoutait une 3ème victoire d'étape à son palmarès en 13h40'23". Charles
coupait la ligne en 15ème position à 43'43" du héros du jour. Pas de
changement à la tête du classement général. Le Français Octave Lapize enlevait
la victoire de la 6ème étape Grenoble-Nice (323 km) en 12h09'27". Lors
de cette étape, Charles était en tête et virtuel leader du classement général
lorsqu'une chute l'arrêta dans la Turbie. Charles terminait toutefois dans
un groupe à la 23ème place à 57'24". Odiel Defraye conservait la tête
du général. A l'issue de la 7ème étape, après 334 km, victoire à Marseille
du leader du classement général, Odiel Defraye, en 12h06'00". Charles
se classait en 29ème position à 2h14' de son compatriote. Pas de modification
à la tête du classement général. La 8ème étape conduisait les concurrents
de Marseille à Perpignan sur 335 km. La victoire revenait à l'Italien Vincenzo
Borgarello en 12h45'57". Charles se classait 28ème à 9" du vainqueur.
Odiel Defraye occupait toujours la tête du classement général. Defraye allait
encore se distinguer lors de la 9ème étape entre Perpignan et Luchon (289
km) en passant en tête au sommet du Col du Portet d'Aspet et du Col des Ares
et il remportait, en solitaire, la victoire d'étape en 10h24'57". Charles
terminait en 23ème position dans un petit groupe avec un retard de 48'03".
Le vainqueur de l'étape renforçait sa place de leader du classement général.
Lors de la 10ème étape entre Luchon et Bayonne (328 km), les concurrents devaient
escalader le Peyresourde (1596 m), l'Aspin (1489 m), le Tourmalet (2115 m),
le Soulor (1474 m) et l'Aubisque (1709 m). Le Belge Louis Mottiat enlevait la
victoire en 14h19'15" en battant le Français Eugène Christophe. Charles
terminait l'étape avec son compatriote Philippe Thys à la 12ème place avec
un retard de 1h13'45". Odiel Defraye conservait la tête du classement
général. La 11ème étape longue de 379 km entre Bayonne et la Rochelle était
enlevée par le Français Jean Alavoine en 13h11'. Charles terminait avec les
premiers et était classé 7ème ex-aequo avec son équipier Marcel Buysse.
Quatre cent septante kilomètres étaient au menu de la 12ème étape qui reliait
La Rochelle à Brest. Le Belge Louis Heusghem enlevait en solitaire l'étape
en 16h07'39". Charles franchissait la ligne d'arrivée en 17ème position
à 1h46'21". La tête du classement général était toujours occupée
par Odiel Defraye avec 41 points. A Cherbourg, terme de la 13ème étape, Jean
Alavoine enlevait la victoire après 14h45'16" de selle pour couvrir les
405 km. Notre champion, Charles, terminait à la 25ème place avec le gros du
peloton à 20'44" du vainqueur du jour. Son compatriote occupait toujours
la 1ère place au général. L'avant dernière étape reliait Cherbourg et le
Havre sur 361 km. L'Italien Vincenzo Borgarello s'adjugeait la victoire en 12h32'01".
Seize minutes et quarante quatre secondes après le vainqueur, Charles coupait
la banderole finale en 36ème position à 55'09" du vainqueur. La victoire
finale de cette 10ème édition de la Grande Boucle revenait à Odiel Defraye
avec 49 points. Charles terminait à la 16ème place avec 255 points.
Dès son retour au pays, pour sa brillante performance sur le Tour de France,
Charles était honoré par la Royale Ligue Vélocipédique Belge. Il reçut
une médaille en argent gravée où l'on peut lire "Hommage du Comité
Sportif à Charles Deruyter".
En 1913, dans l'équipe PEUGEOT, Charles s'illustrait brillamment dans Paris-Roubaix.
Il prenait la 2ème place. Selon ce qu'on lui avait narré, son fils, Jean-Charles,
nous a confié qu'à propos de ce fameux Paris-Roubaix, alors que son père
était un spécialiste de la piste, il s'était contenté de la 2ème place
derrière Faber qui lui avait soumis la proposition suivante : "A moi
les lauriers, à toi le pognon !". Dans Bordeaux-Paris et Bruxelles-Paris,
il se classait à la 7ème place.
Lors de la Grande Guerre, Charles était engagé comme volontaire dans l'aviation
belge. Il y côtoya notamment l'aide de camp du Roi Albert 1er.
En 1916 et 1917, il participa à quelques courses dans l'Hexagone. Il remporta
le Critérium du "Lyon Républicain", enleva le Circuit d'Orléans,
Tours-Paris, battant Henri Pélissier, Eugène Christophe et Jean Alavoine,
et Paris-Orléans.
En 1919, Charles enleva brillamment le classement final de l'éprouvant Circuit
des Champs de Bataille à Paris, épreuve courue sur des routes rongées par
quatre années de guerre et dans des conditions atmosphériques épouvantables.
Cette épreuve comportait 2000 km répartis en sept étapes. Il devançait de
deux heures le 2ème, son compatriote Urbain Anseeuw. Outre le classement final
de cette épreuve qui était généralement considérée parmi les plus rudes
de l'histoire du cyclisme routier, Charles décrocha la victoire de la 3ème,
de la 4ème et de la 7ème étapes. Le Journal du 4 mai 1919 titrait : "Charles
Deruyter a gagné la troisième étape Bruxelles-Amiens". A noter que
le départ avait été donné à Bruxelles à 4h30' précises du matin. "Une
course infernale. L'homme propose et... les éléments disposent. Notre grande
épreuve du Circuit Cycliste des Champs de Bataille restera à jamais fameuse
dans les annales du sport par les difficultés inouïes que les concurrents
qui la disputent auront eu à surmonter pour la terminer. De Strasbourg à Luxembourg,
vent, pluie, neige, grêle accompagnent nos vaillants routiers. De Luxembourg
à Bruxelles, la tempête redouble et c'est sous une pluie torrentielle que
les arrivées s'effectuent au Parc de Laeken. La 3ème étape sur le parcours
Bruxelles-Amiens voit les éléments se déchaîner avec plus de violence encore.
Les rafales de vent semblent clouer au sol les valeureux coureurs dont la volonté
farouche ne se dément pas un instant. A Lille, le retard sur l'horaire était
de plus de 3 heures et l'arrivée à Amiens, qui était prévue pour 15 heures
ne s'est produite qu'à 23 heures, avec 8 heures de retard sur l'horaire. Comment
décrire l'état des hommes qui ont terminé, comment dépeindre leur courage
fantastique ! Le vainqueur Deruyter, un de nos meilleurs champions cyclistes
a été porté en triomphe par la foule, il était dans un état physique lamentable.
Les arrivées se produisirent ensuite à de longs intervalles. Combien de concurrents,
combien de courageux va-t-il rester en course après une étape aussi dure,
aussi déprimante ?". Il conquit également la victoire de l'épreuve
des "Cent Miles" et réédita son exploit en 1920.
En 1922, il termina 4ème du Critérium des As. Dans l'équipe GURTNER-HUTCHINSON,
en 1923, il remporta le Circuit du Limbourg. Il se classa 2ème du Tour des
Flandres, 6ème ex-aequo du Championnat de Belgique et 7ème ex-aequo de Paris-Roubaix.
Outre de brillants résultats sur la route, Charles s'est forgé un prestigieux
palmarès également sur la piste. En 1913, Charles devenait à Paris recordman
des 24 heures à l'Américaine, couvrant 883.490 km. En 1921, il remportait
avec Marcel Berthet, les 6 jours de Bruxelles. L'année précédente, il était
le héros à New-York, lors des 6 jours. Il remportat le Championnat d'Hiver
(100 km) à Paris, devant Egg, Sérès et Godivier. Il enlevait le G.P de Bruxelles
derrière motocyclettes, il remportait des courses derrière motos devant Miquel,
Lavalade, Arthur Vanderstuyft, Bruni, Suter et Colombatto. Il enlevait la victoire
des Six Heures de Paris, de Bruxelles, de Marseille. Il remportait la victoire
sur les vélodromes à Lyon, New-York, Chicago, Rome, Turin, Milan et Paris.
Bref, il participait à plus de 400 courses différentes : individuelles, américaines,
derrière tandem, handicap, poursuite, vitesse. En 1925, il enlevait encore
l'Omnium Mondial. Charles Deruyter mettait, en 1928, un terme à sa brillante
carrière de cycliste professionnel. Il revint ensuite à Namur où il reprit
un magasin de vélos, chaussée de Waterloo à Saint-Servais. Il collabora notamment
avec les cycles DEPAS, d'Henri Depas et SPLENDOR d'Armand Marlaire. Il prodigua
des soins aux champions tels que Van Kempen, père et fils, Middelkamp, Champion
du Monde, Crossley, Walthour, coureurs américains. Il se consacra au rôle
d'entraineur-vélomotoriste de Stan Ockers, Verschueren, Lambrecht, Van Est,
Ollivier. Bref, il ne cessa de promouvoir le sport cycliste et également le
cycle motorisé.
Il n'hésita pas à contacter les Présidents et Membres des clubs cyclo-motoristes
de la Province de Namur. Jugez plutôt : "A Messieurs les Présidents
et Membres des Clubs de la Province. Sans aucune prétention, si vous jugez
un intérêt pour votre société, je me ferai un plaisir d'assister à une
de vos réunions, afin de converser avec les anciens et jeunes sportifs.
Motif : propagation du Sport cycliste et également l'avenir du Cycle motorisé.
Toujours les bons souvenirs aux anciens. Veuillez croire, Messieurs, aux bonnes
amitiés sportives. Charles Deruyter"
Le 12 novembre 1950, Charles participait encore à la Ronde de la Fédération
Motocycliste Belge, 1ère Coupe du journal "La Meuse" sur un engin
de sa conception. Il y remportait la médaille d'argent. Quelques temps plus
tard, il prêtait son concours à une démonstration de l'un de ces engins doté
d'une surmultiplication de l'invention d'Henri Depas, alors que les vélomoteurs
faisaient fureur. Aidée par le moteur, la pédalée démesurée de notre ancien
champion, Charles, s'avéra plus rapide qu'une auto, départ arrêté, dans
la montée de la chaussée de Louvain à Namur.
Le 24 janvier 1955, Charles rentrait du centre de Namur en vélo chez lui. Il
était pressé de changer de tenue pour se rendre au Salon de l'Auto à Bruxelles.
Hélas, un arrêt cardiaque devait lui être fatal. Lors de son enterrement,
nombreux sont les ex-champions contemporains et amis venus rendre un dernier
hommage au grand champion qu'était Charles Deruyter. On reconnaissait notamment
Louis Mottiat, Philippe Thys, Sylvère Maes, Félicien Salmon, Albert Ernest
(coureur entraîné par Charles). Son fils nous a livré une petite anecdote
: "Outre ses qualités de routier et de pistard, Charles était reconnu
dans le peloton comme un grand colombophile. C'est ainsi que lorsqu'il partait
sur les courses, il emportait ses pigeons. A l'arrivée, il ne manquait pas
de les lâcher en ayant pris soin auparavant de leur confier ses résultats.
Ainsi, ses proches étaient régulièrement informés de ses performances. Il
transmit la passion des pigeons à son fils aîné".
Michel Noël avec les Archives de sa fille Annie et de son fils Jean-Charles
Grâce à l'aimable collaboration de sa fille, Annie Deruyter, qui nous a remis
le document manuscrit de son papa Charles Deruyter, commencé le 1er décembre
1912, nous avons tenté de reproduire ce texte. Dans ce document, Charles Deruyter
raconte de manière précise et détaillée, ses débuts dans le sport cycliste.
A l'époque, l'obtention d'un vélo représentait un achat onéreux. Laissons-nous
emporter au début du siècle dernier :
Commencé le 1er décembre 1912
Préface :
Actuellement âgé de 23 ans, je vais donner aux lecteurs ainsi qu'aux aspirants
champions les passages, l'enfance, le début, l'entraînement et la conduite
d'un coureur cycliste.
L'enfance :
Né le 27 janvier 1890 à Wattrelos (Frontière Mont-à-Leux) dans un café
qui avait pour enseigne "Au Coin Fleuri", dont beaucoup de personnes
ont connaissance du lieu (près du nouveau pont de l'annexe de la gare de Tourcoing).
Mon père fut colporteur. Il était belge, d'une taille assez grande, fort de
corpulence. Il fut canonnier à Anvers. Ma mère était plus petite, bien remplie
et assez forte, c'est donc d'une espèce raisonnable que je deviens. Je fus
dès mes premières années très nerveux, je ne songeais que courir les champs
et les rues, jouer aux fraudeurs, aux douaniers, c'est-à-dire à tous les jeux
donnant le grand air et beaucoup de mouvements. Sitôt que je fus en âge pour
rentrer aux écoles, je fus envoyé aux écoles de la Croix Rouge. J'avais 20
à 25 minutes pour m'y rendre. Pour vous avouer franchement, je n'avais pas
grand goût aux études, je songeais beaucoup plus au grand air, à jouer et,
plus d'une fois, je fis l'école buissonnière afin de pouvoir me divertir en
plus de mes heures de récréation.
Enfin, après quelques années d'études, tant bien que mal, j'arrive à l'âge
de 7 ans où j'ai vu pour la première fois une course de vélos qui fut Paris-Roubaix.
Voici comment mon frère fut comme moi très amateur de sport. Lorsqu'un jour
les journaux font grand bruit concernant une course cycliste intitulée Paris-Roubaix,
je n'avais pas assez d'yeux, ni d'oreilles pour écouter ce que l'on racontait
à propos de cette fameuse course. Je risquai de faire la demande à mes parents
afin que l'on me donne la permission d'accompagner mon frère pour assister
à l'arrivée. Ce qui me fut accordé. Le jour de fête arrivât et je m'en
fus à pied accompagner mon frère et un ami, voir arriver les coureurs. Après
avoir accompli 8 kilomètres à pied et attendu quelques heures, nous voyons
arriver un coureur, si j'ai bonne souvenance du nom de Rivierre, et d'autres
plein de poussière et de boue.
Des semaines durant, on se racontait la course et nous ne ménagions pas notre
admiration pour de tels hommes qui, en vélo, venaient de faire 300 kilomètres,
sans manger ni boire, c'est ce que je croyais. Enfin, quelques années passèrent
et chaque fois à Pâques, je ne manquais pas d'aller jusqu'au Parc Barbieux
pour applaudir les hommes de force qui accomplissaient une si dure tâche. Enfin,
mes parents me voyant si endiablé pour toutes ces choses et croyant me changer
en goût d'étude, me placèrent dans un pensionnat où du matin au soir nous
avions nos livres en main. Ainsi, j'aurais donc cessé de songer aux sports.
Mais dans les études, il y a aussi des récréations. Aussi comme j'étais
à la campagne, c'est à dire à Dottignies, nous avions beaucoup d'air et aussi
des prairies, campagnes, etc... Il arrivait parfois que l'on nous fasse faire
des mouvements. Je rêvais que nous participions aux courses. Ainsi, nous entrions
tous dans la prairie et l'on nous donnait le signal du départ : nous partions
en courant de toutes nos forces et plus d'une fois, je battis des écoliers
beaucoup plus forts et plus âgés que moi. Enfin, après trois années
de captivité, je pus enfin rentrer, après bien des demandes adressées aux
parents qui me formulaient toutes sortes de promesses. Je pus revivre au foyer.
Alors ce fut la question de savoir quel apprentissage ils allaient me faire
faire. Moi, je me permis de donner mes idées. Je leur dis que je ferais du
vélo.
Mon père qui ne voulait entendre causer de cette maudite bicyclette, devint
furieux (je crois que le seul motif du refus est qu'il ne pouvait pas en usage).
"Non, me dit-il, tu feras ce que l'on te dit et tu deviendras menuisier-ébéniste".
Je fus mis comme apprenti menuisier mais j'avais autre chose à faire que raboter.
J'avais la maladie du vélo, rien d'autre. Ainsi, mon patron possédait une
bicyclette. Sitôt qu'il y avait une course, il me la prêtait et je partais
joyeux. Un beau jour, je laissai le rabot en place et je partis seul parcourir
les fabricants de cycles de la ville. Voilà que la chance me sourit. Je trouve
chez un marchand de cycles une place où je réaliserais mon rêve.
Je dois vous dire que ce constructeur travaillait aussi la poêlerie. Je retourne
chez moi et lorsque j'eus dit à ma mère, huit jours après mes débuts, que
j'étais au travail chez un "poêlier" car j'avais gardé de ne pas
dire que l'on y travaillait des vélos, elle vint me voir. Comme mon patron
n'avait que les louanges à donner, elle me laissât continuer, après hésitation,
le métier tant désiré. Si bien que je suis resté deux ans dans cette usine.
Afin de me rapprocher de chez moi et d'avoir une augmentation de salaire, je
m'en fus travailler à Mouscron où nous ne faisions que des vélos et des machines
à coudre. Là, comme le patron était contremaître-mécanicien, je faisais
le vélo selon ma volonté et ce qui m'amenait de légers pourboires. Je les
mettais de côté afin de songer à faire, pour mon propre compte, une bicyclette.
Je dois donner ici un passage qui est intéressant dans une carrière de cycliste
: en ce temps-là, la modeste ville de Mouscron ne possédait pas encore de
nickelage, ni d'émaillage. Lorsque des ouvrages étaient urgents, je partais
par une route pierreuse et je me rendais, à vélo, à Ypres (Flandre Occidentale
qui est à 20 kilomètres de Mouscron, avec quelques cadres et guidons sur le
dos. J'effectuais le trajet aller-retour en quelques heures. Je poussais un
vélo qui n'était sûrement pas ma bicyclette actuelle, qui devait peser environ
17 kilos, muni de pneumatiques montables de 42 mm de diamètre et ce que je
supportais très bien. Donc, je me résolut alors de faire tout ce que je pouvais
afin d'obtenir la permission de posséder un vélo afin que je puisse rouler
et aller où bon me semble. Alors ce fut la catastrophe chez moi. "Jamais
au grand jamais" me dit le père "Tu te feras mourir avec vilain
outil et d'ici quelques mois nous aurons pour toute consolation de venir pleurer
au cimetière". Enfin, je ne me tins pas pour battu.
Lorsque je me retrouvais seul, en compagnie de ma mère, j'en causais et j'en
pleurais même. Or, un jour, l'on me dit : "Après tout, nous n'avons
pas d'argent à jeter pour un vélo". Alors je leur fis faire la promesse
que si je parvenais par mon labeur à mettre l'argent de côté, je pourrais
faire l'achat de l'outil. J'étais sauvé. Non, pas tout à fait. Je partais
dès lors tous les jours, matin et soir. Je travaillais dur. Le dimanche beaucoup
d'ouvriers venaient faire leurs réparations, vu que la semaine, ils allaient
travailler dans les usines françaises et ils n'avaient gère le temps. Je partais
donc, le dimanche, comme les autres jours au travail et toutes ces heures étaient
mon bénéfice. Je cherchais à en faire le plus possible. Je me disais, aujourd'hui,
j'ai gagné une jante, un autre jour, une enveloppe puis les rayons, le cadre
et enfin, j'eus la somme convenable pour le vélo.
Il fallait obtenir de nouveau la permission pour pouvoir en faire l'achat. Cette
permission me fut accordée par mon père, à condition d'avoir comme bicyclette
un vélo de fatigue route. Me voilà donc joyeux. Après huit jours, je fus
en possession de ce que je rêvais depuis bien des années. Je fis alors du
vélo, pensez-vous, tous les jours. Trois semaines après, pour l'inauguration
du nouveau pont, on organisa dans le quartier deux courses cyclistes, une course
le dimanche et une autre le lundi. Sans rien dire aux parents, je m'en fus,
le dimanche, m'engager dans la course. Quelle ne fut la stupéfaction de mes
parents, de voir arriver dans le peloton, leur fils, une pancarte sur le dos.
Comme le père était de la fête, il a donc dû ce jour-là, montrer le poing
dans la poche de sa culotte. Le lendemain, je fis comme le jour précédent,
je pris part à la course et pour vous dire mon classement, je vous dirais que
malgré un bon nombre de coureurs, je me classais la 1ère fois second et la
2ème fois premier. J'avais des pneus démontables de 38 mm et je poussais 24x8
ce qui fait 6,60 m. Le dimanche suivant, ayant appris par les journaux qu'il
se courait une course Roubaix-Quesnoy-sur-Deule, 35 kilomètres, j'y pris part.
Je me classais 6ème malgré une chute, sur 35 partants.
Enfin, mes parents avaient remarqué mon classement, ce fut de nouveau la guerre
à la bicyclette ! Le dimanche suivant, mon père enferma donc mon vélo et
croyant de cette façon que je serais forcé de ne plus prendre part à toutes
les courses cyclistes. Mais devant la destinée, aucune force n'arrête l'homme
et j'empruntai le vélo d'un ami. Demandant l'autorisation de m'absenter au
patron à midi, je quittai le travail et je pris part à Roubaix-Quesnoy. Pour
la seconde fois, je termine 8ème, ayant mis tout mon courage. Je fis encore
d'autres courses qui me donnèrent d'assez jolies places. Mais, croyant avoir
un matériel inférieur aux autres, je pris une décision. Car, me voyant handicapé
à cause de mon vélo, je résolus de faire une seconde épargne pour la fine
routière. Après presque un an de labeur, j'avais l'argent nécessaire pour
la construction de ma 2ème machine. C'était une machine avec tubes (boyaux).
Me voyant beaucoup à l'ouvrage, mes parents qui me croyaient avoir renoncé
aux précédents projets, étaient heureux et plus d'une fois, ils me donnaient
des gratifications pour mon labeur lequel ne devait servir que pour la machine.
Voilà ma bicyclette construite. J'essayai mon vélo et plus d'une fois, je
partis à l'entraînement avec mes amis qui me déposaient en cours de route.
Je dois dire que le vélo ne venait pas chez moi. Or, un beau jour, je pris
part à la course Croix-Quesnoy-sur-Deule, 30 kilomètres. Sur 28 partants,
je terminai 4ème. La seconde course fut Santes-Bethune, 66 kilomètres, avec
90 partants, avec tous les champions amateurs libres. Je terminai 5ème à 5
mètres du premier, ayant fait une chute aux 300 derniers mètres. J'étais
fougueux et j'ai pris, par mon manque de sang froid et de prudence, plus d'une
chute. Nous voici au moment où je commençais à me montrer. Je courus Looz-La
Bassée, 90 km, où je terminai 1er, ayant environ 200 mètres sur le second.
Vous trouverez peut-être étrange que je puisse courir ces courses sans que
ce soit ignoré chez moi.
Voici comment je procédais. Je ne courais pas une seule course plus rapprochée
de 15 à 20 km, et sous un nom qui n'était pas le mien. Ainsi, le premier nom
que je pris, fut Gobert. Donc, je quittais le matin de chez moi pour me rendre
à l'usine, et je quittais l'usine après le déjeuner, à midi, et à deux
heures, j'étais prêt au départ des courses que je vais appeler courses de
sous-débutants. Mais, la tentation me faut offerte de courir une course de
vitesse à Roubaix que je gagnais. Me voilà avec les fleurs et entraîné par
des amis, je rentrai chez moi avec ma bicyclette de course. Mon père, je vous
assure, me reçut mal sitôt les amis partis. Pour cadeau, il prit un fort canif
et coupa les deux pneus, ensuite il enfermât mon vélo. Après des pleurs,
je résolus de m'en emparer coûte que coûte et je profitais d'un moment d'inattention
pour quitter la maison avec le vélo. Je le cachais chez une de mes tantes.
Le dimanche suivant, je courus le Championnat de la Ligue Vélocipédique du
Nord, avec 50 partants. Enfin, pour clôturer la saison, car j'eux ma bicyclette
au mois d'août, je fis un match avec le vainqueur des épreuves amateurs, qui
a été un des plus brillants amateurs belges, et je gagnais au sprint. Enfin,
à notre propre compte, mes parents se décidèrent de me laisser faire à ma
guise.
Je me préparais donc très fort pour la saison 1908 où je connus deux professionnels
de Tourcoing qui me donnèrent quelques bonnes leçons dont je profitais. Sitôt
l'ouverture de la saison, je gagnais. Je gagnais donc dans cette saison les
courses amateurs libres, le Circuit de Roubaix, le Circuit de Tourcoing (courses
pour coureurs professionnels, amateurs, débutants), le Circuit de Messin devant
des coureurs professionnels (Helques, Masselis, d'Hulst, Wancour, Debaets, etc...).
Après, j'ai été victorieux des courses de Gueluwe, Mouscron, KeckemCuesne,
Harlebeek, Courtrai. Ayant un début de saison victorieux, je résolus de monter
en grade et je devins licencié amateur belge. Je pris part au Tour des Flandres,
l'ouverture de Morselede, derrière Delcroix Emile en vitesse, où je terminais
2ème derrière René Vandenberghe. Ensuite, je gagnais les 30 et 40 km au vélodrome
de Verviers. Je terminais 2ème du G.P de Verviers derrière André Trousselier.
Je pris part au Tour de Belgique 1908. Ayant été malchanceux, je dus abandonner
à cause d'une terrible chute, à Tirlemont, à 60 km de l'arrivée. Je terminais
la saison par le Championnat du Nord, que je gagnais devant les meilleurs hommes
du sprint amateur. La saison hivernale me força à quitter l'outil tant regretté.
J'aspirai aux beaux jours.
Je repris le vélo pour la saison 1909. Embauché par une maison de Bruxelles,
je quittais tout travail de mécanique et je m'attaquais au vélo, à la préparation
des courses. Je pris part en saison 1909 au petit Brevet touriste du Brabant.
Je couvris les 45 km en 1h22, ayant 5'1" d'avance sur Deblauw qui était
second. Huit jours plus tard, je gagnais Bruxelles-Bruges, 100 km, 80 points,
le 18 avril. Ensuite, je gagnais le G.P Van Houwaert, le 25 avril, puis l'ouverture
Franco-Belge, Menin-Baradies. Je fus alors blessé, ce qui arrêta les jours
victorieux. Je fis ensuite un match avec Deman que je gagnais. Le 13 juin, je
courais à Bruges puis le 14 juin, le match Franco-Belge au Menimois (Menin).
Le 20, je courus les 25 km et la course d'élimination que je gagnais au Linthout
à Bruxelles. Le 18 juillet, je pris part au Tour du Limbourg où je terminais
9ème. Le 21, se fit la revanche du match Deruyter-Deman, que je regagnais.
Puis, je gagnais l'ouverture du vélodrome des Quatre-Villes à Wattreloos,
devant Doutreme, Jurich, Dehague, Denan, etc... Au mois d'août, je courus les
Six Heures de Louvain. Je terminais 2ème à 10 centimètres du premier. Je
terminai la saison en gagnant le G.P de l'Etoile Belge et le G.P de la revue
sportive illustrée, devant le champion de Belgique, au Karreveld.
La saison close, je m'engageai pour l'année suivante, pour les cycles DEPAS.
Dès lors, il me fallait être victorieux partout. Pourtant, la saison 1910,
je débute le 27 mars en arrivant 2ème de Bruxelles-Liège. En avril, je gagne
les 80 km à Louvain, ayant pris toutes les primes et la finale. En juin, je
gagnais à Tournai, le Championnat des Champions, Gand-Bruxelles, 460 points,
puis le Circuit du Limbourg, 170 kilomètres. En juillet,Gosselies-Namur, 170
km, puis la course de vitesse et de fond par équipes, Thys-Deruyter à Erquelinnes.
En août, le 5 août les 100 km de Louvain, le 20 août à Saint-Servais, le
27 avril les 50 km à Gembloux. Au circuit d'Andenne, ayant pris 26 mn d'avance
sur mes plus proches concurrents, Heusghem Louis, Thys, Mottiat, Matagne, etc...
Enfin, avec regret, on voit la clôture de la saison.
On attend alors la saison 1911 et je décidais à devenir stayer. Je pris comme
entraîneur Mevéjans Maurice de Tourcoing. Je fis donc mes débuts sur les
vélodromes. Je terminai 3ème de Milan-Modène, 290 km sur des routes inconnues.
Maintenant, je suis dans la saison d'hiver et je ne puis pas continuer ma carrière
cycliste, espérant que je n'arrêterais pas le récit de mes victoires et en
attendant la saison prochaine, je vais vous donner la façon dont je m'entraîne.
Michel
Noël avec l'aide d'Annie et Jean-Charles, les enfants
de Charles Deruyter. 1908 14ème de Liège-Bastogne-Liège
amateur 1909 6ème de Liège-Bastogne-Liège
amateur 1911
2ème de Paris-Menin 3ème du Championnat de Belgique de demi-fond 1912
- Peugeot 1er du G.P de Namur 2ème de Paris-Tours 3ème
de Milan-Modène 7ème de Paris-Roubaix 8ème de
Paris-Menin 16ème du
Tour de France (dossard 13) - 6ème de la 3ème étape -
7ème de la 11ème étape - 8ème de la 1ère
étape 1913 - Peugeot 1er du Bol d'Or de
Jupille avec Oscar Egg 2ème de Paris-Roubaix 7ème
de Bordeaux-Paris 7ème de Bruxelles-Paris 1914 Abandon
aux 6 jours de Paris avec Robert Walthour sénior 1916 1er
du Critérium du "Lyon Républicain" 1er
du Circuit d'Orléans 1er de Paris-Orléans 1917 1er
de Tours-Paris 3ème de Trouville-Paris 1919 1er
du Circuit des Champs de bataille - 1er de la 3ème
étape - 1er de la 4ème étape - 1er de la 7ème étape -
3ème de la 6ème étape - 7ème de la 5ème étape -
9ème de la 2ème étape 1er des "Cent
Miles" Abandon aux 6 jours de New York avec
Maurice Brocco 1920 7ème des 6 jours de
New York avec Emile Aerts en novembre 1921 1er des 6 jours de Bruxelles
avec Marcel Berthet 5ème des 6 jours de New York
avec Piet Van Kempen en décembre 1922 3ème
des 6 jours de New York avec Maurice Brocco en mars 4ème du Critérium
des As Abandon aux 6 jours de Paris avec Piet Van
Kempen 1923 - Gurtner-Hutchinson 1er du
Circuit du Limbourg 2ème du Tour des Flandres 6ème
du Championnat de Belgique 7ème de Paris-Roubaix Abandon
au G.P Wolber 1924 3ème des 6 jours de
Paris avec Pierre Sergent 1925 1er de "l'Omnium
Mondial" 6ème des 6 jours de New York avec Gaetano
Belloni (du 31/12/24 au 05/01/25) Abandon aux 6 jours
de Paris avec Robert Grassin
Merci à son fils, Jean-Charles Deruyter.
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