Benjamin JAVAUX
né le 3 mars 1894 à Neffe (Anseremme)
décédé le 17 octobre 1953 à Anseremme
Benjamin Javaux connaît une enfance douloureuse. Son père se noie dans
la Meuse, en tombant du remorqueur dont il était le capitaine et cela peu de
temps avant la naissance de celui à qui, en souvenir du disparu, on donnera
le même prénom. Benjamin est le deuxième fils de la famille. L'année durant
laquelle Benjamin Javaux fait ses débuts dans le cyclisme sur route n'est pas
connue de façon précise. Toutefois, il doit vite abandonner le sport pour
effectuer son service militaire qui allait se poursuivre avec la première guerre
mondiale.
C'est ainsi qu'à l'âge de 20 ans, à l'entame de ladite guerre, Benjamin est
observateur d'artillerie au fort de Dave. Le fort tombe rapidement à l'ennemi.
Benjamin se sauve et rejoint Neffe en habits civils où il apprend que 4 membres
de sa famille dont sa mère, ont été fusillés par les Allemands, lors des
massacres du 23 août 1914 à Dinant. Benjamin décide dès lors de gagner la
Hollande et de passer en Angleterre où il est incorporé au "13th Belgian
Field Artillery" pour revenir dans le saillant d'Ypres (8 chevrons de front)
jusqu'à l'Armistice. Son frère aîné, Eugène, après des études à l'Athénée
de Dinant, était devenu comptable aux pneus Englebert à Huy, il s'engage comme
volontaire de guerre et est tué à la Boucle de Tervaete (Flandre). A son retour
de guerre, à Anseremme, Benjamin n'a plus de famille. Il est donc recueilli
par la famille Fabry de l'hôtel de la Gare. Il décide de se relancer dans
le sport cycliste.
En 1919, sociétaire de la Pédale Dinantaise, en tant qu'indépendant, il décroche
son premier bouquet à Bruxelles-Hoboken. Il s'illustre au circuit des Champs
de Batailles à Paris. Il reçoit une magnifique coupe en bronze (7 kg) offerte
par "Le Petit Journal". Entre-temps, Benjamin passe professionnel.
En 1921, à l'issue d'un sprint, Benjamin se classe deuxième derrière Marcel
Buysse, de Paris-Dinant. Il est fêté par les édiles communaux de l'époque.
Pour sa brillante performance, Le "Miroir des Sports" le présentera
comme la révélation du début de la saison 1921 et retiendra son nom parmi
les hommes à surveiller pour le Tour de Belgique. Benjamin ne démentira pas
les propos du "Miroir des Sports", effectuant un très beau début
de Tour de Belgique. Une blessure au genou viendra malencontreusement le contraindre
à l'abandon dans la 5ème étape vers Spa, après une lourde chute consécutive
à un bris de pédale. Quelques semaines plus tard, inscrit dans la catégorie
des coureurs de deuxième classe, Benjamin prend part à la Grande Boucle qui
comporte 15 étapes totalisant 5484 kilomètres. Il porte le dossard 21. Lors
de la 12ème étape, qui relie Genève (Gex) à Strasbourg sur 371 km, Benjamin,
après une chute, constate que le tube de son cadre a lâché à la soudure
et la fourche de son vélo est faussée... Nous sommes à une vingtaine de kilomètres
de l'arrivée. Mais laissons Jean, son fils, nous narrer le récit des derniers
kilomètres de cette étape. Le texte de ce haut fait de course est présenté
ci-contre. Avec ce texte, Jean Javaux a été retenu, en 1997, parmi les lauréats
du concours "L'Exploit du Siècle" organisé par la Maison de la Francité.
"Le ferment du courage - Après une brève incursion dans le pays de Guillaume
Tell, le Tour est rentré en France aujourd'hui".
"Tous les organismes sont éprouvés, cela se distingue aisément dans
la caravane et on le comprend quand on sait quelle somme d'efforts sévères
les coureurs ont dû produire tout au long de ce Tour qui n'en finit pas, couronné
par la dernière grande étape alpestre au cours de laquelle furent escaladés,
successivement, les cols de Lautaret, du Galibier, du Télégraphe et des Aravis
avec un intermède dans la haute vallée de la Maurienne... Enfin, en nous dirigeant
vers l'Alsace par le Doubs, nous tournons le dos aux Alpes et personne ne s'en
plaindra ! Devant nous, le peloton roule tranquillement... Les escarmouches
qui fusent habituellement en tête, dès que l'on se rapproche d'une arrivée
au relief peu accidenté, tardent à se produire et nous le comprenons d'autant
mieux que nous sommes, nous aussi, fatigués par les dernières étapes de haute
montagne ! Le Tour arrive à son terme et dans peu de temps, nous serons enfin
au Parc des Princes à Paris ! Alors que nous traversons un village, peu après
Schlestadt, une chute vient de se produire dans le peloton... Nous arrivons
sur les lieux dans un crissement de freins, les gens s'écartent tandis qu'un
coureur se relève, la cuisse et le coude gauches profondément éraflés...
Mû par un réflexe, il remonte en machine mais s'aperçoit aussitôt que quelque
chose ne vas plus dans la mécanique. Un tube de son cadre a lâché à la soudure
et la fourche est faussée. Il n'en peut poursuivre ainsi. Déjà, il a mis
pied à terre et s'informe où trouver un vélo d'emprunt, car il veut à tout
prix terminer l'étape et le Tour, mais il sait aussi qu'il devra présenter
son vélo porteur du plomb officiel de l'organisation aux commissaires de course,
une fois la ligne d'arrivée franchie. Les larmes aux yeux, pitoyable, il traîne
derrière lui sa bicyclette brisée et scrute parmi les gens qui pourrait l'aider
à rallier Strasbourg encore distant d'une vingtaine de kilomètres. Il ne se
soucie guère du sang qui se mêle à l'embrocation et à la poussière de la
route sur le haut de sa cuisse que découvre son cuissard déchiré. Nous sommes
témoins de la scène et l'image pathétique de cet homme désemparé, blessé,
livré à lui-même dans l'infortune qui l'accable au bord d'une route inconnue,
nous gêne et j'évite de croiser son regard dans lequel se lit une immense
détresse. Je le devine hanté par le spectre hideux de l'abandon maintenant
que le peloton est déjà loin et que les derniers officiels sont passés, maintenant,
pourtant, que le plus dur était fait pour lui. Mais voilà que surgit, de la
double rangée de spectateurs, un jeune homme qui pousse son vélo devant lui
: "Tenez, Monsieur, dit-il, en proposant sa bicyclette, j'irai la chercher
à Strasbourg, bonne chance". Interloqué, n'osant y croire, le coureur
comprend enfin qu'il va pouvoir poursuivre sa route et il saisit la main de
cet homme charitable que la providence a mis sur son chemin ! L'Instant est
poignant et mon chauffeur et moi, nous nous souviendrons longtemps de ce "merci"
entendu parmi les exclamations des curieux qui nous entourent. Déjà le coureur
a ouvert la sacoche de son vélo et se saisit d'une clef à l'aide de laquelle
il a tôt fait de remonter la selle de sa nouvelle monture, puis il enfourche
la bécane et d'un grand geste, il charge le fardeau de son vélo brisé par-dessus
ses épaules. Enfin, après un sourire qui en dit long au brave qui l'a dépanné,
il reprend la route et ses premiers coups de pédales déchaînent les applaudissements.
Le chauffeur de la voiture vient de remettre le moteur en marche, mais mon choix
est vite fait : nous ne remonterons pas le peloton pour assister à l'arrivée
du vainqueur d'étape car, dans mon esprit, si cet homme réussit dans sa courageuse
entreprise, ce sera un peu lui le héros du jour ! C'est donc lui qu'il nous
faut suivre pour qu'il se sente moins seul à lutter, maintenant que la foule,
peu à peu, va quitter les bords de la route, croyant les derniers coureurs
passés. Malgré la difficulté de rester bien en ligne avec un vélo accroché
aux épaules, le porteur du dossard 21 garde encore une bonne allure. De temps
en temps, sa main droite quitte le guidon et saisit le cadre qui lui meurtrit
le cou pour le remonter un peu. Nous sommes maintenant parvenus aux portes de
Benfeld, mais la traversée de la rue principale en pavés est un véritable
supplice pour l'homme qui tressaute devant nous sur sa machine d'emprunt. Les
gens, éberlués, l'encouragent, puis applaudissent. A la sortie de la ville,
nous nous portons à sa hauteur pour l'encourager à notre tour, car son allure
a fortement faibli. Plus que 5 kilomètres, lui lançons-nous au passage, nous
t'attendons à l'arrivée... Bravo ! Malgré sa douleur, l'homme parvient encore
à nous adresser un sourire ! Strasbourg est proche maintenant. Encore quelques
bornes de méchants "nids de poule" à éviter pour ne pas aggraver
son calvaire, puis, pour lui, ce sera la délivrance ! Sur la ligne d'arrivée,
nous nous empressons de prévenir les commissaires que le "21" n'a
pas abandonné, qu'il va arriver d'un moment à l'autre, dans les délais. Et
voici qu'une clameur s'élève de la foule qui déambule à présent sur les
lieux où se disputait l'arrivée. Là-bas, dans la direction des coups de sifflets
qui se font entendre, nous voyons apparaître un vélo, "son vélo"
qui paraît glisser en ondulant par-dessus la masse du public. C'est Javaux
qui arrive, précédé de gendarmes qui courent pour lui ouvrir la route jusqu'à
la ligne d'arrivée, au terme d'un effort fantastique et douloureux, acclamé
par des spectateurs qui n'en croient pas leurs yeux ! En le voyant mettre pied
à terre, la ligne enfin franchie, la figure ravagée par la fatigue et la douleur
qui lui brûlent l'épaule et la nuque, je pense à Eugène Christophe réparant
sa fourche brisée dans une vieille forge perdue au fond d'une vallée des Pyrénées
et je me dis que c'est avec des hommes tels que ceux-là, avec leurs actes et
leur détermination, que s'est construite la légende du Tour de France. Le
Tour, école de volonté, le Tour qui a donné, qui donne et qui donnera encore
demain, à tous ceux qui le disputent, le ferment du courage !".
Avec un vélo d'emprunt, en portant sur le dos le sien devenu inutilisable,
Benjamin termine, seul, cette étape à une brillante 12ème place à 29'12"
du vainqueur, le Français Honoré Barthélémy, après 15h37'05" de selle.
Vu les évènements tragiques que Benjamin avait connu durant sa jeunesse,
on comprend peut être mieux dès lors la volonté farouche qu'il avait à terminer
une épreuve aussi prestigieuse que le Tour de France, alors qu'il n'avait encore
aucune ressource pour poursuivre la carrière de cycliste professionnel qu'il
avait choisi. A Paris, à l'issue de la Grande Boucle, Benjamin termine à la
21ème place à 25h25'34" du vainqueur, un autre namurois, Léon Scieur
et 10ème du Grand Prix de la Montagne. Quelle coïncidence, nous sommes en
1921, il portait le dossard 21 et termine à la 21ème place ! Au classement
final des coureurs isolés, il termine à la 12ème place. Au retour de son
brillant Tour de France, Benjamin est fêté par la ville de Dinant. C'est ainsi
qu'à sa descente de train, il est emmené en calèche jusqu'à l'hôtel de
ville. Il est reçu par les édiles communaux et se voit offrir une montre à
gousset en or 18 carats. Ce trophée nous a été prêté aimablement par Jean
Javaux.
En 1923, Benjamin enlève une nouvelle victoire. Il remporte Paris-Liège. Il
forge son succès dans la côte de Paihle. A l'issue de sa carrière, il devient
animateur sportif. Il est à la base de la fondation du vélodrome de la Meuse
à Anseremme, inauguré en 1925. Ce vélodrome a été le théâtre de nombreuses
réunions sur piste et des arrivées, notamment d'un Reins-Anseremme, ainsi
qu'une étape du Tour de Belgique pour indépendants, et il en devient le directeur
jusqu'en 1935. Aux abords de cet anneau, Benjamin et son épouse tiennent le
"Café du Vélodrome". Devenu ensuite une rôtisserie et actuellement
un magasin d'articles de pêche. En 1935, le vélodrome sera détruit pour faire
place à un lotissement. C'est ainsi qu'il existe toujours actuellement à Anseremme
une rue dénommée : rue du Vélodrome. Benjamin restera toujours un sportif,
le pratiquant, aidant d'autres à faire du sport. Il participe notamment à
plusieurs épreuves de kayak sur la Lesse et sur l'Ourthe. Avec G. Bohée, il
est parmi les pionniers de la descente de la Lesse entre Houyet et Anseremme
qu'ils exploitent (22 kilomètres en barque). Il ne ménage pas ses efforts
dès 1947 pour relancer le Royal Cercle Nautique Meuse et Lesse, dont on connaît
l'essor qu'il a pris depuis.
Atteint par la maladie, Benjamin s'éteindra le 17 octobre 1953 à l'âge de
59 ans. "Vers l'Avenir" dans son édition du 21 octobre 1953 relatait
:
"L'ancien champion cycliste Benjamin Javaux est décédé"
"A l'approche de la soixantaine, Benjamin Javaux, d'Anseremme, est décédé
après une longue et pénible maladie. Il fut l'un des pionniers du sport cycliste
dans la région. Sous les couleurs de la Pédale Dinantaise, il enleva de multiples
succès après la première guerre mondiale. En 1921 "sa grande armée"
il se classa second de Paris-Dinant derrière le célèbre champion Lucien Buysse
et termina 21ème au Tour de France gagné par Léon Scieur. Avant de se distinguer
su piste, Javaux avait mis d'autres performances à son actif sur route : 2ème
du Grand Prix de Bruxelles et de Bruxelles-Hoboken pour Indépendants, vanqueur
de Paris-Liège (1923) comme professionnel. Un jour, au classique Grand Prix
d'Automne, à Saint-Servais, Javaux et Despontin se retrouvèrent seuls en tête.
Au sprint, Benjamin était le plus fort, mais le grand Léon enfourcha une machine
de piste à Suarlée, lors du dernier tour et poussant un grand braquet, il
lâcha Javaux dans la descente d'Arthey et franchit l'arrivée en solitaire.
Lorsqu'il se retira de la compétition, Benjamin devint directeur du vélodrome
d'Anseremme qui fut le théâtre de belles réunions sportives avant d'être
démonté et oublié. Javaux resta attaché à Anseremme où il recevait de
temps à autre la visite d'anciens champions. Fervent chasseur, Benjamin s'intéressait
encore au sport cycliste et nous avions encore eu l'occasion de bavarder avec
lui, l'an dernier, à Dinant, après l'arrivée d'étape de notre Tour de la
Province. Le défunt fut également membre dirigeant du Cercle Nautique "Meuse
et Lesse".
Dix-huit ans plus tard, le Tour de France faisait une halte dans la cité mosane.
C'est ainsi que le 1er juillet 1971, 50 ans après la participation de Benjamin
à la Grande Boucle, Dinant accueillait le départ de la 5ème étape du Tour
de France : Dinant-Roubaix. Le Tour voulait ainsi rendre hommage à l'exploit
réalisé à Strasbourg par Benjamin. A l'occasion de cet événement, sont
repris ci-après, les commentaires de Michel Castaing dans le journal "Le
Monde" du 3 juillet 1971.
"Le souvenir de Benjamin Javaux"
Dinant – "L'exploit de Benjamin Javaux n'est pas comparable à celui
des Quatre Fils Aymon qui, poursuivis par les troupes de Charlemagne franchirent,
grâce à leur cheval Bayard, la Meuse d'un seul bond à partir du gigantesque
rocher qui domine Dinant. Et pourtant, il a peut être plus de mérite à chevaucher,
avec un courage identique, une monture beaucoup moins fabuleuse. Il n'a pas
donné son nom à la postérité, comme ses concitoyens, les peintres Joachim
Patenier et Antoine Wiertz, ni même à un simple instrument de musique, comme
un autre Dinantais, Adolphe Sax. Et portant toute la petite ville belge, forte
de dix mille habitants, située à mi-chemin entre Givet et Namur, a eu pour
lui une pensée reconnaissante au matin du jeudi 1er juillet. L'histoire du
Tour de France, cette épreuve riche en contes et légendes, n'a pas non plus
retenu son visage, ni son patronyme, ni ses performances. Et pourtant, c'est
en grande partie grâce à lui si, pour la première fois, un nœud de la "grande
boucle" a été serré à Dinant. Si, pour la première fois, le Tour s'y
est arrêté ou plutôt en est reparti. C'est, en effet, en raison du souvenir
de Benjamin Javaux décédé au début des années 50, que la cité belge a
notamment accepté de prêter son admirable site au Tour de France. Car Benjamin
fut le seul Dinantais à avoir jamais participé à cette compétition : c'était
en 1921, et Dinant avait à fêter dignement ce cinquantenaire. Le coureur belge,
qui avait terminé quelques semaines auparavant deuxième de la course Paris-Dinant,
derrière Marcel Buysse (une compétition qui n'existe plus aujourd'hui) s'était
classé, étrange coïncidence, 21ème de l'épreuve remportée cette année
là par un athlète qui, lui aussi, était oublié : Léon Scieur. De ce que
tout Dinant avait considéré comme un exploit, il ne reste plus aujourd'hui
que quelques photos jaunies, quelques reliques précieusement conservées. Pourtant,
Benjamin ne n'était pas seulement contenté d'être un athlète. Il avait été
également un grand animateur sportif et, sous sa direction, le vélodrome de
Dinant, détruit depuis, avait été le théâtre de belles rondes".
Michel Noël avec l'aide des Archives du fils de Benjamin Javaux, Jean, qui
réside à Hulsonniaux.
1920
2ème de Bruxelles-Hoboken
1921
2ème de Paris-Dinant
21ème du Tour de France
- 10ème de la 4ème étape
1922
13ème du Circuit de Paris
1923
1er de Paris-Jemeppe sur Meuse 2ème du G.P d'Automne à St Servais 5ème
du G.P de l'Escaut
22ème de Liège-Bastogne-Liège
1924
10ème de Paris-Longwy
13ème de Paris-Bruxelles
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